Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 13

Un curieux bien-etre l'envahissait, malgre la douleur sourde de son epaule, malgre la petite fievre qui montait dans ses veines. L'homme auquel elle etait liee lui communiquait sa chaleur. Son torse vigoureux opposait une solide barriere au vent coupant. Elle y appuya sa tete, ferma les yeux. L'impression bizarre d'un lien, plus etroit que cette sangle de cuir, entre elle et cet inconnu lui venait... Pourtant, jamais encore elle n'avait vraiment regarde Mac Laren. Muree dans sa douleur hautaine, enfermee dans ses voiles noirs mieux que dans un couvent, les hommes qui gardaient Carlat, et surtout ces etrangers venus de loin, se confondaient devant ses yeux qui ne voyaient plus que l'invisible. Paradoxalement, l 'etait sous cet accoutrement de garcon qu'elle reintegrait sa vraie nature de femme. Et, malgre l'amour desespere, inguerissable, qui habitait son c?ur, elle n'avait pu s'empecher de remarquer l'etrange beaute de Mac Laren.

De haute taille, sa minceur confinait a la maigreur, mais cette longue silhouette avait la souplesse nerveuse d'une lame d'epee. Le visage etroit offrait un arrogant profil d'oiseau de proie, une bouche serree et des maxillaires carres denotant une obstination totale. Les yeux bleu glacier etaient moqueurs, sans tendresse, profondement enfonces sous les epais sourcils clairs. Les cheveux, assez longs, etaient d'un blond pale, ses levres se relevaient d'un seul cote, en un drole de sourire en coin, insolent et bref, qui n'atteignait pas les yeux.

Tout a l'heure, quand il avait saisi Catherine par la taille pour l'installer sur son cheval, il l'avait regardee profondement. Un regard qui percait comme un poignard. Et puis il avait souri sans rien dire.

Mais, devant cet inconnu, vaguement narquois, elle s'etait sentie tout a coup bizarrement desarmee. Le regard de tout a l'heure semblait dire que, depouillee de ses voiles de deuil, la dame de Montsalvy n'etait qu'une femme comme les autres, une femme accessible, apres tout !

Et Catherine ne parvenait pas a demeler si l'impression ressentie etait agreable ou non.

Quand on fit halte, le soir venu, dans la grange d'un paysan terrifie qui n'osa pas refuser le pain noir et la tome de chevre, la jeune femme retrouva cette meme sensation. Sara l'avait installee le plus a l'ecart possible des hommes, mais, pour qu'elle put profiter du feu allume entre trois pierres, cet ecart n'etait pas bien grand. Catherine etait transie, morte de fatigue, et sa blessure, echauffee par la course, la faisait souffrir. Le sang battait lourdement dans son bras et a ses tempes, mais elle allait tout de meme essayer de dormir quand Mac Laren s'approcha d'elle.

— Vous etes malade, dit-il en dardant sur elle son clair et insoutenable regard. Il faut soigner cette blessure, autrement qu'on ne l'a fait. Montrez-moi cela !

— J'ai fait tout ce qu'il y avait a faire, se rebiffa Sara. Il n'y a rien d'autre a tenter que d'attendre la guerison.

— On voit bien que vous n'avez jamais soigne des blessures faites par la griffe d'un ours, fit l'Ecossais avec son bref sourire a levres closes. J'ai dit, montrez- moi ca !

— Laissez-la tranquille ! fit, derriere lui, la voix sombre de Gauthier. Vous ne toucherez pas a dame Catherine contre son gre.

Entre le feu et Mac Laren, le Normand dressait sa lourde silhouette et Catherine pensa qu'il ressemblait a l'un de ces ours dont le lieutenant venait de parler. Son visage etait menacant et sa large main s'appuyait a la hache passee a sa ceinture. Catherine prit peur en comprenant que les deux hommes etaient prets a s'empoigner. En effet, Ian Mac Laren repondait, meprisant :

— Tu commences a m'echauffer les oreilles, l'ami ! Es-tu F ecuyer de Dame Catherine ou bien sa nourrice ? Reste a ta place... Je ne veux que la soigner. A moins que tu ne preferes que son epaule pourrisse tranquillement ?

