Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 26
– Le petit Kay est en effet chez la Reine des Neiges et il y est parfaitement heureux, il pense qu'il se trouve la dans le lieu le meilleur du monde, mais tout ceci vient de ce qu'il a recu un eclat de verre dans le coeur et une poussiere de verre dans l'oeil, il faut que ce verre soit extirpe sinon il ne deviendra jamais un homme et la Reine des Neiges conservera son pouvoir sur lui.
– Mais ne peux-tu faire prendre a Gerda un breuvage qui lui donnerait un pouvoir magique sur tout cela?
– Je ne peux pas lui donner un pouvoir plus grand que celui qu'elle a deja. Ne vois-tu pas comme il est grand, ne vois-tu pas comme les hommes et les animaux sont forces de la servir, comment pieds nus elle a reussi a parcourir le monde? Ce n'est pas par nous qu'elle peut gagner son pouvoir qui reside dans son coeur d'enfant innocente et gentille. Si elle ne peut pas par elle-meme entrer chez la Reine des Neiges et arracher les morceaux de verre du coeur et des yeux de Kay, nous, nous ne pouvons l'aider.
Le jardin de la Reine commence a deux lieues d'ici, conduis la petite fille jusque-la, fais-la descendre pres du buisson qui, dans la neige, porte des baies rouges, ne tiens pas de parlotes inutiles et reviens au plus vite.
Ensuite la femme finnoise souleva Gerda et la replaca sur le dos du renne qui repartit a toute allure.
– Oh! Je n'ai pas mes bottines, je n'ai pas mes moufles, criait la petite Gerda, s'en apercevant dans le froid cuisant.
Le renne n'osait pas s'arreter, il courait, il courait… Enfin il arriva au grand buisson qui portait des baies rouges, la il mit Gerda a terre, l'embrassa sur la bouche. De grandes larmes brillantes roulaient le long des joues de l'animal et il se remit a courir, aussi vite que possible pour s'en retourner.
Et voila! la pauvre Gerda, sans chaussures, sans gants, dans le terrible froid du Finmark.
Elle se mit a courir en avant aussi vite que possible mais un regiment de flocons de neige venaient a sa rencontre, ils ne tombaient pas du ciel qui etait parfaitement clair et ou brillait l'aurore boreale, ils couraient sur la terre et a mesure qu'ils s'approchaient, ils devenaient de plus en plus grands. Gerda se rappelait combien ils etaient grands et bien faits le jour ou elle les avait regardes a travers la loupe, mais ici ils etaient encore bien plus grands, effrayants, vivants, l'avant garde de la Reine des Neiges. Ils prenaient les formes les plus bizarres, quelques uns avaient l'air de grands herissons affreux, d'autres semblaient des noeuds de serpents avancant leurs tetes, d'autres ressemblaient a de gros petits ours au poil luisant. Ils etaient tous d'une eclatante blancheur.
Alors la petite Gerda se mit a dire sa priere. Le froid etait si intense que son haleine sortait de sa bouche comme une vraie fumee, cette haleine devint de plus en plus dense et se transforma en petits anges lumineux qui grandissaient de plus en plus en touchant la terre, ils avaient tous des casques sur la tete, une lance et un bouclier dans les mains, ils etaient de plus en plus nombreux. Lorsque Gerda eut fini sa priere ils formaient une legion autour d'elle. Ils combattaient de leurs lances les flocons de neige et les faisaient eclater en mille morceaux et la petite Gerda s'avanca d'un pas assure, intrepide. Les anges lui tapotaient les pieds et les mains, elle ne sentait plus le froid et marchait rapidement vers le chateau.
Maintenant il nous faut d'abord voir comment etait Kay. Il ne pensait absolument pas a la petite Gerda, et encore moins qu'elle put etre la, devant le chateau.
Septieme histoire Ce qui s'etait passe au chateau de la reine des neiges et ce qui eut lieu par la suite
Les murs du chateau etaient faits de neige pulverisee, les fenetres et les portes de vents coupants, il y avait plus de cent salles formees par des tourbillons de neige. La plus grande s'etendait sur plusieurs lieues, toutes etaient eclairees de magnifiques aurores boreales, elles etaient grandes, vides, glacialement froides et etincelantes.
