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Gottfried August Burger
Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre)
Traduction Theophile Gautier fils
Publication originale, 1786.
PREFACE
Les Aventures du baron de Munchhausen jouissent en Allemagne d’une celebrite populaire qu’elles ne sauraient manquer, nous l’esperons du moins, d’acquerir bientot en France, malgre leur forte saveur germanique, et peut-etre a cause meme de cela: le genie des peuples se revele surtout dans la plaisanterie. Comme les ?uvres serieuses chez toutes les nations ont pour but la recherche du beau qui est un de sa nature, elles se ressemblent necessairement davantage, et portent moins nettement imprime le cachet de l’individualite ethnographique. Le comique, au contraire, consistant dans une deviation plus ou moins accentuee du modele ideal, offre une multiplicite singuliere des ressources: car il y a mille facons de ne pas se conformer a l’archetype. La gaiete francaise n’a aucun rapport avec l’humour britannique; le witz allemand differe de la bouffonnerie italienne, et le caractere de chaque nationalite s’y montre dans son libre epanchement. Le baron de Munchhausen, en depit de ses hableries incroyables, n’a nul lien de parente avec le baron de Crac, autre illustre menteur. La blague francaise, qu’on nous pardonne d’employer ce mot, lance sa fusee, petille et mousse comme du vin de Champagne, mais bientot elle s’eteint, laissant a peine au fond de la coupe deux ou trois perles de liqueur. Cela serait trop leger pour des gosiers allemands habitues aux fortes bieres et aux apres vins du Rhin: il leur faut quelque chose de plus substantiel, de plus epais, de plus capiteux. La plaisanterie, pour faire impression sur ces cerveaux pleins d’abstractions, de reves et de fumee, a besoin de se faire un peu lourde; il faut qu’elle insiste, qu’elle revienne a la charge, et ne se contente pas de demi-mots qui ne seraient pas compris. Le point de depart de la plaisanterie allemande est cherche, peu naturel, d’une bizarrerie compliquee, et demande beaucoup d’explications prealables assez laborieuses; mais la chose une fois posee, vous entrez dans un monde etrange, grimacant, fantasque, d’une originalite chimerique dont vous n’aviez aucune idee. C’est la logique de l’absurde poursuivie avec une outrance qui ne recule devant rien. Des details d’une verite etonnante, des raisons de l’ingeniosite la plus subtile, des attestations scientifiques d’un serieux parfait servent a rendre probable l’impossible. Sans doute, on n’arrive pas a croire les recits du baron de Munchhausen, mais a peine a-t-on entendu deux ou trois de ses aventures de terre ou de mer, qu’on se laisse aller a la candeur honnete et minutieuse de ce style, qui ne serait pas autre, s’il avait a raconter une histoire vraie. Les inventions les plus monstrueusement extravagantes prennent un certain air de vraisemblance, deduites avec cette tranquillite naive et cet aplomb parfait. La connexion intime de ces mensonges qui s’enchainent si naturellement les uns aux autres finit par detruire chez le lecteur le sentiment de la realite, et l’harmonie du faux y est poussee si loin qu’elle produit une illusion relative semblable a celle que font eprouver les Voyages de Gulliver a Lilliput et a Brobdingnag, ou bien encore l’Histoire veritable de Lucien, type antique de ces recits fabuleux tant de fois imites depuis.
THEOPHILE GAUTIER
CHAPITRE PREMIER Voyage en Russie et a Saint-Petersbourg.
J’entrepris mon voyage en Russie au milieu de l’hiver, ayant fait ce raisonnement judicieux que, par le froid et la neige, les routes du nord de l’Allemagne, de la Pologne, de la Courlande et de la Livonie, qui, selon les descriptions des voyageurs, sont plus impraticables encore que le chemin du temple de la vertu, s’ameliorant sans qu’il en coute rien a la sollicitude des gouvernements. Je voyageais a cheval, ce qui est assurement le plus agreable mode de transport, pourvu toutefois que le cavalier et la bete soient bons: de cette facon, on n’est pas expose a avoir d’affaires d’honneur avec quelque honnete maitre de poste allemand, ni force de sejourner devant chaque cabaret, a la merci d’un postillon altere. J’etais legerement vetu, ce dont je me trouvai assez mal, a mesure que j’avancais vers le nord-est.
