Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo. Страница 7
– Elles sont tout juste bonnes a allumer le feu.
– Et le bonnet. Tu m’en donnerais combien?
– Belle acquisition, en verite! Un bonnet en mie de pain! Les souris finiraient par venir me le manger sur la tete!
Pinocchio etait sur des charbons ardents. Il avait bien encore une derniere proposition a lui faire, mais il n’osait pas la formuler. Il hesitait, balancait, etait a la torture. Puis il se decida:
– Ne pourrais-tu pas me donner quatre sous pour cet abecedaire tout neuf?
– Ecoute. Je suis un enfant et je ne fais pas de commerce avec les autres enfants – lui repondit son jeune interlocuteur qui avait beaucoup plus de jugeote que lui.
– Pour quatre sous, moi je le prends – intervint un chiffonnier qui avait entendu leur conversation.
Le livre fut vendu sur-le-champ. Et dire que, pour avoir achete ce meme abecedaire a son fils cheri, le brave Geppetto, en bras de chemise, grelottait de froid chez lui!
Chapitre 10
L’entree de Pinocchio dans le petit theatre de marionnettes suscita un incident qui provoqua une sorte de revolution.
Il faut savoir que le rideau etait leve et que le spectacle avait commence.
Sur la scene, Arlequin et Polichinelle se querellaient et s’appretaient, comme d’habitude, a en venir aux gifles et aux coups de baton.
Leur prise de bec faisait se plier de rire un public captive. Les deux marionnettes gesticulaient et s’envoyaient des injures avec tant de naturel qu’elles paraissaient aussi vivantes que vous et moi.
Mais, vivant ou pas, Arlequin s’arreta soudain de jouer. Faisant face au public, il montra de la main quelqu’un au fond de la salle et se mit a declamer avec emphase:
– Dieux du ciel! Est-ce que je reve? Pourtant, c’est bien Pinocchio que je vois la-bas!
– C’est vraiment Pinocchio! – cria Polichinelle a son tour.
– C’est tout a fait lui! – rencherit madame Rosaura dont la tete passa a travers le decor.
– C’est Pinocchio! C’est Pinocchio! – reprirent en ch?ur toutes les marionnettes surgissant des coulisses.
C’est Pinocchio! C’est notre frere a tous! Vive Pinocchio!
– Pinocchio, viens-la! – cria Arlequin – Viens te jeter dans les bras de tes freres en bois!
Cette affectueuse invite fit bondir Pinocchio hors de son siege. D’un saut, il fut dans les premiers rangs. Un autre saut le propulsa sur la tete du chef d’orchestre et, de la, il arriva directement sur la scene.
Difficile d’imaginer la debauche de marques d’amitie que lui temoigna, dans le plus grand desordre, toute la troupe de ce theatre vegetal: ce furent des embrassades, des etreintes, des joyeux petits pincons de complicite, de tendres frottements de museaux que seule une fraternite sincere et reelle peut inspirer.
Il n’y a pas a dire: le spectacle etait emouvant. Pourtant le public, voyant que la comedie n’avancait plus, s’impatienta et se mit a crier:
– La suite! La suite!
Ce fut peine perdue car les marionnettes, au lieu de se remettre a jouer, firent encore plus de tapage et, hissant Pinocchio sur leurs epaules, le porterent en triomphe sur le devant de la scene.
C’est alors qu’intervint le marionnettiste, un homme a la stature colossale et si laid que l’on mourait de peur rien qu’a le regarder. Il avait une barbe noire comme de l’encre, si longue qu’elle trainait par terre et qu’il s’emmelait les pieds dedans quand il marchait. Sa bouche etait vaste comme un four, ses yeux ressemblaient a des lanternes rouges et il faisait claquer un fouet tresse de peaux de serpents et de queues de renards.
Le tapage cessa brusquement a son apparition. Chacun retenait sa respiration et l’on aurait pu entendre une mouche voler. Toutes les pauvres marionnettes, les hommes comme les femmes, furent prises de tremblements.
– Pourquoi es-tu venu mettre la pagaille dans mon theatre? – demanda le marionnettiste a Pinocchio d’une grosse voix d’ogre ayant un bon rhume de cerveau.
– Ce n’est pas de ma faute, Monsieur, je vous supplie de me croire.
– Suffit! On reglera nos comptes ce soir.
Ce n’etaient pas des paroles en l’air. Car, le spectacle termine, le marionnettiste se rendit a la cuisine ou il s’etait prepare pour le diner un mouton entier qui cuisait lentement a la broche. Or, comme il lui manquait du bois pour parachever la cuisson afin qu’il soit bien dore, il appela Arlequin et Polichinelle et leur dit:
– Apportez-moi donc cette marionnette qui est accrochee au clou. Elle m’a paru d’un bois tres sec et fera une belle flambee pour mon roti.
D’abord ils hesiterent. Mais un mechant coup d’?il de leur patron terrorisa tellement Arlequin et Polichinelle qu’ils obeirent.
Peu apres, ils revenaient portant le pauvre Pinocchio qui se debattait comme une anguille hors de l’eau et qui criait desesperement:
– Papa, papa, sauve-moi! Je ne veux pas mourir! Je ne veux pas mourir!
Chapitre 11
Certes, le montreur de marionnettes Mangiafoco (qui veut dire Mange-feu: c’etait vraiment son nom) avait toutes les apparences d’un homme terrifiant, particulierement avec sa barbe noire qui, comme un tablier, lui recouvrait entierement poitrine et jambes. Mais au fond, ce n’etait pas un mechant homme.
La preuve: quand on lui amena Pinocchio, se debattant et hurlant «Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir!», il fut tout de suite trouble et ressentit de la pitie pour la pauvre marionnette. Il resista bien un bon moment mais, ne se controlant plus, il finit par emettre un tres sonore eternuement.
Arlequin, qui semblait avoir ete transforme en saule pleureur tellement il etait afflige, retrouva subitement un visage joyeux a la suite de cet eternuement et, se penchant vers Pinocchio, lui souffla:
– Bonne nouvelle, mon frere: le maitre vient d’eternuer, ce qui veut dire qu’il s’est pris de compassion pour toi et que tu es sauve.