Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo. Страница 29

– D’accord! Faites-moi un peu de place. Je pars avec vous.

– C’est complet – fit remarquer le cocher – mais comme tu es le bienvenu, je te cede volontiers mon siege.

– Mais vous?

– Moi, j’irai a pied.

– Non, non. Ne vous derangez pas. Je vais grimper sur le dos de l’un de ces anes.

Sitot dit, sitot fait. Choisissant l’une des deux betes de tete, Pinocchio s’appretait a la monter quand l’animal, sans prevenir, lui donna un grand coup de museau dans l’estomac, l’envoyant valdinguer les quatre fers en l’air.

Vous imaginez l’enorme eclat de rire et les quolibets des enfants entasses dans la charrette qui avaient tout vu!

Seul le petit homme ne rit pas. Affectant la plus grande tendresse, il s’approcha de l’ane rebelle et fit semblant de l’embrasser. En realite, il lui mordit l’oreille droite et lui en arracha la moitie.

Au meme moment, Pinocchio se relevait, furieux, et sautait d’un bond sur le dos du pauvre animal. Le saut avait ete si beau que les enfants cesserent de rire, se mirent a crier «Vive Pinocchio!» et a applaudir a tout rompre.

Mais, sans crier gare, l’ane rua de ses deux pattes arriere et ejecta la marionnette qui se retrouva sur un tas de graviers au milieu de la route.

De nouveau les rires fuserent. Seul le cocher resta imperturbable tout en manifestant la meme tendresse pour l’indiscipline en allant lui couper net la moitie de l’autre oreille. Ceci fait, il se tourna vers Pinocchio:

– N’aie pas peur et remonte! Cette bete avait en tete des idees malsaines mais je lui ai glisse deux mots a l’oreille. Maintenant elle restera tranquille et sera raisonnable.

La marionnette regrimpa donc sur le dos du petit ane et la charrette demarra.

Or, pendant que l’attelage galopait sur la grande route pierreuse, Pinocchio crut entendre une voix etouffee, a peine intelligible, qui lui disait:

– Pauvre idiot! Tu as voulu n’en faire qu’a ta tete, mais tu le regretteras!

Apeuree, la marionnette regarda autour d’elle pour savoir qui avait bien pu parler ainsi. Elle ne vit personne: les anons trottaient, la charrette roulait et les enfants dormaient. La Meche ronflait comme un loir et le cocher chantonnait sur son siege:

«La nuit, tout le monde dort! Moi, je ne dors jamais…»

Cinq cents metres plus loin, Pinocchio entendit encore la meme voix sourde:

– Tiens-toi-le pour dit, petit imbecile! Les enfants qui arretent de travailler, qui se moquent des livres, de l’ecole et des maitres, qui ne pensent qu’a jouer et a s’amuser finissent toujours dans le malheur! Je le sais par experience. Je peux donc te l’affirmer. Viendra le jour ou tu pleureras, toi aussi, comme je pleure, moi, aujourd’hui… Mais ce sera trop tard!

Plus effraye que jamais par ces murmures, Pinocchio quitta la croupe de sa monture pour aller s’agripper a son cou.

Et la, quel ne fut pas son etonnement quand il se rendit compte que le petit ane pleurait… Et qu’il pleurait comme un enfant!

– He! Ho! Monsieur le petit bonhomme! – cria alors Pinocchio au charretier – Vous savez quoi? Eh bien, cet ane pleure.

– Laisse-le pleurer. Il rira le jour de ses noces.

– Peut-etre lui avez-vous aussi appris a parler?

– Non. Il a appris tout seul a balbutier quelques mots car il a vecu trois ans avec des chiens savants.

– Pauvre bete!

– Allez, allez… On ne va pas perdre notre temps a regarder pleurer un ane. Remets-toi d’aplomb que l’on puisse repartir. La nuit est fraiche et la route est longue.

La marionnette obeit sans ajouter un mot et la charrette reprit sa course. Le lendemain, au lever du jour, ils arriverent sans encombre au Pays des Jouets.

Ce pays ne ressemblait a aucun autre. Il n’y avait que des enfants. Les plus vieux avaient quatorze ans, les plus jeunes a peine huit. Dans les rues ce n’etaient que bonne humeur, tapages et cris a vous crever le tympan! Des bandes de gamins partout jouant aux osselets, a la marelle, au ballon, faisant du velo ou du cheval de bois, ayant organise une partie de colin-maillard ou se courant apres. Certains chantaient, d’autres faisaient des sauts perilleux ou s’amusaient a marcher sur les mains. Un general au casque fabrique avec du feuillage passait en revue un escadron en papier mache. On riait, on hurlait, on s’appelait, on battait des mains, on sifflait, on imitait le chant de la poule venant de pondre un ?uf… Le boucan etait tel qu’il aurait fallu se mettre du coton dans les oreilles pour ne pas devenir sourd. Sur chaque place, il y avait un spectacle sous tente qui attirait tout au long de la journee une foule d’enfants et sur les murs des maisons on pouvait lire, tracees au charbon, de jolies choses comme: «Vive les joues» (au lieu de «jouets»), «On ne veu plus des colles» (au lieu de «On ne veut plus d’ecole»), «A bas Lari Temetique» (au lieu de «A bas l’arithmetique») et autres perles de ce genre.

Pinocchio, La Meche et tous les enfants qui etaient dans la charrette du petit homme se fondirent dans cette cohue des qu’ils furent dans la ville et ils n’eurent aucun mal, comme on peut le deviner, a devenir les amis de tout le monde. Impossible d’etre plus heureux qu’eux!

Jeux et divertissements ne cessant jamais, les heures, les jours et les semaines filaient a toute vitesse.

– Quelle belle vie! – s’exclamait Pinocchio a chaque fois qu’il croisait La Meche.

– Tu vois que j’avais raison – repliquait l’autre – Et dire que tu ne voulais pas venir! Que tu t’etais mis dans la tete de retourner chez la fee et de perdre ton temps a etudier! Si aujourd’hui tu ne t’ennuies plus avec les livres et l’ecole, c’est bien grace a moi et a mes conseils, d’accord? Seuls les vrais amis savent rendre de tels services.

– C’est vrai! Si je suis enfin content, c’est a toi que je le dois.

Quand je pense a ce que me disait le maitre en parlant de toi… Tu sais ce qu’il me disait? Il me disait toujours: «Ne frequente pas ce fripon de La Meche! C’est un mauvais compagnon qui ne peut que t’attirer sur la mauvaise pente.»

– Pauvre maitre! – soupira La Meche – Je sais qu’il ne m’avait pas a la bonne et qu’il n’arretait pas de me calomnier. Mais je suis genereux et je lui pardonne!

– Quel bon c?ur tu as! – conclut Pinocchio en etreignant affectueusement son ami et en l’embrassant sur le front.

Cinq mois passerent ainsi, a s’amuser jour apres jour sans jamais voir ni livre, ni ecole. Puis, un matin, en se reveillant, Pinocchio eut une fort desagreable surprise qui le mit hors de lui.