Belle Catherine - Бенцони Жюльетта. Страница 13

— J'etouffe, chuchota-t-elle. Je vais respirer un peu au-dehors.

Rassure, il reprit sa conversation avec le grand homme maigre. Sara dormait profondement, chassant parfois, d'un geste instinctif, une mouche qui s'obstinait a se poser sur son nez.

Au-dehors, la chaleur enveloppa Catherine comme un manteau, plus pesante encore que dans le Loens. Elle tombait d'aplomb du ciel incandescent, mais, du moins, il y avait un peu d'air et cela ne sentait pas mauvais.

Dans la rue, Catherine fit quelques pas, prenant bien soin de demeurer a l'ombre des auvents et des toits. Elle s'assit sur un montoir a chevaux a la porte close d'un drapier et respira profondement plusieurs fois de suite. L'avancee du grand toit s'interposait entre sa tete et le ciel presque blanc a force de lumiere. Peut- etre se fut-elle endormie, le dos a la pierre chaude du mur, si quelque chose n'avait attire son attention. La- bas, au coin de la rue, a quelques pas, un homme faisait des signes d'appel dans sa direction.

Elle se redressa, tendit le cou, regarda autour d'elle. Mais l'homme continuait a gesticuler. C'etait bien a elle, apparemment, qu'il s'adressait. Il etait poste au coin de la ruelle, sous une statue de la Vierge. D'un doigt pose sur sa poitrine, Catherine l'interrogea. L'homme secoua la tete de haut en bas, energique- ment. Intriguee, la jeune femme se leva et marcha jusqu'a l'inconnu, un petit bonhomme grimacant et loqueteux, sale a faire peur de surcroit. Ses bras et ses jambes, noirs de poussiere collee, sortaient de vetements informes qui montraient la peau par de nombreux trous. Il grimaca un sourire quand la jeune femme s'approcha.

— C'est a moi que vous en avez ? demanda celle- ci. Que me voulez-vous ?

Le sourire de l'homme s'accentua.

— J'ai entendu, tout a l'heure, quand vous parliez a frere Thomas. Je sais que vous cherchez a quitter la ville. Je crois que je peux vous y aider.

— C'est dangereux. Pourquoi feriez-vous cela ?

— Peut-etre bien que vous auriez un peu d'argent pour un malheureux ? Voila au moins deux ans que je n'ai pas vu un denier d'argent.

— Dans ce cas, attendez un moment, je vais prevenir mes compagnons...

Mais l'homme la retint par le bras.

— Non. Je risque gros en vous montrant ca, je vous indiquerai comment faire et ensuite vous viendrez chercher vos compagnons. D'ailleurs, vaudrait mieux attendre la nuit !

Catherine hesita. Il lui repugnait de s'eloigner de Gauthier et de Sara, mais, d'autre part, l'homme avait raison. Trop de monde pourrait attirer l'attention. enfin, s'il y avait une chance de s'evader, c'etait folie de la negliger. Avec un regard en arriere, elle dit :

— C'est loin ?

— Non... Tout pres. La muraille est proche. Venez !

Il avait saisi la main de Catherine dans sa griffe noire en l'entrainant, irresistiblement. Elle avait trop hate de poursuivre son voyage ; elle le suivit. Il tourna dans une ruelle tout juste assez large pour le passage d'une personne. C'etait une impasse aboutissant a un amas informe de masures derriere lesquelles s'elevait le haut mur gris de la courtine nord. Le guide de Catherine se dirigeait droit vers les masures, mais, comme il se courbait deja pour passer sous une porte basse, elle resista, d'instinct. Il la regarda, les yeux plisses, eut de nouveau son bizarre sourire.

— Si l'issue se trouvait au milieu de la rue, grommela-t-il, il y a longtemps que les soldats l'auraient bouchee ! Venez.

Il faut entrer la...

Catherine songea que, sans doute, il s'agissait de quelque cave passant sous la muraille et communiquant avec les champs.

Elle se decida, baissa la tete et s'engagea dans un etroit boyau gluant et noir qui ne meritait que tres peu le nom de couloir. Cela semblait s'enfoncer dans la terre, mais, au bout, la jeune femme distingua une porte de planches mal jointes.

