Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian. Страница 17

C'etait vraiment une jolie comedie, mais a l'instant ou la reine se levait et commencait a marcher, le chien fit un bond jusqu'au milieu de la scene, happa la reine par sa fine taille. On entendit: cric! crac! C'etait affreux!

Le pauvre directeur de theatre fut tout effraye et desole pour sa reine, la plus ravissante de ses marionnettes, a laquelle le vilain bouledogue avait coupe la tete d'un coup de dents. Mais ensuite, tandis que le public s'ecoulait, le compagnon de voyage de Johannes declara qu'il pourrait reparer et, sortant son pot, il la graissa avec l'onguent qui avait gueri la pauvre vieille femme a la jambe cassee. Aussitot graissee, la poupee fut en bon etat, bien plus, elle pouvait remuer elle-meme ses membres delicats-on n'avait nul besoin de tenir sa ficelle-, elle etait semblable a une personne vivante, a la parole pres. Le proprietaire du theatre etait enchante, il n'avait plus besoin de manoeuvrer cette poupee, elle dansait parfaitement toute seule ce dont les autres etaient bien incapables.

La nuit venue, tout le monde etant couche dans l'auberge, quelqu'un se mit a pousser des soupirs si profonds et pendant si longtemps que tout le monde se releva pour voir qui pouvait bien se plaindre ainsi. L'homme qui avait donne la comedie alla vers son petit theatre d'ou provenaient les soupirs. Toutes les marionnettes-le roi, les gardes-, gisaient la, pele-mele, et c'etaient elles qui soupiraient si lamentablement, dardant leurs gros yeux de verre, elles desiraient si fort etre un peu graissees comme la reine afin de pouvoir remuer toutes seules. La reine emue tomba sur ses petits genoux et elevant sa ravissante couronne d'or, supplia:

– Prenez-la, au besoin, mais graissez mon mari et les gens de ma cour!

A cette priere, le pauvre proprietaire du theatre et de la troupe de marionnettes ne put retenir ses larmes tant il avait de la peine, il promit au compagnon de route de lui donner toute la recette du lendemain soir s'il voulait seulement graisser quatre ou cinq de ses plus belles poupees. Le compagnon cependant affirma ne rien demander si ce n'est le grand sabre que l'autre portait a son cote et des qu'il l'eut obtenu, il graissa six poupees, lesquelles se mirent aussitot a danser et cela avec tant de grace que toutes les jeunes filles, les vivantes, qui les regardaient, se mirent a danser aussi. Le cocher dansait avec la cuisiniere, le valet avec la femme de chambre, et la pelle a feu avec la pincette, mais ces deux dernieres s'ecroulerent des le premier saut. Quelle joyeuse nuit!

Le lendemain Johannes partit avec son camarade. Quittant toute la compagnie, ils grimperent sur les montagnes et traverserent les grandes forets de sapins. Ils monterent si haut qu'a la fin les clochers d'eglises au-dessous d'eux semblaient de petites baies rouges perdues dans la verdure et la vue s'etendait loin.

Johannes n'avait encore jamais vu d'un coup une si grande et si belle etendue de merveilles de ce monde, le soleil brillait et rechauffait dans la fraicheur de l'air bleu, le son des cors de chasse a travers les monts etait si beau que des larmes d'heureuse emotion montaient a ses yeux et qu'il ne pouvait que repeter:

– Notre-Seigneur misericordieux, je voudrais t'embrasser. Toi si bon pour nous tous qui nous fais don de tout ce bonheur et de ces delices!

Le camarade, debout, joignait aussi les mains, admirant les forets et les villes.

A cet instant, ils entendirent une musique exquise et etrange et, levant les yeux, ils virent un grand cygne blanc planant dans l'air. Il etait si beau et chantait comme ils n'avaient encore jamais entendu chanter un oiseau mais il s'affaiblissait de plus en plus, il pencha sa tete et vint tomber mort a leurs pieds.

– Deux ailes magnifiques, si blanches et si grandes, cela vaut de l'argent, je vais les emporter, dit le compagnon de route.

