Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта. Страница 31
Maintenant, je vais enduire la blessure d'un baume miraculeux et, dans quelques jours, il n'y aura plus qu'une mince cicatrice, car la blessure est tres petite...
Tirant de son coffre un petit pot de faience verte, decore de fleurs fantastiques gaiement colorees, il prit du contenu la valeur d'une noisette au bout d'une aiguille d'or et l'appliqua sur la tempe blessee.
A l'aide d'un petit carre de toile fine, il ecrasa le baume sur la blessure puis, maintenant la compresse, il se mit a confectionner avec une diabolique habilete un vertigineux pansement qui escamota bientot les cheveux noirs du jeune homme et enserra etroitement ses machoires comme une coiffe de femme. Catherine le regardait faire avec un interet passionne. Le blesse ne gemissait plus depuis que le baume avait touche sa chair meurtrie. Une odeur piquante, puissante et cependant agreable, emplissait la piece.
— Qu'est-ce que ce baume ? demanda-t-elle.
— Nous l'appelons baume de Matarea, repondit negligemment le petit homme sans daigner s'expliquer davantage. Il vient d'Egypte.
Est-ce que ce jeune homme a d'autres blessures ?
— Une jambe cassee, je crains bien, dit Mathieu qui s'etait tenu coi tout ce temps.
— Voyons ca !
Sans se soucier aucunement de la presence de la jeune fille, il empoignait drap et couvertures, les rejetait vers le pied du lit, decouvrant le corps du jeune homme que Mathieu et Pierre avaient completement deshabille avant de le coucher. La subite apparition de cette totale nudite masculine fit rougir le drapier jusqu'aux oreilles.
— Sors d'ici, Catherine, ordonna-t-il brusquement en attrapant sa niece par le bras pour l'entrainer hors de la piece.
Le petit medecin l'arreta d'un regard severe.
— Voila bien les ridicules pudibonderies des chretiens ! Le corps de l'homme est la plus belle creation d'Allah, avec celui du cheval.
Cette femme donnera un jour la vie a des hommes semblables a celui-ci. Pourquoi donc la vue de ce corps offenserait-elle ses yeux ? Les anciens Grecs en faisaient des statues qui ornaient les temples de leurs dieux.
— Ma niece est fille, protesta Mathieu qui n'avait pas lache le poignet de Catherine.
— Elle ne le sera pas longtemps. Elle est bien trop belle pour cela !
Je n'aime pas les femmes. Elles sont sottes, bruyantes et pueriles, mais je sais reconnaitre la beaute lorsque je la rencontre. Cette jeune fille est un chef-d'?uvre dans son genre... tout comme le blesse. Avez-vous jamais rien vu de plus parfait que la forme de ce guerrier abattu ?
L'enthousiasme esthetique d'Abou-al-Khayr, que Mathieu ne semblait guere dispose a partager, ne l'empechait pas de travailler tout en parlant et il palpait la jambe brisee avec une extreme delicatesse.
Mathieu, malgre lui, avait lache Catherine, fascine qu'il etait par le corps brun dont la peau luisante brillait doucement sous la lumiere des chandelles. Catherine avait repris sa place a la tete du lit et regardait elle aussi. Le petit medecin, tout en faisant son travail, continuait a chanter les louanges de la beaute humaine sur le mode, a la fois fleuri et lyrique qui lui etait cher. Mais il avait dit vrai : le chevalier blesse etait magnifiquement bati. Sous sa peau bronzee, les muscles longs, etires, se dessinaient avec une precision anatomique et, sur le drap blanc, les larges epaules, les flancs etroits et durs, le ventre plat, fermement attache aux cuisses gonflees de muscles, prenaient un relief saisissant. Troublee au fond d'elle- meme, Catherine sentait ses mains se glacer tandis qu'une legere rougeur s'etendait sur ses joues.
Abou-al-Khayr, aide de ses esclaves, etirait maintenant la jambe pour reduire la fracture. Le blesse gemit. Puis, soudain, Catherine entendit :
— Si cette brute ne me faisait aussi mal, je me croirais en Paradis, car vous etes surement un ange !... A moins que vous ne soyez la Rose sortie du roman du vieux Lorris.
Elle vit alors que deux yeux noirs, d'un noir d'enfer que la fievre faisait briller d'inquietante facon, la regardaient. Maintenant qu'il avait repris connaissance et que ses yeux etaient ouverts, la ressemblance avec Michel etait criante, hallucinante. Tellement que la jeune fille, la voix soudain tremblante, ne put s'empecher de prier :
— Par grace, messire... dites-moi votre nom !