L'homme poussa cette porte, tirant Catherine apres lui avec une soudaine violence. La porte claqua derriere eux en meme temps que l'homme s'ecriait, triomphalement :

— J'ai tenu ma promesse, les gars ! Regardez ce que je vous amene.

A peine Catherine eut-elle jete un coup d'?il sur l'endroit ou elle se trouvait que la peur s'empara d'elle. Son guide l'avait menee dans une cave parcimonieusement eclairee par un soupirail et la, couches ou assis, il y avait une vingtaine d'hommes en guenilles. La jeune femme, terrifiee, entendit des rires horribles, des grondements de joie, vit se lever vers elle des faces de loups humains ou brasillaient des yeux luisants. Un instant, la colere de s'etre laisse entrainer dans un guet-apens surmonta sa peur. Elle se retourna vers l'homme qui l'avait amenee.

— Qu'est-ce que cela ? Ou m'avez-vous conduite ?

L'autre ricana. Il n'avait pas lache sa main, qu'il

tenait avec une force etonnante chez un etre aussi chetif.

— Chez de braves garcons qui n'ont pas touche une femme depuis bien longtemps. On nous a sortis des prisons pour bruler les cadavres et on nous a donne cette cave pour nous y reposer pendant la grosse chaleur. On a eu du vin et du pain, mais on n'a pas eu de filles ! Celles qu'on pouvait avoir sont mortes ou malades, a moins qu'elles ne soient cachees.

Une sorte de monstre a la face couturee, cahotant sur des jambes inegales, s'etait approche d'eux tandis que les autres se levaient et faisaient cercle.

— Elle est belle, croassa-t-il d'une horrible voix grincante, mais ou l'as-tu trouvee, la Fouine ? Tu sais ce qu'on risque a prendre une femme de la ville ?

— Justement. Elle n'est pas de la ville. Elle venait d'arriver quand le gouverneur a fait fermer les portes. On ne risque rien. C'est pour ca que je l'avais reperee, tout a l'heure, pres du bucher. Je l'ai guettee au Loens. Et regarde ca, si c'est une belle fille !

— Un morceau de roi ! apprecia le bancal. Tu as bien merite ton quartier de viande, la Fouine...

Catherine voulut reculer quand la main noire du bancal la prit au menton, mais elle se heurta a deux autres bandits qui se tenaient derriere elle. Dans un eclair, elle avait compris, elle etait tombee aux mains des ribauds, ces hommes terrifiants qu'elle avait vus tout a l'heure, sur la place, trainant les cadavres au bout de leurs crocs de fer. Une terreur animale la submergea soudain, la vidant momentanement de ses forces. Ses jambes tremblaient sous elle. Il lui semblait que le cercle infernal se resserrait. Ses oreilles etaient pleines des souffles courts de ces hommes sur les faces crasseuses desquels elle pouvait lire une revoltante concupiscence.

La main du bancal s'attardait sur sa joue tandis que des mains invisibles immobilisaient ses bras. L'homme s'approcha, si pres qu'elle recut en plein visage son odeur de pourriture. La jeune femme tremblait de rage, de honte et de degout tandis que, posement, il ouvrait sa gorgerette, defaisait les lacets de sa robe. Les ribauds, les yeux ecarquilles, regardaient, retenant leur souffle, comme des fideles devant l'officiant de quelque etrange rite. Mais quand, dans la lumiere pauvre de la cave, jaillirent les epaules rondes, la gorge ferme de la jeune femme, quand sa peau satinee se mit a luire doucement, ce fut comme un signal. Tous en meme temps, ils se dechainerent. Catherine, revulsee de degout, sentit que des mains innombrables la depouillaient du reste de ses vetements, parcouraient son corps. Ils s'ecrasaient les uns les autres, a qui la toucherait. Mais la voix du bancal grinca :

— Chacun son tour ! Il y en aura pour tout le monde. Mais c'est moi le chef, c'est a moi de passer le premier.

Maintenez-la !

En un clin d'?il, Catherine fut etendue a terre sur une litiere de paille pourrie, maintenue par les poignets et par les chevilles. La terreur l'avait un instant rendue muette, mais, tout a coup, elle eut un sursaut d'energie et retrouva la voix. Se tordant entre les mains qui la tenaient, elle cria :

— Vous n'avez pas le droit... Laissez-moi ! Au sec...