Trois Contes - Flaubert Gustave. Страница 27

Ils n'avaient rien vu, sauf un capitaine juif, qui s'etait precipite sur eux, et qui n'existait plus.

La fureur d'Herodias degorgea en un torrent d'injures populacieres et sanglantes. Elle se cassa les ongles au grillage de la tribune, et les deux lions sculptes semblaient mordre ses epaules et rugir comme elle.

Antipas l'imita, les pretres, les soldats, les Pharisiens, tous reclamant une vengeance, et les autres, indignes qu'on retardat leur plaisir.

Mannaei sortit, en se cachant la face.

Les convives trouverent le temps encore plus long que la premiere fois. On s'ennuyait.

Tout a coup, un bruit de pas se repercuta dans les couloirs. Le malaise devenait intolerable.

La tete entra; et Mannaei la tenait par les cheveux, au bout de son bras, fier des applaudissements.

Quand il l'eut mise sur un plat, il l'offrit a Salome.

Elle monta lestement dans la tribune; et plusieurs minutes apres, la tete fut rapportee par cette vieille femme que le Tetrarque avait distinguee le matin sur la plate-forme d'une maison, et tantot dans la chambre d'Herodias.

Il se reculait pour ne pas la voir. Vitellius y jeta un regard indifferent.

Mannaei descendit l'estrade, et l'exhiba aux capitaines romains, puis a tous ceux qui mangeaient de ce cote.

Ils l'examinerent.

La lame aigue de l'instrument, glissant du haut en bas, avait entame la machoire. Une convulsion tirait les coins de la bouche. Du sang, caille deja, parsemait la barbe. Les paupieres closes etaient blemes comme des coquilles; et les candelabres a l'entour envoyaient des rayons.

Elle arriva a la table des pretres. Un Pharisien la retourna curieusement; et Mannaei, l'ayant remise d'aplomb, la posa devant Aulus, qui en fut reveille. Par l'ouverture de leurs cils, les prunelles mortes et les prunelles eteintes semblaient se dire quelque chose. Ensuite Mannaei la presenta a Antipas. Des pleurs coulerent sur les joues du Tetrarque.

Les flambeaux s'eteignaient. Les convives partirent; et il ne resta plus dans la salle qu'Antipas, les mains contre ses tempes et regardant toujours la tete coupee tandis que Phanuel, debout au milieu de la grande nef, murmurait des prieres, les bras etendus.

A l'instant ou se levait le soleil, deux hommes, expedies autrefois par Iaokanann, survinrent, avec la reponse si longtemps esperee.

Ils la confierent a Phanuel, qui en eut un ravissement.

Puis il leur montra l'objet lugubre, sur le plateau, entre les debris du festin. Un des hommes lui dit:

«Console-toi! Il est descendu chez les morts annoncer le Christ!»

L'Essenien comprenait maintenant ces paroles: «Pour qu'il croisse, il faut que je diminue.»

Et tous les trois, ayant pris la tete de Iaokanann, s'en allerent du cote de la Galilee.

Comme elle etait tres lourde, ils la portaient alternativement.

(1877)