Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 58

— Monsieur le comte, il ne m’appartient pas de juger de votre conduite, vous etes le maitre de votre femme ; mais je puis compter sur votre loyaute ? eh bien ! promettez-moi seulement de lui dire que son pere n’a pas un jour a vivre, et l’a deja maudite en ne la voyant pas a son chevet !

— Dites-le-lui vous-meme, repondit monsieur de Restaud frappe des sentiments d’indignation que trahissait l’accent d’Eugene.

Rastignac entra, conduit par le comte, dans le salon ou se tenait habituellement la comtesse : il la trouva noyee de larmes, et plongee dans une bergere comme une femme qui voulait mourir. Elle lui fit pitie. Avant de regarder Rastignac, elle jeta sur son mari de craintifs regards qui annoncaient une prostration complete de ses forces ecrasees par une tyrannie morale et physique. Le comte hocha la tete, elle se crut encouragee a parler.

— Monsieur, j’ai tout entendu. Dites a mon pere que s’il connaissait la situation dans laquelle je suis, il me pardonnerait. Je ne comptais pas sur ce supplice, il est au-dessus de mes forces, monsieur, mais je resisterai jusqu’au bout, dit-elle a son mari. Je suis mere. Dites a mon pere que je suis irreprochable envers lui, malgre les apparences, cria-t-elle avec desespoir a l’etudiant.

Eugene salua les deux epoux, en devinant l’horrible crise dans laquelle etait la femme, et se retira stupefait. Le ton de monsieur de Restaud lui avait demontre l’inutilite de sa demarche, et il comprit qu’Anastasie n’etait plus libre. Il courut chez madame de Nucingen, et la trouva dans son lit.

— Je suis souffrante, mon pauvre ami, lui dit-elle. J’ai pris froid en sortant du bal, j’ai peur d’avoir une fluxion de poitrine, j’attends le medecin…

— Eussiez-vous la mort sur les levres, lui dit Eugene en l’interrompant, il faut vous trainer aupres de votre pere. Il vous appelle ! si vous pouviez entendre le plus leger de ses cris, vous ne vous sentiriez point malade.

— Eugene, mon pere n’est peut-etre pas aussi malade que vous le dites ; mais je serais au desespoir d’avoir le moindre tort a vos yeux, et je me conduirai comme vous le voudrez. Lui, je le sais, il mourrait de chagrin si ma maladie devenait mortelle par suite de cette sortie. Eh ! bien, j’irai des que mon medecin sera venu. Ah ! pourquoi n’avez-vous plus votre montre ? dit-elle en ne voyant plus la chaine. Eugene rougit. Eugene ! Eugene, si vous l’aviez deja vendue, perdue… Oh ! cela serait bien mal.

L’etudiant se pencha sur le lit de Delphine, et lui dit a l’oreille : — Vous voulez le savoir ? eh ! bien, sachez-le ! Votre pere n’a pas de quoi s’acheter le linceul dans lequel on le mettra ce soir. Votre montre est en gage, je n’avais plus rien.

Delphine sauta tout a coup hors de son lit, courut a son secretaire, y prit sa bourse, la tendit a Rastignac. Elle sonna et s’ecria : J’y vais, j’y vais, Eugene. Laissez-moi m’habiller ; mais je serais un monstre ! Allez, j’arriverai avant vous ! Therese, cria-t-elle a sa femme de chambre, dites a monsieur de Nucingen de monter me parler a l’instant meme.

Eugene, heureux de pouvoir annoncer au moribond la presence d’une de ses filles, arriva presque joyeux rue Neuve-Sainte-Genevieve. Il fouilla dans la bourse pour pouvoir paver immediatement son cocher. La bourse de cette jeune femme, si riche, si elegante, contenait soixante-dix francs. Parvenu en haut de l’escalier, il trouva le pere Goriot maintenu par Bianchon, et opere par le chirurgien de l’hopital, sous les yeux du medecin. On lui brulait le dos avec des moxas, dernier remede de la science, remede inutile.

— Les sentez-vous, demandait le medecin.

Le pere Goriot, ayant entrevu l’etudiant, repondit : — Elles viennent, n’est-ce pas ?

— Il peut s’en tirer, dit le chirurgien, il parle.

— Oui, repondit Eugene, Delphine me suit.

— Allons ! dit Bianchon, il parlait de ses filles, apres lesquelles il crie comme un homme sur le pal crie, dit-on, apres l’eau…

— Cessez, dit le medecin au chirurgien, il n’y a plus rien a faire, on ne le sauvera pas.

Bianchon et le chirurgien replacerent le mourant a plat sur son grabat infect.

