Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта. Страница 25
L'homme reculait dans l'ombre de la Halle, cherchant visiblement a s'esquiver mais la foule le coincait. D'ailleurs, les assistants amuses prenaient parti, qui pour le pelletier, qui pour la jeune fille.
— Bah, fit un epicier aussi large que haut, si on ne peut plus pincer la taille d'une fille dans la foule sans dechainer un scandale...
Une jeune femme au frais visage rond mais a l'?il imperieux s'etait penchee pour le regarder sous le nez.
— J'aimerais bien voir qu'on essayat de me pincer la taille, s'ecria-t-elle. La jeune personne a bien fait et je sais, moi, que j'arracherais les yeux a qui voudrait m'en faire autant.
Arracher les yeux du pelletier, c'etait apparemment ce qu'essayait de faire Catherine que son oncle n'arrivait plus a maintenir. A l'angle des Halles, cela fit bientot une belle bagarre qui detourna l'attention de la foule, mais aucun des belligerants ne s'apercut que le cortege lui-meme s'etait arrete. Une voix froide domina soudain le tumulte.
— Gardes !... Saisissez-vous de ces gens qui troublent la procession !
C'etait le duc lui-meme. Arrete au coin des Halles, rigide dans son vetement de fer, il attendait. Immediatement quatre archers de sa garde personnelle fendirent la foule. Catherine fut separee de sa victime qui se defendait de son mieux, saisie par deux archers malgre les prieres de Mathieu affole, et trainee jusque devant le cheval de Philippe de Bourgogne.
Sa colere n'etait pas calmee. Elle se debattait comme un demon et quand enfin on parvint a l'immobiliser, ses cheveux dores ruisselaient sur ses epaules. L'une d'elles montrait sa rondeur fraiche par le col arrache de la robe bleue. Elle leva sur le duc un regard etincelant et farouche qui croisa celui de Philippe comme une epee une autre epee.
Un bref instant ils se regarderent, comme se jaugent deux duellistes, lui si grand et si fier sur son cheval, elle dressee comme un petit coq de combat, refusant de baisser les yeux. Autour d'eux un silence angoisse s'etait fait, seulement trouble par les sanglots du pauvre Mathieu epouvante.
— Que s'est-il passe ? demanda le duc sechement.
Ce fut l'un des archers agrippes au pelletier gantois plus mort que vif qui repondit :
— Ce bonhomme a profite de la presse pour essayer de lutiner un peu la fille, Monseigneur. Elle lui a saute a la figure.
Le regard gris de Philippe n'effleura qu'a peine le visage decompose du bourgeois, avec un dedain glacial, revint a Catherine qui, la levre meprisante, n'avait pas dit mot. Sure de son bon droit, elle etait trop fiere pour se disculper ainsi devant tous, encore plus pour implorer.
Elle attendait seulement. La voix froide de Philippe retentit :
— Troubler une procession est une faute grave. Emmenez-les. Je m'occuperai de ceci plus tard.
Un instant, penche vers son capitaine des Gardes, Jacques de Roussay, il lui parla tout bas puis, detournant son cheval, il reprit sa place dans le cortege. La procession poursuivit sa route au milieu des chants sacres et des nuages d'encens.
Force fut au capitaine de Roussay d'attendre la fin du cortege, compose d'une suite de tableaux vivants evoquant des scenes de l'Ancien et du Nouveau Testaments, pour emmener ses prisonniers.
L'ordre lui avait ete donne de les conduire au Palais et, pour cela, il fallait traverser la place. Pendant ce temps, Mathieu Gautherin s'arrachait les cheveux et sanglotait, effondre sur sa borne, tandis que la jeune bourgeoise qui avait pris fait et cause pour Catherine essayait de le consoler. Il avait voulu parler a sa niece, mais les archers l'en avaient empeche. Il imaginait avec terreur la succession de catastrophes qui allait suivre. Sans doute l'imprudente serait-elle jetee au cachot, puis jugee, peut-etre pendue ou meme brulee comme sacrilege ? Et lui, on detruirait sa maison, on le jetterait hors de la ville et il devrait errer sur les routes avec sa famille, mendiant son pain, toujours chasse, toujours errant jusqu'a ce que le Seigneur Dieu le prit en pitie et le rappelat a lui...
