Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 17
Ach, du lieber Augustin, Alles ist hin, hin, hin.
Mais le plus ingenieux etait sans doute que si l'on mettait le doigt dans la vapeur de la marmite, on sentait immediatement quel plat on faisait cuire dans chaque cheminee de la ville. Ca, c'etait autre chose qu'une rose. Au cours de sa promenade avec ses dames d'honneur la princesse vint a passer devant la porcherie, et lorsqu'elle entendit la melodie, elle s'arreta toute contente car elle aussi savait jouer _Ach, du lieber Augustin_, c'etait meme le seul air qu'elle sut et elle le jouait d'un doigt seulement.
– C'est l'air que je sais, dit-elle, ce doit etre un porcher bien doue. Entrez et demandez-lui ce que coute son instrument.
Une des dames de la cour fut obligee d'y aller mais elle mit des sabots.
– Combien veux-tu pour cette marmite? demanda-t-elle.
– Je veux dix baisers de la princesse!
– Grands dieux! s'ecria la dame.
– C'est comme ca et pas moins! insista le porcher.
– Eh bien! qu'est-ce qu'il dit? demanda la princesse.
– Je ne peux vraiment pas le dire, c'est trop affreux.
– Alors, dis-le tout bas.
La dame d'honneur le murmura a l'oreille de la princesse.
– Mais il est insolent, dit celle-ci, et elle s'en fut immediatement.
Des qu'elle eut fait un petit bout de chemin, les clochettes se mirent a tinter.
– Ecoute, dit la princesse, va lui demander s'il veut dix baisers de mes dames d'honneur.
– Oh! que non, repondit le porcher. Dix baisers de la princesse ou je garde la marmite.
– Que c'est ennuyeux! dit la princesse. Alors il faut que vous teniez toutes autour de moi afin que personne ne puisse me voir.
Les dames d'honneur l'entourerent en etalant leurs jupes, le garcon eut dix baisers et elle emporta la marmite. Comme on s'amusa au chateau! Toute la soiree et toute la journee la marmite cuisait, il n'y avait pas une cheminee de la ville dont on ne sut ce qu'on y preparait tant chez le chambellan que chez le cordonnier. Les dames d'honneur dansaient et battaient des mains.
– Nous savons ceux qui auront du potage sucre ou bien des crepes, ou bien encore de la bouillie ou des cotelettes, comme c'est interessant!
– Superieurement interessant! dit la Grande Maitresse de la Cour.
– Oui, mais pas un mot a personne, car je suis la fille de l'empereur.
– Dieu nous en garde! firent-elles toutes ensemble.
Le porcher, c'est-a-dire le prince, mais personne ne se doutait qu'il put etre autre chose qu'un veritable porcher, ne laissa pas passer la journee suivante sans travailler, il confectionna une crecelle. Lorsqu'on la faisait tourner, resonnaient en grincant toutes les valses, les galops et les polkas connus depuis la creation du monde.
– Mais c'est superbe, dit la princesse lorsqu'elle passa devant la porcherie. Je n'ai jamais entendu plus merveilleuse improvisation! Ecoutez, allez lui demander ce que coute cet instrument-mais je n'embrasse plus!
– Il veut cent baisers de la princesse, affirma la dame d'honneur qui etait allee s'enquerir.
– Je pense qu'il est fou, dit la princesse.
Et elle s'en fut. Mais apres avoir fait un petit bout de chemin, elle s'arreta.
– Il faut encourager les arts, dit-elle. Je suis la de l'empereur. Dites-lui que je lui donnerai dix baisers, comme hier, le reste mes dames d'honneur s'en chargeront.
– Oh! ca ne nous plait pas du tout, dirent ces dernieres.
– Quelle betise! repliqua la princesse. Si moi je peux l'embrasser, vous le pouvez aussi. Souvenez-vous que je vous entretiens et vous honore.
Et, encore une fois, la dame d'honneur dut aller s'informer.
– Cent baisers de la princesse, a-t-il dit, sinon il garde son bien.
– Alors, mettez-vous devant moi. Toutes les dames l'entourerent et l'embrassade commenca.
– Qu'est-ce que c'est que cet attroupement, la-bas, pres de la porcherie! s'ecria l'empereur.
Il etait sur sa terrasse ou il se frottait les yeux et mettait ses lunettes.
– Mais ce sont les dames de la cour qui font des leurs, il faut que j'y aille voir.