Il trancha d'un coup les deux ailes du cygne mort, il voulait les conserver. Leur voyage les mena encore des lieues et des lieues par-dessus les montagnes, enfin ils virent devant eux une grande ville aux cent tours qui etincelaient dit le compagnon de route comme de l'argent sous les rayons du soleil. Au centre de la ville s'elevait un magnifique palais de marbre, a la toiture d'or rouge. La vivait le roi.

Johannes et son camarade s'arreterent hors des portes a une auberge pour faire un brin de toilette et avoir bonne apparence en arrivant dans les rues. L'hotelier leur raconta que le roi etait un brave homme mais que sa fille etait une tres mechante princesse. Belle, elle l'etait certainement, mais a quoi bon puisqu'elle etait si mauvaise, une veritable sorciere responsable de la mort de tant de beaux princes.

Elle avait donne permission a tout le monde de pretendre a sa main. Chacun pouvait venir, prince ou gueux, qu'importe! Mais il leur fallait repondre a trois questions qu'elle posait. Celui qui donnerait la bonne reponse deviendrait son epoux et il regnerait sur le pays apres la mort de son pere, mais celui qui ne repondrait pas etait pendu ou avait la tete tranchee.

Son pere, le roi, en etait profondement afflige, mais il ne pouvait lui defendre d'etre si mauvaise car il avait dit une fois pour toutes qu'il n'aurait jamais rien a faire avec ses pretendants et qu'elle pouvait, a ce sujet, agir a sa guise. Chaque fois que venait un prince qui briguait la main de la princesse, il ne reussissait jamais et il etait pendu ou avait la tete tranchee quoiqu'on l'eut averti a temps et qu'il eut pu renoncer a sa demande. Le vieux roi etait si malheureux de toute cette desolation qu'il restait, tous les ans, une journee entiere a genoux avec tous ses soldats, a prier pour que la princesse devint bonne, mais elle ne changeait en rien. Les vieilles femmes qui buvaient de l'eau-de-vie la coloraient en noir avant de boire pour marquer ainsi leur deuil… elles ne pouvaient faire davantage.

– Quelle vilaine princesse! dit Johannes, elle meriterait d'etre fouettee, cela lui ferait du bien. Si j'etais le vieux roi elle en verrait de belles.

A cet instant, on entendit le peuple crier: «Hourra!» La princesse passait et elle etait si parfaitement belle que tous oubliaient sa mechancete et l'acclamaient. Douze ravissantes demoiselles vetues de robes de soie blanche, montees sur des chevaux d'un noir de jais, l'accompagnaient. La princesse elle-meme avait un cheval tout blanc pare de diamants et de rubis, son costume d'amazone etait tisse d'or pur et la cravache qu'elle tenait a la main etait comme un rayon de soleil. Le cercle d'or de sa couronne semblait serti de petites etoiles du ciel et sa cape cousue de milliers d'ailes de papillons.

Lorsque Johannes l'apercut, son visage devint rouge comme un sang qui coule, il put a peine articuler un mot. La princesse ressemblait exactement a cette adorable jeune fille couronnee d'or dont il avait reve la nuit de la mort de son pere. Il la trouvait si belle qu'il ne put se defendre de l'aimer. Il pensait qu'il n'etait certainement pas vrai qu'elle put etre une mechante sorciere faisant pendre ou decapiter les gens s'ils ne devinaient pas l'enigme.

– Chacun a le droit de pretendre a sa main, meme le plus pauvre des gueux, moi je monterai au chateau, c'est plus fort que moi.

Tout le monde lui deconseilla de le faire. Le compagnon de route l'en detourna egalement mais Johannes etait d'avis que tout irait bien, il brossa ses chaussures et son habit, lava son visage et ses mains, peigna avec soin ses beaux cheveux blonds et partit tout seul vers la ville pour monter au chateau.

– Entrez, dit le vieux roi lorsque Johannes frappa a la porte.

Le jeune homme ouvrit et le vieux roi, en robe de chambre et pantoufles brodees, vint a sa rencontre, couronne d'or sur la tete, sceptre dans une main et pomme d'or dans l'autre.

– Attendez! fit-il prenant la pomme d'or sous le bras pour pouvoir tendre la main.

Mais quand il eut appris que c'etait encore un pretendant, il se mit a pleurer si fort que le sceptre et la pomme roulerent a terre, il dut s'essuyer les yeux.