Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 32
«Voila la vie qui recommence», pensait l'arbre, lorsqu'il sentit l'air frais, le premier rayon de soleil… et le voila dans la cour.
Tout se passa si vite! La cour se prolongeait par un jardin en fleurs. Les roses pendaient fraiches et odorantes par-dessus la petite barriere, les tilleuls etaient fleuris et les hirondelles voletaient en chantant: «Quivit, quivit, mon homme est arrive!» Mais ce n'etait pas du sapin qu'elles voulaient parler.
– Je vais revivre, se disait-il, enchante, etendant largement ses branches. Helas! elles etaient toutes fanees et jaunies. L'etoile de papier dore etait restee fixee a son sommet et brillait au soleil… Dans la cour jouaient quelques enfants joyeux qui, a Noel, avaient danse autour de l'arbre et s'en etaient rejouis. L'un des plus petits s'elanca et arracha l'etoile d'or.
– Regarde ce qui etait reste sur cet affreux arbre de Noel, s'ecria-t-il en pietinant les branches qui craquaient sous ses souliers.
L'arbre regardait la splendeur des fleurs et la fraiche verdure du jardin puis, enfin, se regarda lui-meme. Comme il eut prefere etre reste dans son coin sombre au grenier! Il pensa a sa jeunesse dans la foret, a la joyeuse fete de Noel, aux petites souris, si heureuses d'entendre l'histoire de Dumpe-le-Ballot.
«Fini! fini! Si seulement j'avais su etre heureux quand je le pouvais.»
Le valet debita l'arbre en petits morceaux, il en fit tout un grand tas qui flamba joyeusement sous la chaudiere. De profonds soupirs s'en echappaient, chaque soupir eclatait. Les enfants qui jouaient au-dehors entrerent s'asseoir devant le feu et ils criaient: Pif! Paf! a chaque craquement, le sapin, lui, songeait a un jour d'ete dans la foret ou a une nuit d'hiver quand les etoiles etincellent. Il pensait au soir de Noel, a Dumpe-le-Ballot, le seul conte qu'il eut jamais entendu et qu'il avait su repeter… et voila qu'il etait consume…
Les garcons jouaient dans la cour, le plus jeune portait sur la poitrine l'etoile d'or qui avait orne l'arbre au soir le plus heureux de sa vie. Ce soir etait fini, l'arbre etait fini, et l'histoire, aussi, finie, finie comme toutes les histoires.
Le schilling d'argent
I
Il y avait une fois un schilling. Lorsqu'il sortit de la Monnaie, il etait d'une blancheur eblouissante; il sauta, tinta: «Hourrah! dit-il, me voila parti pour le vaste monde!» Et il devait, en effet, parcourir bien des pays. Il passa dans les mains de diverses personnes. L'enfant le tenait ferme avec ses menottes chaudes. L'avare le serrait convulsivement dans ses mains froides. Les vieux le tournaient, le retournaient, Dieu sait combien de fois, avant de le lacher. Les jeunes gens le faisaient rouler avec insouciance. Notre schilling etait d'argent de bon aloi, presque sans alliage. Il y avait deja un an qu'il trottait par le monde, sans avoir quitte encore le pays ou on l'avait monnaye. Un jour enfin il partit en voyage pour l'etranger. Son possesseur l'emportait par megarde. Il avait resolu de ne prendre dans sa bourse que de la monnaie du pays ou il se rendait. Aussi fut-il surpris de retrouver, au moment du depart, ce schilling egare.»Ma foi, gardons-le, se dit-il, la-bas il me rappellera le pays!» Il laissa donc retomber au fond de la bourse le schilling, qui bondit et resonna joyeusement. Le voila donc parmi une quantite de camarades etrangers qui ne faisaient qu'aller et venir. Il en arrivait toujours de nouveaux avec des effigies nouvelles, et ils ne restaient guere en place. Notre schilling, au contraire, ne bougeait pas. On tenait donc a lui: c'etait une honorable distinction. Plusieurs semaines s'etaient ecoulees: le schilling avait fait deja bien du chemin a travers le monde, mais il ne savait pas du tout ou il se trouvait. Les pieces de monnaie qui survenaient lui disaient les unes qu'elles etaient francaises, les autres qu'elles etaient italiennes. Telle qui entrait lui apprit qu'on arrivait en telle ville; telle autre qu'on arrivait dans telle autre