Il releva l'arriere de ses pantoufles qui n'etaient que des souliers dont le contrefort avait lache…
Saperlipopette! comme il se depechait…
Lorsqu'il arriva dans la cour, il se mit a marcher tout doucement. Les dames d'honneur occupees a compter les baisers afin que tout se deroule honnetement, qu'il n'en recoive pas trop, mais pas non plus trop peu, ne remarquerent pas du tout l'empereur. Il se hissa sur les pointes:
– Qu'est-ce que c'est! cria-t-il quand il vit ce qui se passait. Et il leur donna de sa pantoufle un grand coup sur la tete, juste au moment ou le porcher recevait le quatre-vingtieme baiser.
– Hors d'ici! cria-t-il furieux.
La princesse et le porcher furent jetes hors de l'empire.
Elle pleurait, le porcher grognait et la pluie tombait a torrents.
– Ah! je suis la plus malheureuse des creatures, gemissait la princesse. Que n'ai-je accepte ce prince si charmant! Oh! que je suis malheureuse!
Le porcher se retira derriere un arbre, essuya le noir et le brun de son visage, jeta ses vieux vetements et s'avanca dans ses habits princiers, si charmant que la princesse fit la reverence devant lui.
– Je suis venu pour te faire affront, a toi! dit le garcon. Tu ne voulais pas d'un prince plein de loyaute.
Tu n'appreciais ni la rose, ni le rossignol, mais le porcher tu voulais bien l'embrasser pour un jouet mecanique! Honte a toi!
Il retourna dans son royaume, ferma la porte, tira le verrou.
Quant a elle, elle pouvait bien rester dehors et chanter si elle en avait envie:
Ach, du lieber Augustin, Alles ist hin, hin, hin.
Quelque chose
Il faut que je devienne quelque chose, disait l'aine de cinq freres; je veux etre utile en ce monde. Si humble que soit mon metier, si ce que je fais sert a mes semblables, je serai quelque chose. Je veux me faire briquetier. On ne saurait se passer de briques. Je pourrai dire que je suis bon a quelque chose.
– Oui, dit le puine, mais l'ambition est trop basse. Qu'est-ce que faire des briques? Moi, je prefere etre macon. Voila, du moins, une veritable profession. On devient maitre et bourgeois de la ville; on a sa banniere et l'entree a l'auberge de la corporation; et, je finirai par avoir des compagnons sous mes ordres, et ma femme sera appelee madame la maitresse.
– C'est n'etre rien du tout, dit le troisieme, que d'etre macon. Tu auras beau devenir maitre, tu ne sortiras pas du peuple et du commun. Moi, je connais quelque chose de mieux: je deviendrai architecte. Je vivrai par l'intelligence, par la pensee: l'art sera mon domaine. Je serai au premier rang dans le royaume de l'esprit. Il est vrai qu'il me faudra commencer peniblement. Je serai d'abord apprenti menuisier; je porterai la casquette, et non le chapeau de soie noire; j'irai querir de la biere et de l'eau-de-vie pour les compagnons; ces marauds se permettront de me tutoyer; ce sera blessant. Mais je m'imaginerai que ce n'est qu'une farce de carnaval, le monde a l'envers; et le lendemain, c'est-a-dire quand je serai devenu compagnon, je suivrai mon chemin, j'entrerai a l'Academie des beaux-arts, j'apprendrai a dessiner, et me voila architecte! Quand on m'ecrira, on mettra sur l'adresse: Monsieur un tel bien ne, ou peut-etre meme tres bien ne. Il n'est pas impossible que l'on ajoute quelque chose a mon nom. Et je construirai, je construirai, aussi bien que les autres ont construit avant moi! Et je batirai ainsi ma fortune. C'est ce que j'appelle etre quelque chose.
– Ce que tu prends pour quelque chose, repartit le quatrieme frere, me parait bien peu et presque rien. Moi, je ne veux pas suivre le chemin battu par les autres; je ne veux pas etre un copiste. Je serai un genie original et createur. J'inventerai un nouveau style d'architecture. Je dresserai le plan des edifices selon le climat du pays, les materiaux qu'on y trouve, l'esprit national, le degre de civilisation. A tous les etages qu'on a coutume d'elever, j'ajouterai un dernier etage auquel je donnerai mon nom et qui eternisera ma renommee.