Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта. Страница 21
— J'ai, en effet, connu tout cela, Madame. J'ai connu aussi une petite fille qui portait ce nom... mais je ne vois pas le rapport.
— Quelle tete de bois ! Ah non, tu n'as pas change... Mais, nigaud, je suis Catherine, voyons ! Secoue-toi... Regarde-moi mieux !...
Elle s'attendait a une exclamation, a des cris de joie meme. L'ancien Landry eut danse sur place, eut fait mille folies. Mais le chevaucheur ducal demeura de glace. Rien ne vint animer son regard indifferent.
— Ne vous moquez pas de moi, Madame. Je sais fort bien qui vous etes : la dame de Brazey, la femme la plus riche de la ville... et l'amie precieuse de Monseigneur. Je vous demanderai donc en grace de cesser ce jeu.
— Un jeu ? Oh Landry ! s'ecria Catherine peinee. Pourquoi ne veux-tu pas me reconnaitre ? Si tu sais qui je suis, si tu connais mon nom, tu dois bien savoir aussi que je m'appelle Catherine, qu'avant d'epouser Garin de Brazey par ordre de Monseigneur, j'etais seulement la niece de Mathieu Gautherin, le drapier de la rue du Griffon. Une niece qui s'appelait Catherine Legoix ?
— Non, Madame, je ne le sais pas.
— Alors, va chez mon oncle. Tu y trouveras ma mere. Je pense que tu la reconnaitras, elle.
Le jeune homme s'ecarta en descendant deux marches, juste comme Catherine, pour le mieux convaincre, s'approchait de lui. Il s'inclina brievement :
— C'est inutile, Madame. Cette visite ne m'apprendrait rien. J'ai connu autrefois Catherine Legoix, mais vous ne pouvez etre cette Catherine- la...
Maintenant, je vous prie de vouloir bien m'excuser. J'ai une mission a remplir et n'ai pas le loisir de flaner. Pardonnez-moi...
Il allait reprendre la descente de l'escalier. Elle le retint encore.
— Qui m'eut dit qu'un jour Landry ne reconnaitrait pas Catherine ? Car vous etes bien Landry Pigasse, n'est-ce pas ?
— Pour vous servir, Madame...
— Me servir ? fit-elle douloureusement. Autrefois nous partagions tout, les friandises comme les taloches... Nous etions amis, presque frere et s?ur et, s'il me souvient bien, nous avons meme risque nos vies ensemble. Tout cela pour que vous rejetiez tout ce passe au bout de dix ans et sans que je puisse meme en deviner la raison.
Mais elle avait la sensation que ses paroles venaient buter contre un mur.
Landry etait entoure d'une invisible cuirasse d'indifference, d'oubli volontaire peut-etre, dont elle cherchait en vain le defaut. C'etait incomprehensible. Elle tenta un ultime effort, murmura avec amertume, revenant pour un instant a l'ancien tutoiement :
— Si seulement Barnabe etait la... il saurait bien, lui, t'obliger a me reconnaitre ! Au besoin, il te taperait dessus.
Depuis quelques secondes il s'etait detourne d'elle mais, au nom de Barnabe, il lui fit face, la regardant avec colere.
— Barnabe est mort sous la torture, pour s'etre attaque a votre mari, Madame ! C'est du moins ce que j'ai appris au retour d'une mission en Flandres. Et vous venez me dire que vous etes Catherine Legoix ? Vous ?
Non... vous n'etes pas Catherine et je vous defends d'employer son nom.
D'ailleurs... vous ne lui ressemblez meme pas ! Je vous salue, Madame!
Avant que Catherine, petrifiee par sa soudaine violence, eut seulement ouvert la bouche, Landry s'etait lance dans l'escalier qu'il devalait maintenant au risque de se rompre le cou. Elle entendit decroitre rapidement le claquement metallique de ses solerets de fer. Bientot, il n'y eut plus aucun bruit dans le vaste escalier. La rumeur de la fete etait lointaine. La jeune femme demeura figee a la place ou elle se trouvait un long moment. Ce qui venait de se passer lui etait totalement incomprehensible et profondement douloureux. Pourquoi Landry refusait-il de la reconnaitre ? Car c'etait bien cela : il refusait carrement, repoussant l'evidence meme. Etait-ce a cause de Barnabe ? Sa colere quand elle avait prononce le nom de leur vieil ami expliquerait assez bien son refus d'entrer en relations avec la dame de Brazey. Mais il n'avait pas bronche quand elle lui avait donne son ancien nom. Il etait bien evident que, comme tout le reste de la ville, il avait eu connaissance de ce mariage si peu conforme aux regles etablies. Il savait depuis longtemps qu'elle etait la Catherine d'autrefois... seulement il ne l'aimait plus. Mieux ! Il lui en voulait, la rendant responsable au meme titre que Garin de la mort de Barnabe. Responsable, certes, elle l'etait, et plus encore que Landry ne l'imaginait ! Ce n'etait pas la premiere fois que le remords et le chagrin venaient l'assaillir au souvenir du Coquillart envoye pour rien a une mort affreuse !