Representez-vous maintenant, par ce temps apre, sous ce rude climat, un pauvre vieillard gisant sur le bord desole d’une route de Pologne, expose a un vent glacial, ayant a peine de quoi couvrir sa nudite.
L’aspect de ce pauvre homme me navra l’ame: et quoiqu’il fit un froid a me geler le c?ur dans la poitrine, je lui jetai mon manteau. Au meme instant, une voix retentit dans le ciel, et, me louant de ma misericorde, me cria: «Le diable m’emporte, mon fils, si cette bonne action reste sans recompense.»
Je continuai mon voyage, jusqu’a ce que la nuit et les tenebres me surprissent. Aucun signe, aucun bruit, qui m’indiquat la presence d’un village: le pays tout entier etait enseveli sous la neige, et je ne savais pas ma route.
Harasse, n’en pouvant plus, je me decidai a descendre de cheval; j’attachai ma bete a une sorte de pointe d’arbre qui surgissait de la neige. Je placai, par prudence, un de mes pistolets sous mon bras, et je m’etendis sur la neige. Je fis un si bon somme, que, lorsque je rouvris les yeux, il faisait grand jour. Quel fut mon etonnement lorsque je m’apercus que je me trouvais au milieu d’un village, dans le cimetiere! Au premier moment, je ne vis point mon cheval, quand, apres quelques instants, j’entendis hennir au-dessus de moi. Je levai la tete, et je pus me convaincre que ma bete etait suspendue au coq du clocher. Je me rendis immediatement compte de ce singulier evenement: j’avais trouve le village entierement recouvert par la neige; pendant la nuit, le temps s’etait subitement adouci, et, tandis que je dormais, la neige, en fondant, m’avait descendu tout doucement jusque sur le sol; ce que, dans l’obscurite, j’avais pris pour une pointe d’arbre, n’etait autre chose que le coq du clocher. Sans m’embarrasser davantage, je pris un de mes pistolets, je visai la bride, je rentrai heureusement par ce moyen en possession de mon cheval, et poursuivis mon voyage.
Tout alla bien jusqu’a mon arrivee en Russie, ou l’on n’a pas l’habitude d’aller a cheval en hiver. Comme mon principe est de me conformer toujours aux usages des pays ou je me trouve, je pris un petit traineau a un seul cheval, et me dirigeai gaiement vers Saint-Petersbourg.
Je ne sais plus au juste si c’etait en Estonie ou en Ingrie, mais je me souviens encore parfaitement que c’etait au milieu d’une effroyable foret, que je me vis poursuivi par un enorme loup, rendu plus rapide encore par l’aiguillon de la faim. Il m’eut bientot rejoint; il n’etait plus possible de lui echapper: je m’etendis machinalement au fond du traineau, et laissai mon cheval se tirer d’affaire et agir au mieux de mes interets. Il arriva ce que je presumais, mais que je n’osais esperer. Le loup, sans s’inquieter de mon faible individu, sauta par-dessus moi, tomba furieux sur le cheval, dechira et devora d’un seul coup tout l’arriere-train de la pauvre bete, qui, poussee par la terreur et la douleur, n’en courut que plus vite encore. J’etais sauve! Je relevai furtivement la tete, et je vis que le loup s’etait fait jour a travers le cheval a mesure qu’il le mangeait: l’occasion etait trop belle pour la laisser echapper; je ne fis ni une ni deux, je saisis mon fouet, et je me mis a cingler le loup de toutes mes forces: ce dessert inattendu ne lui causa pas une mediocre frayeur; il s’elanca en avant de toute vitesse, le cadavre de mon cheval tomba a terre et – voyez la chose etrange! – mon loup se trouva engage a sa place dans le harnais. De mon cote, je n’en fouettai que de plus belle, de sorte que, courant de ce train-la, nous ne tardames pas a atteindre sains et saufs Saint-Petersbourg, contre notre attente respective, et au grand etonnement des passants.