Catherine, enfin calmee, conservait au contraire un calme glacial.
Les archers lui avaient lie les mains et elle se tenait la tres droite, dans sa robe dechiree qui montrait sa gorge, dans le ruissellement de ses cheveux, dedaigneuse des appreciations mi-flatteuses, mi-grivoises, voire franchement obscenes que sa beaute suscitait. Elle etait consciente de tous ces regards attaches sur elle. Meme, elle trouvait amusant, en son for interieur, de voir le capitaine des archers detourner les yeux en rougissant quand, par hasard, elle posait son regard sur lui. Roussay etait jeune, et visiblement l'aspect de la prisonniere le troublait plus que de raison.
Quand la derniere allegorie pieuse, un Daniel bedonnant au milieu de fauves tres fantaisistes, fut passee, il fit ecarter la foule et emmena ses prisonniers d'un bon pas. La place fut traversee presque en courant.
Le pauvre Mathieu, toujours pleurant, suivait de son mieux, le chaperon de travers, son gros visage tout fripe offrant une ressemblance irresistible avec celui d'un poupon desole.
Mais, parvenu a l'entree du Palais gouvernemental, le pauvre homme vit les lances des gardes se croiser devant sa poitrine et force lui fut de renoncer a suivre le destin de sa niece. Le c?ur navre, il s'en alla s'asseoir sur une autre borne et se mit a pleurer comme une fontaine, a peu pres certain de ne plus revoir Catherine que sur le chemin de l'echafaud.
A sa grande surprise, a peine entree sous la voute du palais, Catherine avait constate qu'on la separait de son adversaire. Les gardes du pelletier prirent a gauche dans la cour tandis que Roussay dirigeait en personne sa prisonniere vers le grand escalier.
— Est-ce que vous ne me conduisez pas aux prisons ? demanda la jeune fille.
Le capitaine ne repondit pas. Le regard fixe, le visage morne sous la visiere relevee de son casque, il allait son chemin a la maniere d'un automate bien regle. Catherine ne pouvait deviner que, s'il refusait aussi obstinement de la regarder ou meme de lui repondre, c'etait uniquement parce qu'il sentait le c?ur lui manquer des que ses yeux se posaient sur ce trop joli visage. C'etait bien la premiere fois que Jacques de Roussay detestait sa consigne.
Au bout de l'escalier il y eut une galerie, puis une porte, donnant sur une grande salle somptueusement meublee, puis une autre salle, plus petite et toute tendue de belles tapisseries a personnages. Dans ces tapisseries, une porte se decoupa, poussee comme par magie sous la main du Capitaine.
— Entrez, fit-il brievement.
Catherine, eberluee, s'apercut seulement a cet instant que seul le Capitaine lui servait d'escorte et que les soldats avaient disparu comme par enchantement. Sur le seuil, Roussay trancha les liens de sa prisonniere d'un coup de dague puis la poussa a l'interieur.
La porte retomba sur elle sans faire le moindre bruit et, quand Catherine se retourna pour voir si son geolier etait toujours la, elle n'en crut pas ses yeux : la porte avait disparu, elle aussi, dans le dessin des murs.
Avec un soupir resigne, la jeune fille se mit a examiner sa prison.
C'etait une chambre de dimensions reduites mais d'une rare splendeur.
Les murs, tendus de drap d'or donnaient toute son importance a un grand lit vetu de velours noir. Aucun ecu ne se montrait au-dessus du chevet, mais des griffons d'or pur aux yeux d'emeraudes et des cordelieres d'or maintenaient relevees les courtines sombres. Pres de la cheminee haute et blanche, un dressoir d'ebene supportait quelques pieces d'orfevrerie qui ne semblaient etre la que pour servir d'escorte a une grande coupe de cristal etincelant dont le pied et le couvercle etaient d'or serti de grosses perles rondes. Entre les deux etroites fenetres lanceolees, un grand coffre d'ebene portait une vasque d'or emaille dans laquelle s'epanouissait une enorme brassee de roses couleur de sang.