— J'ai tres mal, Gauthier, dit Catherine doucement. S'il peut quelque chose pour me soulager, je crois que je lui en serais reconnaissante. Aide-moi, Sara...

Gauthier ne repondit rien. Il tourna les talons, et, le dos rond, alla s'asseoir dans le coin le plus eloigne. Son visage avait la rigidite de la pierre. Cependant, aidee par Sara, Catherine s'etait levee, deroulait l'immense piece de laine dont elle etait a la fois vetue et drapee.

— Retournez-vous, vous autres ! ordonna Sara aux quelques soldats qui ne dormaient pas encore.

Elle defit le justaucorps de flanelle, la cotte de mailles, puis, quand Catherine n'eut plus que les chausses collantes et la rude chemise safran, elle la fit rasseoir, ouvrit elle-meme le col pour degager l'epaule blessee.

Un genou en terre, Mac Laren attendait, mais son regard ne quittait pas Catherine qui se sentait rougir. Les yeux etranges avaient suivi insolemment la ligne de ses longues jambes, la courbe de ses hanches, remontaient vers sa gorge dont les formes, malgre la bande de toile qui les serrait, se dessinaient sous le grossier tissu. Mais elle ne dit rien, le laissa oter le pansement tandis que Sara approchait un brandon enflamme pris au brasier. Mac Laren fit entendre un petit sifflement, fronca les sourcils ; la blessure n'etait pas belle. La plaie se boursouflait et prenait des teintes livides de mauvais augure.

— L'infection n'est pas loin, grommela-t-il, mais je vais arranger ca. Je vous previens, vous allez avoir mal un instant. Esperons que vous serez courageuse.

Il s'eloigna, revint avec une gourde en peau de chevre et un petit sac dont il tira de la charpie. S'agenouillant de nouveau, il prit sa dague et, rapide comme l'eclair, rouvrit la plaie, si vite que Catherine n'eut pas meme le temps de crier. Un mince filet de sang coula. Puis l'Ecossais humecta un tampon avec le liquide de la gourde. Apres quoi, sans douceur, il se mit a nettoyer la blessure.

— Je vous previens, dit-il avant de commencer, ca brule !

Cela brulait, en effet, comme l'enfer. Malgre ce qu'il avait dit, Catherine serra les dents de toutes ses forces. Elle retint le cri de douleur qui lui montait aux levres, si violemment que les larmes jaillirent de ses yeux, mais elle ne dit rien. L'une de ses larmes tomba sur la main de Mac Laren. Il releva les yeux, regarda Catherine avec une douceur inattendue, sourit.

— Vous etes courageuse, je l'avais devine. C'est fini maintenant.

— Que lui avez-vous mis ? demanda Sara.

— Un liquide que les Maures appellent l'esprit-de- vin et dont ils se servent pour ranimer les malades. On s'est apercu qu'en s'en servant pour laver les blessures on les empechait de s'infecter.

Tout en parlant, il appliquait un peu de pommade sur la blessure, remettait un pansement propre. Ses mains etaient maintenant d'une etonnante douceur et, brusquement, Catherine oublia sa douleur, retint son souffle. L'une des mains glissait de son epaule au creux de son dos, s'attardait en une caresse sous laquelle la jeune femme, confuse, se sentit frissonner. Le sang monta a ses joues, colere et honte melees.

Ce trouble qui s'insinuait en elle sous cette paume d'homme lui faisait d'autant plus horreur qu'il eveillait dans sa chair la conscience aigue de sa jeunesse etouffee. Elle avait cru son corps a jamais reduit au silence parce que son c?ur etait mort a l'espoir et voila que, dans cette fugitive minute, il lui infligeait un dementi brutal. Elle detourna la tete pour fuir le regard qui fouillait le sien, remonta sa chemise d'un geste sec.

— Merci, messire. Cela ne fait presque plus mal maintenant. Je vais essayer de dormir.

Ian Mac Laren laissa retomber ses mains, s'inclina sans repondre et s'eloigna tandis que, sous l'?il tout a coup soupconneux de Sara, Catherine, rouge jusqu'aux oreilles, remettait ses vetements en hate puis s'enfoncait dans la paille. Elle allait fermer les yeux quand Sara se pencha sur elle. Le reflet du feu mourant fit etinceler les dents de Sara. Ses yeux brillerent malicieusement.