Aucune gaiete ici, pas le plus petit bal d'ours ou le vent aurait pu souffler et les ours blancs marcher sur leurs pattes de derriere en prenant des airs distingues. Pas la moindre partie de cartes amenant des disputes et des coups, pas la moindre invitation au cafe de ces demoiselles les renardes blanches, les salons de la Reine des Neiges etaient vides, grands et glaces. Les aurores boreales luisaient si vivement et si exactement que l'on pouvait prevoir le moment ou elles seraient a leur apogee et celui ou, au contraire, elles seraient a leur decrue la plus marquee. Au milieu de ces salles neigeuses, vides et sans fin, il y avait un lac gele dont la glace etait brisee en mille morceaux, mais en morceaux si identiques les uns aux autres que c'etait une veritable merveille. Au centre tronait la Reine des Neiges quand elle etait a la maison. Elle disait qu'elle siegerait la sur le miroir de la raison, l'unique et le meilleur au monde.
Le petit Kay etait bleu de froid, meme presque noir, mais il ne le remarquait pas, un baiser de la reine lui avait enleve la possibilite de sentir le frisson du froid et son coeur etait un bloc de glace-ou tout comme. Il cherchait a droite et a gauche quelques morceaux de glace plats et coupants qu'il disposait de mille manieres, il voulait obtenir quelque chose comme nous autres lorsque nous voulons obtenir une image en assemblant de petites plaques de bois decoupees (ce que nous appelons jeu chinois ou puzzle). Lui aussi voulait former des figures et les plus compliquees, ce qu'il appelait le «jeu de glace de la raison» qui prenait a ses yeux une tres grande importance, par suite de l'eclat de verre qu'il avait dans l'oeil. Il formait avec ces morceaux de glace un mot mais n'arrivait jamais a obtenir le mot exact qu'il aurait voulu, le mot «Eternite». La Reine des Neiges lui avait dit:
– Si tu arrives a former ce mot, tu deviendras ton propre maitre, je t'offrirai le monde entier et une paire de nouveaux patins. Mais il n'y arrivait pas…
– Maintenant je vais m'envoler vers les pays chauds, dit la Reine, je veux jeter un coup d'oeil dans les marmites noires.
Elle parlait des volcans qui crachent le feu, l'Etna et le Vesuve.
– Je vais les blanchir; un peu de neige, cela fait partie du voyage et fait tres bon effet sur les citronniers et la vigne.
Elle s'envola et Kay resta seul dans les immenses salles vides. Il regardait les morceaux de glace et reflechissait, il reflechissait si intensement que tout craquait en lui, assis la raide, immobile, on aurait pu le croire mort, gele.
Et c'est a ce moment que la petite Gerda entra dans le chateau par le grand portail fait de vents aigus. Elle recita sa priere du soir et le vent s'apaisa comme s'il allait s'endormir. Elle entra dans la grande salle vide et glacee… Alors elle vit Kay, elle le reconnut, elle lui sauta au cou, le tint serre contre elle et elle criait:
– Kay! mon gentil petit Kay! je te retrouve enfin.
Mais lui restait immobile, raide et froid-alors Gerda pleura de chaudes larmes qui tomberent sur la poitrine du petit garcon, penetrerent jusqu'a son coeur, firent fondre le bloc de glace, entrainant l'eclat de verre qui se trouvait la.
Il la regarda, elle chantait le psaume:
Les roses poussent dans les vallees Ou l'enfant Jesus vient nous parler.
Alors Kay eclata en sanglots. Il pleura si fort que la poussiere de glace coula hors de son oeil. Il reconnut Gerda et cria debordant de joie:
– Gerda, chere petite Gerda, ou es-tu restee si longtemps? Ou ai-je ete moi-meme? Il regarda alentour.
– Qu'il fait froid ici, que tout est vide et grand.
Il se serrait contre sa petite amie qui riait et pleurait de joie. Un infini bonheur s'epanouissait, les morceaux de glace eux-memes dansaient de plaisir, et lorsque les enfants s'arreterent, fatigues, ils formaient justement le mot que la Reine des Neiges avait dit a Kay de composer: «Eternite». Il devenait donc son propre maitre, elle devait lui donner le monde et une paire de patins neufs.