Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 28

Catherine vit la reine Yolande descendre vivement les marches du perron et s'avancer, les deux mains tendues, un rayonnant sourire aux levres, vers l'arrivant. Elle vit le dur visage de Richemont s'adoucir tandis qu'il s'agenouillait pour baiser la belle main qu'on lui offrait.

D'ou elle etait, Catherine ne pouvait entendre ce qui disait, mais elle remarqua qu'entre la duchesse-reine et le chef de guerre l'entente semblait complete, absolue et en tira un profond reconfort. Elle se souvenait de la sympathie que Richemont avait toujours montree a Arnaud et de l'obstination avec laquelle cet homme de fer menait ses affaires. Yolande, Richemont, c'etaient les deux indestructibles piliers sur lesquels elle comptait batir l'avenir de son petit Michel.

Une demi-heure plus tard, enfouie dans un grand cuveau plein d'eau chaude et parfumee, elle avait presque oublie et sa misere des derniers jours et sa fatigue. Les yeux clos, le cou appuye au rebord habille de draps, Catherine se laissait aller, corps abandonne, muscles et nerfs detendus. La chaleur de l'eau penetrait chacune des fibres de son etre, leur communiquant un engourdissement bienfaisant. Elle avait la sensation profonde d'abandonner, au fond de ce bain tout embaume d'herbes balsamiques, en meme temps que la salete, sa peur, sa souffrance et meme dix ans d'age. Son esprit etait plus clair, son sang circulait mieux. De nouveau, elle savait qu'elle etait jeune, forte et que ses armes feminines demeuraient intactes. Cela, elle l'avait lu dans les yeux admiratifs des deux servantes qui l'avaient aidee a entrer dans son bain et qui maintenant, ouvrant des coffres, sortant des linges et des draps, s'activaient a preparer son coucher tandis qu'elle se reposait.

Oui, elle etait toujours aussi belle et c'etait bon de le savoir !

Sara dormait dans le reduit ou on l'avait portee plutot que conduite.

C'etait tout juste si elle avait ouvert un ?il entre la galerie du bord de l'eau et son lit, mais, pour une fois, Catherine pouvait se passer d'elle.

Maintenant, le lit etait pret, l'eau du bain couverte de plaques grisatres qui en disaient long sur le degre de crasse que Catherine avait apportee d'Auvergne et l'une des cameristes tendait deja un drap chauffe au feu pour en envelopper la baigneuse. Celle-ci se leva et demeura un instant debout dans la cuve, chassant, de ses deux paumes, les gouttelettes qui roulaient sur ses hanches. Au meme instant, les dalles de l'etroite galerie, au- dehors, claquerent sous un pas rapide chausse de fer, la porte s'ouvrit sous la poussee d'une main peremptoire et un homme entra dans la chambre.

Son exclamation de stupeur fit echo au cri horrifie de Catherine. De l'homme si soudainement apparu, ses yeux agrandis ne detaillerent rien, ils virent seulement que c'etait presque un geant et qu'il etait blond. D'un geste brusque, elle arracha le drap des mains de la servante et s'en drapa sans se soucier de le tremper a moitie.

— Comment osez-vous ? Sortez ! Sortez immediatement ! s'ecria-t-elle.

Le spectacle qui s'etait offert a lui, joint a l'apostrophe furieuse de Catherine, avait plonge l'arrivant dans une complete stupeur. Il arrondit les yeux, ouvrit la bouche sans parvenir a articuler une seule parole tandis que Catherine, outree, hurlait :

— Eh bien, qu'attendez-vous ? Je vous ai deja dit de sortir ! Vous devriez etre loin !

Apparemment, il etait change en pierre et, quand enfin il retrouva l'usage de la parole, ce fut pour bredouiller :

— Qui... qui etes-vous ?

— Cela ne vous regarde pas ! Et quant a vous, je peux vous dire ce que vous etes : un malappris ! Allez- vous-en !

— Mais..., commenca le malheureux.

— Pas de mais ! Vous etes encore la ?

Folle de colere, Catherine ramassa dans la cuve une grosse eponge et la projeta vigoureusement, toute gonflee d'eau, sur l'ennemi. Elle avait bien vise. L'eponge atteignit l'intrus en plein visage. En un instant, la cotte d'armes en soie bleue qu'il portait sur son armure fut trempee. Et, cette fois, il battit en retraite. Balbutiant de vagues excuses, le chevalier s'enfuit en courant, dans un grand bruit de ferraille. Catherine alors sortit de son bain avec la dignite d'une reine offensee, mais les deux servantes, medusees, ne firent pas un mouvement pour l'aider.

