Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo. Страница 25
Mortifie qu’on puisse le prendre pour un crabe, Pinocchio intervint, irrite:
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire de crabe? C’est une drole de facon de me traiter! Vous ne voyez pas que je suis une marionnette?
– Une marionnette? – repondit le pecheur – A vrai dire, c’est la premiere fois que je vois un poisson-marionnette! Mais c’est tres bien ainsi. Je ne t’en degusterai que plus volontiers?
– Me deguster? Mais je me tue a vous dire que je ne suis pas un poisson! Vous n’entendez pas que je parle et que je raisonne comme vous?
– Ma foi, c’est vrai – admit le pecheur – Et comme je vois que tu es un poisson qui parle et raisonne comme moi, tu auras droit a tous les egards dus a ton espece.
– C’est a dire?
– Eh bien, parce que tu as toute mon amitie et toute mon estime, je te laisse choisir la maniere dont tu souhaites etre cuisine. Veux-tu etre frit a la poele ou cuit au court-bouillon et accompagne de sauce tomate?
– Pour tout dire – fit remarquer Pinocchio – si vraiment j’avais le choix, je prefererais etre libre de rentrer chez moi.
– Tu plaisantes? Tu crois que je vais laisser passer l’occasion de manger un poisson aussi rare que toi? C’est pas tous les jours que l’on trouve un poisson-marionnette dans la mer. Bon, laisse-moi faire: je te ferai frire avec les autres et tu en seras content. Etre frit avec de la compagnie est toujours une consolation.
L’adage ne consola point le malheureux Pinocchio qui se mit a pleurer, disant entre deux sanglots:
– Ah! Que ne suis-je alle a l’ecole au lieu d’ecouter mes camarades! Hi! Hi! Hi!
Comme il se tordait comme une anguille pour tenter d’echapper aux griffes du pecheur, ce dernier lui lia les chevilles et les poignets avec du jonc et le jeta avec les autres poissons.
Puis, etalant de la farine sur une planche en bois, il en saupoudra tous les poissons avant de les mettre a frire dans la poele.
Les premiers a danser dans l’huile bouillante furent les pauvres rougets. Ensuite arriverent les merlans, les vives, les mulets, les soles, les anchois, puis vint le tour de Pinocchio qui, se sentant si proche de la mort (et de quelle affreuse mort!), etait pris de tels tremblements qu’il n’avait plus de force ni de voix pour se plaindre.
Le pauvre enfant n’avait plus que ses yeux pour supplier le pecheur.
Mais le pecheur, insensible, le roula cinq-six fois dans la farine, si bien que Pinocchio finit par ressembler a une marionnette en platre.
Puis il l’attrapa par la tete et…
Chapitre 29
Alors que le pecheur etait sur le point de jeter Pinocchio dans la poele entra un gros chien attire par la forte et appetissante odeur de friture.
– Va-t-en! – lui cria le pecheur qui tenait toujours la marionnette enfarinee a la main.
Le pauvre chien avait une faim de loup. Il gemissait doucement en remuant la queue, semblant dire: «Donne-moi un peu de cette friture et je te laisse tranquille.»
– Va-t-en, je te dis! – repeta le pecheur qui lui decocha un coup de pied.
Mais ce chien n’avait pas l’habitude de se laisser brutaliser, surtout quand il avait faim. Menacant, il gronda et montra ses terribles crocs.
A ce moment-la, une petite voix mourante se fit entendre:
– Sauve-moi, Alidor!… Sinon, je suis cuit!
Le chien reconnut tout de suite la voix de Pinocchio et comprit, a sa grande surprise, qu’elle venait de cette espece de paquet ficele et enfarine que tenait le pecheur.
Que fit le chien? Il bondit, attrapa l’objet plein de farine et, le tenant avec precaution entre ses dents, sortit de la grotte en un eclair.
Le pecheur, furieux de se voir subtiliser un poisson qu’il avait tant envie de manger, tenta de rattraper le chien, mais il fut pris tres vite d’une quinte de toux et il revint sur ses pas.
Alidor courut jusqu’au sentier qui menait au village, s’arreta et deposa delicatement l’ami Pinocchio sur le sol.
– Comment te remercier? – demanda la marionnette.
– Ne cherche pas. – repondit le dogue – Tu m’as sauve la vie. Or un bienfait n’est jamais perdu. Il faut bien s’entraider en ce bas monde.
– Mais comment as-tu fait pour me trouver?
– J’etais couche sur la plage, plus mort que vif, quand le vent a apporte une odeur de friture qui m’a ouvert l’appetit. Alors, j’ai suivi ces effluves qui m’ont mene a la grotte. Si jamais j’etais arrive une minute plus tard!…
– Ne dis pas ca! – hurla Pinocchio qui tremblait encore de tout son etre – Une minute plus tard, j’etais bel et bien frit, mange et digere. Brrr! J’en ai la chair de poule rien que d’y penser!
En riant, Alidor tendit sa patte droite a la marionnette qui la serra avec effusion, puis ils se quitterent.
Le chien reprit sa route pour rentrer et Pinocchio, reste seul, se dirigea vers une chaumiere qui se trouvait non loin de la. Sur le seuil, un vieil homme se rechauffait au soleil. Il s’adressa a lui:
– Dites-moi, Monsieur, auriez-vous entendu parler d’un pauvre garcon blesse a la tete qui s’appelle Eugene?
– Mais oui. Ce garcon a ete amene ici par des pecheurs. Mais a present…
– Il est mort! – l’interrompit Pinocchio qui ressentit une vive douleur.
– Pas du tout! Il est vivant et il est rentre chez lui.
– Vraiment? Vraiment? – s’exclama la marionnette qui sauta de joie – Alors, sa blessure n’etait pas grave?
– Cela aurait pu etre tres grave, et meme mortel – repondit le vieux monsieur – car il a recu sur la tete un gros livre relie en carton.
– Qui donc a fait cela?
– L’un de ses camarades d’ecole, un certain Pinocchio.
– Pinocchio? Qui est-ce? – questionna l’interesse qui faisait l’ignorant.
– On dit que c’est un sale gosse, un vagabond, un vrai casse-cou…
– Calomnies! Ce sont des calomnies!
– Ah bon? Tu le connais, toi, ce Pinocchio?
– De vue…
– Puisque tu le connais, qu’en penses-tu?
– Pour moi, c’est un enfant modele, plein de bonne volonte pour travailler, obeissant, affectueux avec son papa et tous les siens…