ville. Mais c'etait insuffisant pour se faire une idee du beau voyage qu'il faisait. Au fond du sac on ne voit rien, et c'etait le cas de notre schilling. Il s'avisa un jour que la bourse n'etait pas fermee. Il glissa vers l'ouverture pour tacher d'apercevoir quelque chose. Mal lui prit d'etre trop curieux. Il tomba dans la poche du pantalon; quand le soir son maitre se deshabilla, il en retira sa bourse, mais y laissa le schilling. Le pantalon fut mis dans l'antichambre, avec les autres habits, pour etre brosse par le garcon d'hotel. Le schilling s'echappa de la poche et roula par terre; personne ne l'entendit, personne ne le vit. Le lendemain, les habits furent rapportes dans la chambre. Le voyageur les revetit, quitta la ville, laissant la le schilling perdu. Quelqu'un le trouva et le mit dans son gousset, pensant bien s'en servir.» Enfin, dit le schilling, je vais donc circuler de nouveau et voir d'autres hommes, d'autres moeurs et d'autres usages que ceux de mon pays!» Lorsqu'il fut sur le point de passer en de nouvelles mains, il entendit ces mots: «Qu'est-ce que cette piece? Je ne connais pas cette monnaie. C'est probablement une piece fausse; je n'en veux pas: elle ne vaut rien.» C'est en ce moment que commencent en realite les aventures du schilling, et voici comme il racontait plus tard a ses camarades les traverses qu'il avait essuyees.
II
«Elle est fausse, elle ne vaut rien!» A ces mots, disait le schilling, je vibrai d'indignation. Ne savais-je pas bien que j'etais de bon argent, que je sonnais bien et que mon empreinte etait loyale et authentique? Ces gens se trompent, pensais-je; ou plutot ce n'est pas de moi qu'ils parlent. Mais non, c'etait bien de moi-meme qu'il s'agissait, c'etait bien moi qu'ils accusaient d'etre une piece fausse!» Je la passerai ce soir a la faveur de l'obscurite, «se dit l'homme qui m'avait ramasse.» C'est ce qu'il fit en effet; le soir on m'accepta sans mot dire. Mais le lendemain on recommenca a m'injurier de plus belle: «Mauvaise piece, disait-on, tachons de nous en debarrasser.» «Je tremblais entre les doigts des gens qui cherchaient a me glisser furtivement a autrui.»Malheureux que je suis! m'ecriais-je. A quoi me sert-il d'etre si pur de tout alliage, d'avoir ete si nettement frappe! On n'est donc pas estime, dans le monde, a sa juste valeur, mais d'apres l'opinion qu'on se forme de vous. Ce doit etre bien affreux d'avoir la conscience chargee de fautes, puisque, meme innocent, on souffre a ce point d'avoir seulement l'air coupable!» Chaque fois qu'on me produisait a la lumiere pour me mettre en circulation, je fremissais de crainte. Je m'attendais a etre examine, scrute, pese, jete sur la table, dedaigne et injurie comme l'oeuvre du mensonge et de la fraude.» J'arrivai ainsi entre les mains d'une pauvre vieille femme. Elle m'avait recu pour salaire d'une rude journee de travail. Impossible de tirer parti de moi! Personne ne voulait me recevoir. C'etait une perte serieuse pour la pauvre vieille.» Me voila donc reduite, se dit-elle, a tromper quelqu'un en lui faisant accepter cette piece fausse. C'est bien contre mon gre, mais je ne possede rien et je ne puis me permettre le luxe de conserver un mauvais schilling. Ma foi, je vais le donner au boulanger qui est si riche: cela lui fera moins de tort qu'a n'importe qui. C'est mal neanmoins ce que je fais.» «Faut-il que j'aie encore le malheur de peser sur la conscience de cette brave femme! me dis-je en soupirant. Ah! qui aurait suppose, en me voyant si brillant dans mon jeune temps, qu'un jour je descendrais si bas?» «La vieille femme entra chez l'opulent boulanger; celui-ci connaissait trop bien les pieces ayant cours pour se laisser prendre: il me jeta a la figure de la pauvre vieille, qui s'en alla honteuse et sans pain. C'etait pour moi le comble de l'humiliation! J'etais desole et navre, comme peut l'etre un schilling meprise, dont personne ne veut.» La bonne femme me reprit pourtant, et, de retour chez elle, elle me regarda de son regard