Contes Merveilleux Tome II - Grimm Jakob et Wilhelm. Страница 6
Le pauvre soldat tomba sur le sol humide, sans se faire mal toutefois. La lampe bleue continuait a briller; mais en quoi cela pourrait-il l’aider? Il crut bien qu’il n’echapperait pas a la mort. Triste, il s’assied un moment, puis il fouilla dans sa poche et y trouva sa pipe encore a moitie pleine. «Ce sera mon dernier plaisir», se dit-il. Il prit la pipe, l’alluma a la flamme de la lampe bleue, et commenca a fumer. Alors que les volutes s’elevaient dans le puits, un genie apparut devant le soldat et lui demanda: «Maitre, qu’elles sont tes ordres?». «Que m’est-il possible de t’ordonner?», repliqua le soldat avec etonnement. «Je dois faire tout ce que m’ordonneras», repondit le genie. «He bien!», dit le soldat, «aide-moi d’abord a sortir de ce puits.»
Le genie le prit par la main et le conduisit au travers d’un passage secret. Il n’oublia pas d’emporter la lampe bleue. Il lui montra en chemin les tresors que la sorciere avait accumules et caches la. Le soldat ramassa autant d’or qu’il pouvait en emporter. Quand il arriva en haut, il dit au genie: «Maintenant va, capture la sorciere, et amene-la devant le tribunal.» Peu apres, elle passa rapide comme le vent, un chat sauvage en guise de monture, en poussant des cris effroyables. Le genie ne tarda pas a revenir, et dit: «La cause a ete entendue, et la sorciere sera bientot sur le bucher. Maitre, que desires-tu encore.» «Pour l’instant, rien», repondit le soldat. «Tu peux retourner chez toi; mais tiens-toi pret a venir si je t’appelle.» «Ce ne sera pas necessaire, dit le genie, puisque tu n’as qu’a allumer ta pipe avec la lampe bleue pour que j’apparaisse juste devant toi». La-dessus, il disparut.
Le soldat retourna dans la ville d’ou il venait. Il descendit dans la meilleure auberge et se fit faire de beaux habits. Puis il demanda a l’aubergiste de lui amenager une chambre le plus magnifiquement possible. Lorsque cela fut fait, il appela le genie et lui dit: «J’ai servi le roi fidelement, mais il m’a renvoye et laisse affame, sans gagne-pain. Pour cela, je me vengerai.» «Que puis-je faire?», demanda le genie. «Cette nuit, lorsque la princesse sera au lit, amene-la ici encore endormie; elle devra etre ma servante.» Le genie repondit: «Pour moi c’est tres facile, mais pour toi c’est plutot dangereux. Si on venait a l’apprendre, ca irait tres mal pour toi.»
Lorsque minuit sonna, la porte s’ouvrit, et le genie amena la princesse a l’interieur. «Ah! ah! te voila enfin!», s’exclama le soldat. «Allez, prends le balai et nettoie la piece.» Tandis que la princesse s’affairait, le soldat lui ordonna de venir pres de son fauteuil. Il s’allongea les jambes et dit: «Enleve-moi mes bottes.» La princesse dut les lui enlever, les nettoyer et les faire briller. Elle fit tout ce qu’il lui ordonna, sans opposition, muette, et les yeux mi-clos. Au premier chant du coq, le genie ramena la princesse dans son lit, au chateau.
Le lendemain matin, lorsque la princesse se leva, elle alla voir son pere et lui raconta qu’elle avait fait un reve etrange: «Je defilais dans des rues a la vitesse de l’eclair et je me retrouvais dans la chambre d’un soldat. J’etais sa servante et devais faire toutes sortes de travaux menagers: balayer la chambre, nettoyer les bottes… Ce n’etait qu’un reve, et pourtant je me sens si fatiguee, comme si j’avais vraiment fait tout cela!» «Mais peut-etre n’etait-ce pas un reve», dit le roi. «Je vais te donner un conseil: fais un petit trou au fond de tes poches, lesquelles tu rempliras de petits pois. Si on t’enleve encore, les pois tomberont et laisseront une piste dans les rues.»