Autre chose encore intriguait Catherine. Si Landry et Barnabe avaient renoue des relations, pourquoi donc Barnabe ne lui en avait-il jamais parle ?
Et pourquoi Landry n'etait-il jamais venu chez l'oncle Mathieu revoir son amie d'enfance, lorsqu'elle etait encore fille ? Catherine poussa un profond soupir. Toutes ces questions ne pouvaient, a l'heure presente, que demeurer sans reponse. Elle se torturait l'esprit bien en vain.
Une voix froide vint interrompre ses reflexions et la fit sursauter.
— Puis-je vous demander ce que vous faites ici ? On vous reclame au banquet.
Debout sur le palier, Garin la regardait. Sans bouger d'ou elle etait, Catherine leva vers lui un visage las et un pauvre sourire.
— Je n'ai pas envie d'y aller, Garin. Cela ne m'amuse pas et je n'ai pas faim. Je prefererais aller rejoindre, chez la duchesse, Madame de Chateauvillain.
Un sourire sarcastique eclaira d'un jour peu agreable le visage ferme du Grand Argentier.
— Ce qui vous amuse ou non n'a aucune espece d'importance, dit-il brutalement. Et vos preferences n'ont pas leur place ici. Je vous dis que l'on vous reclame. Ayez au moins le courage d'occuper le rang que l'on vous donne et d'accepter les consequences de vos actes...
Il tendait la main vers elle pour la conduire au festin. Avec un soupir de lassitude, Catherine remonta les quelques marches descendues a la suite de Landry, posa sa main sur celle de son mari.
— Que voulez-vous dire ?
— Rien d'autre que ce que je dis : votre place, a cette heure, n'est pas dans l'escalier !
Il la conduisit ainsi jusqu'a la salle des festins, brillamment illuminee a cause du jour bas et gris. Un vacarme assourdissant y regnait. Le repas de noces etait des plus gais et nombre d'invites etaient deja ivres. Les rires, les cris, les plaisanteries fusaient de l'une a l'autre des trois immenses tables disposees en U qui faisaient le tour de la salle. Une armee de valets faisait le service, transportant des plats immenses que des marmitons apportaient des cuisines du rez-de-chaussee. Les officiers de bouche, les echansons s'activaient... Seuls, les nouveaux maries et le duc Philippe etaient silencieux. Richemont et Marguerite, la main dans la main, se regardaient et ne songeaient meme pas a manger. Philippe, taciturne, regardait droit devant lui d'un air absent. Il fut le seul a remarquer l'entree de Catherine que Garin menait a sa place. Instantanement son visage s'eclaira. Il sourit tendrement a la jeune femme...
— Vous voyez bien que l'on vous attendait ! souffla Garin a l'oreille de sa femme. Votre presence fait des miracles, ma parole ! Regardez un peu l'air gracieux de Monseigneur ! Je vous assure que, jusqu'ici, il etait parfaitement sinistre.
Le ton de persiflage de son mari eut le don d'agacer Catherine qui n'avait nul besoin d'un surcroit d'enervement. Elle haussa les epaules.
— Dans ces conditions, vous devez etre vous- meme fou de joie. Voila votre but atteint !
En prenant place a table, elle rendit son sourire a Philippe.
Le repas lui parut interminable. Jamais, de toute sa vie, elle ne s'etait autant ennuyee. Pourtant, cette journee de noces lui reservait encore une autre surprise. Il etait a croire que tous les temoins de son passe s'etaient donne pour tache de revenir vers elle au meme instant ! A la reception qui suivit le festin et a laquelle s'ecrasa la noblesse de toutes les provinces ducales, plus bon nombre d'Anglais, beaucoup de Bretons et meme quelques Francais, la jeune femme ne tarda pas a remarquer un prelat que l'on entourait beaucoup, et qui, d'ailleurs, se distinguait par le faste tout particulier de ses vetements.