bienveillant: «Non, dit-elle, je ne veux plus chercher a attraper personne; je vais te trouer pour que chacun voie bien que tu es une piece fausse. Mais l'idee m'en vient tout a coup: qui sait? Ne serais-tu pas une de ces pieces de monnaie qui portent bonheur? J'en ai comme un pressentiment. Oui, c'est cela, je vais te percer au milieu, et passer un ruban par le trou; je t'attacherai au cou de la petite fille de la voisine et tu lui porteras bonheur.» «Elle me transperca comme elle l'avait dit, et ce ne fut pas pour moi une sensation agreable. Toutefois, de ceux dont l'intention est bonne on supporte bien des choses. Elle passa le ruban par le trou: me voila transforme en une sorte de medaillon, et l'on me suspend au cou de la petite qui, toute joyeuse, me sourit et me baise. Je passai la nuit sur le sein innocent de l'enfant.» Le matin venu, sa mere me prit entre les doigts, me regarda bien. Elle avait son idee sur moi, je le devinai aussitot. Elle prit des ciseaux et coupa le ruban.» Ah! tu es un schilling qui porte bonheur! dit-elle. C'est ce que nous verrons.» «Elle me plongea dans du vinaigre. Oh, le bain penible que je subis! J'en devins verdatre. Elle mit ensuite du mastic dans le trou, et, sur le crepuscule, alla chez le receveur de la loterie afin d'y prendre un billet. Je m'attendais a un nouvel affront. On allait me rejeter avec dedain, et cela devant une quantite de pieces fieres de leur eclat. J'echappai a cet affront. Il y avait beaucoup de monde chez le receveur; il ne savait qui entendre; il me lanca parmi les autres pieces, et, comme je rendis un bon son d'argent, tout fut dit. J'ignore si le billet de la voisine sortit au premier tirage, mais ce que je sais bien, c'est que, le lendemain, je fus reconnu de nouveau pour une mauvaise piece et mis a part pour etre passe en fraude.» Mes miserables peregrinations recommencerent. Je roulai de main en main, de maison en maison, insulte, mal vu de tout le monde. Personne n'avait confiance en moi, et je finis par douter de ma propre valeur. Dieu, quel affreux temps ce fut la!» «Arrive un voyageur etranger. On s'empresse naturellement de lui passer la mauvaise piece, qu'il prend sans la regarder. Mais quand il veut me donner a son tour, chacun se recrie: «Elle est fausse, elle ne vaut rien!» Voila les affligeantes paroles que je fus condamne pour la centieme fois a entendre.» On me l'a pourtant donnee pour bonne», dit l'etranger en me considerant avec attention. Un sourire s'epanouit tout a coup sur ses levres. C'etait extraordinaire; toute autre etait l'impression que je produisais habituellement sur ceux qui me regardaient.»Tiens! s'ecria-t-il, c'est une piece de mon pays, un brave et honnete schilling. On l'a troue; on l'a traite comme une piece fausse. Je vais le garder et je le remporterai chez nous.» «Je fus, a ces mots, penetre de la joie la plus vive. Depuis longtemps je n'etais plus accoutume a recevoir des marques d'estime. On m'appelait un brave et honnete schilling, et bientot je retournerais dans mon pays, ou tout le monde me ferait fete comme autrefois. Je crois que, dans mon transport, j'aurais lance des etincelles si ma substance l'avait permis.» Je fus enveloppe dans du beau papier de soie, afin de ne plus etre confondu avec les autres monnaies; et lorsque mon possesseur rencontrait des compatriotes, il me montrait a eux; tous disaient du bien de moi, et l'on pretendait meme que mon histoire etait interessante.» Enfin j'arrivai dans ma patrie. Toutes mes peines furent finies, et je repris un nouveau plaisir a l'existence. Je n'eprouvais plus de contrarietes; je ne subissais plus d'affronts. J'avais l'apparence d'une piece fausse a cause du trou dont j'etais perce; mais cela n'y faisait rien; on s'assurait tout de suite que j'etais de bon aloi et l'on me recevait partout avec plaisir.» Ceci prouve qu'avec la patience et le temps, on finit toujours par etre apprecie a sa veritable valeur.» C'est vraiment ma conviction», dit le schilling en terminant son recit.