Tandis que le roi parlait, le genie se tenait la, invisible, ecoutant tout. La nuit, comme la princesse se faisait transporter dans les rues, tous les petits pois tomberent de ses poches. Mais ils ne laisserent pas de piste puisque le genie avait repandu des pois dans toutes les rues. La princesse dut encore faire la servante jusqu’au chant du coq.
Au matin, le roi envoya ses gardes pour qu’ils suivent les traces; mais c’etait peine perdue! Dans toutes les rues, des enfants pauvres etaient assis et mangeaient les petits pois en disant: «Cette nuit, il a plu des petits pois». «Nous devrons trouver autre chose», se dit le roi. Il s’adressa a la princesse: «Garde tes souliers lorsque tu iras te coucher. Et avant que tu ne reviennes de la-bas, caches-en un; j’arriverai bien a le retrouver.» Le genie decouvrit le pot aux roses et le soir, lorsque le soldat lui ordonna d’aller chercher la princesse, il lui raconta tout. Il lui expliqua que contre une telle ruse, il ne connaissait pas de parade, et que si l’on retrouvait le soulier chez lui, cela pourrait tourner mal. «Fais ce que je t’ai dit», repliqua le soldat. La princesse dut encore faire la servante pour une troisieme nuit. Mais avant qu’on la ramenat chez elle, elle cacha un soulier sous le lit.
Le lendemain matin, le roi fit rechercher le soulier de sa fille dans toute la ville; il fut retrouve chez le soldat. Celui-ci, avec l’aide des gens de la rue, avait deja fui jusqu’aux portes de la ville. Il fut bientot arrete et jete en prison. Dans sa fuite, le soldat avait oublie d’emporter ce qu’il avait de plus precieux: la lampe bleue, et son or. Il ne lui restait qu’un ecu dans sa poche.
Tandis qu’il se tenait a la fenetre de sa prison, le soldat vit un de ses amis qui passait dehors. Il frappa a la fenetre pour le faire s’approcher et lui dit: «Sois bon et rapporte-moi le balluchon que j’ai laisse a l’auberge; pour cela, je te donnerai un ecu.» L’ami partit, puis ramena ce que le soldat lui avait demande. Aussitot seul, le soldat alluma sa pipe et fit apparaitre le genie. «Sois sans crainte.», dit le genie a son maitre, «Vas la ou ils t’emmeneront, laisse faire les choses. Et n’oublie pas d’apporter la lampe bleue.»
Le jour suivant, on tint un proces contre le soldat, et bien qu’il n’eut rien fait de bien mechant, le juge le condamna a mort. Alors qu’on l’amenait dehors, le soldat demanda au roi une derniere faveur. «Quelle est-elle?», demanda le roi. «J’aimerais pouvoir fumer ma pipe sur le chemin de la potence». «Tu peux la fumer», repondit le roi.» «Et trois fois plutot qu’une. Mais ne va surtout pas croire que je te laisserai la vie sauve.»
Alors le soldat sortit sa pipe et l’alluma a l’aide de lampe bleue. Et a peine deux ronds de fumee s’etaient-ils envoles que, deja, le genie se tenait la, un gourdin a la main. Il dit: «Que desires-tu, mon Maitre?» «Donne une bonne raclee au juge de mauvaise foi et a ses sbires. Et n’epargne pas le roi; il m’a fait tellement de torts.» Le genie partit comme l’eclair, et pif, et paf, il frappa ca et la. Et tous ceux qu’il frappait de son gourdin, s’effondraient immediatement sur le sol et n’osaient plus bouger. Le roi, tout effraye, se mit a supplier qu’on l’epargnat. Pour qu’on lui laisse la vie sauve, il ceda tout son royaume au soldat, et lui donna a marier sa fille, la princesse.