— Eh bien ? fit-elle d'un ton sec.

— Est-ce que la noble dame sait qui elle vient de traiter comme voila ? articula enfin l'une d'elles. C'etait monseigneur Pierre de Breze

! Il tient de fort pres a Madame la Reine dont il est tres ecoute. De plus...

— Cela suffit ! coupa Catherine. Eut-il ete le Roi en personne que je n'aurais pas agi autrement. Essuyez- moi : j'ai froid !

Catherine avait chasse de sa pensee, avec quelque humeur, l'indiscret visiteur et souhaitait surtout ne plus le rencontrer car elle avait conscience de la position ridicule ou il l'avait mise. Ce fut pourtant lui qu'elle vit le premier quand, le lendemain matin, elle penetra dans la grande salle du chateau ou la duchesse-reine l'avait fait appeler, mais, chose bizarre, elle en fut moins affectee qu'elle ne l'eut cru. Une bonne nuit, un copieux dejeuner et une toilette soignee avaient opere, en elle un miracle. Elle se sentait une tout autre femme, prete a tous les combats.

Yolande, devant son evident denuement, lui avait envoye quelques robes a choisir. Celle que Catherine avait revetue etait de lourd brocart noir sous un surcot de drap d'argent ourle de zibeline. Le grand hennin pointu qui coiffait la jeune femme etait du meme brocart et supportait un flot de mousseline noire givree d'argent composant ainsi un deuil somptueux et bien propre a mettre en valeur la beaute de Catherine. Si, d'ailleurs, son miroir lui avait laisse la-dessus quelques doutes, le murmure qui accueillit son entree dans la salle du conseil les lui eut otes. Mais ce fut dans un profond silence qu'elle s'avanca vers le trone ou etait assise la reine Yolande.

Il n'y avait la, hormis la reine et elle-meme, que des hommes, en petit nombre d'ailleurs, sept ou huit, dont le plus grand etait Pierre de Breze et le plus imposant le connetable de Richemont, debout sur les marches du trone. A cote du haut fauteuil de Yolande, mais un peu plus bas, une chaire supportait un tres vieil homme en habits sacerdotaux encore droit malgre ses quatre-vingt six ans et dont les yeux faibles s'ornaient d'une paire de lunettes : Hardouin de Bueil, eveque d'Angers.

La salle etait immense et Catherine dut vaincre une soudaine timidite pour s'y engager. Des bannieres multicolores bougeaient, doucement contre les voutes de pierre et les murs disparaissaient sous une immense et fastueuse tapisserie dont les tons dominants etaient le bleu et le rouge et qui retracait les scenes fantastiques de l'Apocalypse de saint Jean. Le silence etait si profond que le bruissement soyeux de sa robe emplissait les oreilles de Catherine, mais, comme elle avait parcouru a peu pres la moitie du trajet, un pas rapide fit sonner les dalles : le connetable venait au-devant d'elle.

En la rejoignant, Arthur de Richemont s'inclina devant elle, et, offrant son poing ferme pour qu'elle y posat sa main, dit doucement :

— La bienvenue parmi nous, Madame de Montsalvy ! Plus que quiconque nous sommes heureux de vous voir, vous qui avez tant souffert pour une cause qui est notre ! Votre epoux etait encore bien jeune lorsqu'il combattit a mes cotes, a Azincourt, mais sa vaillance le faisait deja remarquer. Je l'aimais profondement et j'ai le c?ur navre de sa mort !

Debarrasse du heaume, le visage volontaire du prince breton - il devait succeder a son pere comme duc de Bretagne - ravage de balafres anciennes mais eclaire d'une paire d'yeux bleu clair au regard direct, s'offrait en pleine lumiere. Catherine retrouva intacte l'impression de confiance qu'il lui avait donnee, la premiere fois qu'elle l'avait vu au moment de ses fiancailles avec la s?ur de Philippe de Bourgogne, deja veuve du Dauphin de France Louis de Guyenne. Cet homme avait la solidite d'un rempart, la nettete d'une lame d'epee, la valeur de l'or pur. Pour lutter contre les larmes qui lui venaient, elle lui sourit et plongea dans une reverence tout en posant sa main sur celle qu'on lui offrait.