— Il faudrait cependant le changer de linge, dit le medecin. Quoiqu’il n’y ait aucun espoir, il faut respecter eu lui la nature humaine. Je reviendrai, Bianchon, dit-il a l’etudiant. S’il se plaignait encore, mettez-lui de l’opium sur le diaphragme.

Le chirurgien et le medecin sortirent.

— Allons, Eugene, du courage, mon fils ! dit Bianchon a Rastignac quand ils furent seuls, il s’agit de lui mettre une chemise blanche et de changer son lit. Va dire a Sylvie de monter des draps et de venir nous aider.

Eugene descendit, et trouva madame Vauquer occupee a mettre le couvert avec Sylvie. Aux premiers mots que lui dit Rastignac, la veuve vint a lui, en prenant l’air aigrement doucereux d’une marchande soupconneuse qui ne voudrait ni perdre son argent, ni facher le consommateur.

— Mon cher monsieur Eugene, repondit-elle, vous savez tout comme moi que le pere Goriot n’a plus le sou. Donner des draps a un homme en train de tortiller de l’?il, c’est les perdre, d’autant qu’il faudra bien en sacrifier un pour le linceul. Ainsi, vous me devez deja cent quarante-quatre francs, mettez quarante francs de draps, et quelques autres petites choses, la chandelle que Sylvie vous donnera, tout cela fait au moins deux cents francs, qu’une pauvre veuve comme moi n’est pas en etat de perdre. Dame ! soyez juste, monsieur Eugene, j’ai bien assez perdu depuis cinq jours que le guignon s’est loge chez moi. J’aurais donne dix ecus pour que ce bonhomme-la fut parti ces jours-ci, comme vous le disiez. Ca frappe mes pensionnaires. Pour un rien, je le ferais porter a l’hopital. Enfin, mettez-vous a ma place. Mon etablissement avant tout, c’est ma vie, a moi.

Eugene remonta rapidement chez le pere Goriot.

— Bianchon, l’argent de la montre ?

— Il est la sur la table, il en reste trois cent soixante et quelques francs. J’ai paye sur ce qu’on m’a donne tout ce que nous devions. La reconnaissance du Mont-de-Piete est sous l’argent.

— Tenez, madame, dit Rastignac apres avoir degringole l’escalier avec horreur, soldez nos comptes. Monsieur Goriot n’a pas longtemps a rester chez vous, et moi…

— Oui, il en sortira les pieds en avant, pauvre bonhomme, dit-elle en comptant deux cents francs, d’un air moitie gai, moitie melancolique.

— Finissons, dit Rastignac.

— Sylvie, donnez les draps, et allez aider ces messieurs, la-haut.

— Vous n’oublierez pas Sylvie, dit madame Vauquer a l’oreille d’Eugene, voila deux nuits qu’elle veille.

Des qu’Eugene eut le dos tourne, la vieille courut a sa cuisiniere : — Prends les draps retournes, numero sept. Par Dieu, c’est toujours assez bon pour un mort, lui dit-elle a l’oreille.

Eugene, qui avait deja monte quelques marches de l’escalier, n’entendit pas les paroles de la vieille hotesse.

— Allons, lui dit Bianchon, passons-lui sa chemise. Tiens-le droit.

Eugene se mit a la tete du lit, et soutint le moribond auquel Bianchon enleva sa chemise, et le bonhomme fit un geste comme pour garder quelque chose sur sa poitrine, et poussa des cris plaintifs et inarticules, a la maniere des animaux qui ont une grande douleur a exprimer.

— Oh ! oh ! dit Bianchon, il veut une petite chaine de cheveux et un medaillon que nous lui avons otes tout a l’heure pour lui poser ses moxas. Pauvre homme ! il faut la lui remettre. Elle est sur la cheminee.

Eugene alla prendre une chaine tressee avec des cheveux blond-cendre, sans doute ceux de madame Goriot. Il lut d’un cote du medaillon : Anastasie ; et de l’autre : Delphine. Image de son c?ur qui reposait toujours sur son c?ur. Les boucles contenues etaient d’une telle finesse qu’elles devaient avoir ete prises pendant la premiere enfance des deux filles. Lorsque le medaillon toucha sa poitrine, le vieillard fit un hanprolonge qui annoncait une satisfaction effrayante a voir. C’etait un des derniers retentissements de sa sensibilite, qui semblait se retirer au centre inconnu d’ou partent et ou s’adressent nos sympathies. Son visage convulse prit une expression de joie maladive. Les deux etudiants, frappes de ce terrible eclat d’une force de sentiment qui survivait a la pensee, laisserent tomber chacun des larmes chaudes sur le moribond qui jeta un cri de plaisir aigu.