Le visage contracte ou perlait une sueur de souffrance ebaucha quelque chose qui voulait etre un sourire. Ce fut une affreuse grimace, mais qui fit etinceler brievement une eclatante dentition.
— J'aimerais mieux savoir d'abord le votre, mais j'aurais mauvaise grace a laisser si belle demoiselle poser deux fois la meme question.
Je me nomme Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Chataigneraie en pays Auvergnat, et je suis capitaine de Monseigneur le dauphin Charles.
Pour mieux voir la jeune fille, le blesse avait tente de se relever sur un coude et s'attirait une protestation furieuse du petit medecin.
— Si vous ne vous tenez en repos, mon jeune seigneur, vous resterez boiteux toute votre vie.
Les yeux noirs d'Arnaud, attaches a Catherine, se porterent avec stupefaction sur le turban du medecin et sur ses etranges acolytes. Il se signa precipitamment, tenta d'arracher sa jambe aux mains qui la retenaient.
— Qu'est celui-la ? s'ecria-t-il furieux. Un chien d'infidele, un Maure ? Comment ose-t-il seulement toucher un chevalier chretien sans craindre de se faire arracher la peau ?
Abou-al-Khayr poussa un soupir de lassitude. Il glissa ses mains au fond de ses manches, s'inclina poliment :
— Le noble chevalier prefere sans doute perdre sa jambe a breve echeance ? Je ne crois pas qu'il y ait d'autres medecins dans cet endroit. Au surplus, je regrette profondement d'avoir ose arreter tout a l'heure son precieux sang qui coulait si vite. Indigne que je suis !
J'aurais du le laisser s'ecouler jusqu'a la derniere goutte !
Le ton mi-rageur, mi-ironique du petit medecin calma tout net la colere du jeune homme. Brusquement, il se mit a rire :
— Tes pareils sont habiles, a ce que l'on assure. Et puis, tu as raison, je n'ai pas le choix. Poursuis ton ouvrage, je te recompenserai royalement.
— Avec quoi ? marmonna Abou en retroussant a nouveau ses manches. Vous aviez tout juste votre armure quand l'honorable drapier vous a trouve.
Mathieu, quant a lui, commencait a penser que le blesse regardait trop sa niece. Il se glissa entre eux deux et se mit en devoir de raconter au chevalier comment on l'avait recupere sur le bord de l'Escaut, delivre de son armure et amene jusqu'au Grand Charlemagne. De son cote, le jeune homme, devenu soudain tres grave et soucieux, raconta son histoire. Envoye par le Dauphin au duc de Bourgogne, en tant qu'ambassadeur et parcourant le pays accompagne d'un seul ecuyer, il avait ete sauvagement attaque, sur l'autre rive du fleuve, par un parti de routiers, mi-bourguignons, mi-anglais qui l'avaient demonte, devalise et assomme avant de le jeter a l'eau ou il avait bien pense se noyer. Par miracle et malgre le poids de son armure il avait reussi a nager et a gagner la rive opposee, grace surtout a un banc de sable opportun.
Il s'etait hisse sur la rive avec une peine infinie et la, il avait perdu connaissance. Quant a son ecuyer, il ignorait totalement ce qu'il etait devenu.
— Ces bandits ont du le tuer, conclut tristement le jeune homme ; je le regretterai, car c'etait un brave garcon.
Tandis qu'il parlait, Abou-al-Khayr avait acheve son ouvrage non sans arracher de temps en temps a son patient des gemissements et des imprecations. La patience n'etait visiblement pas la qualite dominante d'Arnaud de Montsalvy.
Catherine, elle, le buvait des yeux. C'etait comme si le ciel avait fait pour elle un miracle en lui rendant celui qu'elle n'avait jamais cesse d'aimer, qu'elle ne pouvait oublier. Entre elle et Arnaud, un lien spontane s'etait tisse, que chaque instant, chaque regard rendaient plus fort et plus intime. Toutes les fois que les yeux fievreux du blesse se posaient sur elle, et c'etait tres souvent, elle eprouvait un choc interieur. Une bouffee chaude montait a ses joues. Visiblement, le chevalier ne souhaitait qu'une chose : demeurer seul un moment avec cette jeune fille dont la beaute l'eblouissait sans qu'il songeat, meme un seul instant, a s'en cacher. Aussi protesta-t-il de toutes ses forces quand le petit medecin approcha de ses levres une petite coupe d'or dans laquelle il venait d'operer un mysterieux melange. Il voulut la repousser.