Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 34
— Nous allons encore loin ? Ca empeste ici !
— Nous sommes dans la rue de la Poissonnerie, vous ne voudriez pas qu'elle sentit l'ambre et le jasmin ? riposta Tristan. Au surplus, nous sommes bientot arrives. La rue de la Parcheminerie, ou nous allons, fait suite a celle-ci.
Pour toute reponse, Sara se contenta de glisser son bras sous celui de Catherine et de hater le pas. Bientot on entra dans la rue annoncee qui, elle, ne sentait pas le poisson mais fleurait vaguement l'encre et la colle d'amidon. Le vent faible faisait cependant grincer les enseignes et l'eclairage y etait encore plus rare que dans sa voisine. Dans toute la rue, une seule fenetre etait eclairee, encore etait-ce une etroite fenetre trilobee qui semblait refleter des lueurs d'incendie.
C'est devant cette fenetre, ou plutot devant la porte situee juste en dessous, que Tristan l'Hermite s'arreta. Les yeux de Catherine etaient assez habitues a l'obscurite pour qu'elle put distinguer une petite maison biscornue a laquelle le pignon penche donnait l'aspect d'une vieille en bonnet legerement prise de boisson. Mais, contrairement a ses voisines, faites de bois et de platre, cette maison etait construite en bonne pierre. Et si la porte etait basse, elle etait solidement armee de pentures de fer fleuronnees et une grande enseigne en forme de parchemin pendait au-dessus. Un anneau ouvrage s'y accrochait, qui servait de heurtoir. Tristan, par trois fois, frappa lentement.
— Ou sommes-nous ? chuchota Catherine un peu impressionnee par le silence.
— Chez l'homme qui peut le plus nous etre utile, gracieuse Dame.
Ne vous inquietez pas.
— Moi, je ne m'inquiete pas, je gele ! bougonna Sara. J'ai les pieds trempes !
— Il fallait mettre des bottines plus solides. Mais on vient.
En effet, derriere la porte, un trottinement de souris se faisait entendre. La porte s'ouvrit, tournant sans bruit sur ses gonds bien huiles, et une petite vieille en robe grise, tablier et cornette de toile blanche, apparut, saluant autant que le permettait son echine raidie par les rhumatismes.
— Maitre Guillaume vous attend, Messire, et vous aussi, nobles dames !
— C'est bien, nous montons.
Un escalier, raide et mal eclaire par un lumignon, s'elevait au fond de l'etroit couloir sur lequel donnait uniquement une porte entrouverte menant sans doute a une cuisine. Des hauteurs de l'escalier, une grosse voix tonna :
— Montez, Messire. Tout est pret.
L'ampleur de cette voix fit sursauter Catherine. Elle lui rappelait celle de Gauthier, mais l'homme qui la possedait etait l'antithese meme du Normand. Petit, contrefait, bossu, son visage abondamment ride etait agite de tics incessants. Il semblait n'avoir ni cheveux, ni barbe, ni sourcils et de bizarres plaques rose vif marquaient ses joues, son menton et son front. Un bonnet noir, enfonce jusqu'aux orbites, cachait son crane, soulignant les yeux, rouges et fatigues. Catherine retint un mouvement de repulsion devant cet etre hybride et repugnant. Il la regardait avec insistance en se frottant les mains machinalement et en passant continuellement sa langue sur ses levres.
La voix terrifiante reprit :
— Voila donc la dame qu'il faut faire brunir. Nous allons d'abord lui donner un bain, puis nous nous occuperons des cheveux.
Catherine eut un mouvement de recul et Sara fronca les sourcils.
— Un bain ? fit la jeune femme d'une voix faible. Mais je...
— C'est indispensable, fit avec onction maitre Guillaume. Votre peau doit etre teinte completement.
Tristan, qui jusqu'a present n'avait rien dit, comprit la repugnance de Catherine et prit conscience de l'air rogue de Sara. Il s'interposa.
— C'est un bain de plantes, dame Catherine, qui ne pourra vous faire aucun mal. Sara vous aidera. Mais je crois qu'auparavant il faut que je vous presente maitre Guillaume. De son etat, il est enlumineur et l'un des meilleurs de France. Mais il a ete longtemps l'un des membres les plus brillants de la Confrerie de la Passion qui, a Paris, jouait de si beaux Mysteres. L'art du grimage et des changements d'aspect n'a pas de secrets pour lui. Et plus d'une dame noble d'Angers, en voyant blanchir ses cheveux, fait appel discretement a ses bons offices.
Le bonhomme continuait a se frotter les mains, paupieres mi-closes, et ronronnait comme un chat a l'audition du petit discours louangeur du Flamand. Un peu rassuree, car elle avait craint un instant d'etre dans l'antre d'un sorcier, Catherine respira et voulut se montrer aimable.
— Vous ne jouez plus de Mysteres ? dit-elle.
La guerre, noble dame, et la grande misere qui regne a Paris ont disperse notre compagnie. De plus, dans mon etat, je ne peux plus guere me montrer sur des treteaux.
— Vous avez eu un accident ?
Guillaume eut un petit rire chevrotant qui contrasta bizarrement avec sa voix normale :
— Helas ! Un jour ou j'avais l'honneur de jouer Messire Satan et ou j'evoluais parmi les torches de resine qui figuraient l'Enfer, mon costume a pris feu. J'ai cru perir, mais j'ai survecu... dans l'etat ou vous me voyez ! Il me reste mon art d'enlumineur et les conseils que je puis donner quand, bien rarement de nos jours, on monte un spectacle. Mais si vous voulez me suivre, le bain attend et il ne faut pas le laisser refroidir.
Sara emboita le pas a Catherine tandis qu'elle se dirigeait, conduite par Guillaume, vers le fond de la grande piece ou travaillait d'ordinaire l'enlumineur. Piece assez agreable d'ailleurs, pleine de parchemins roules, de petits pots de couleurs differentes, de pinceaux fins comme des cheveux, faits de martre ou de soie de porc. Sur un lutrin reposait une grande page d'evangeliaire ou Guillaume, avec un art consomme, peignait, sur fond d'or, une admirable miniature representant la Crucifixion. Au passage, le regard de Catherine accrocha l'?uvre commencee.
— Vous etes un grand artiste, dit-elle avec un respect instinctif.
Un eclair d'orgueil brilla dans les yeux fatigues de Guillaume et il esquissa une grimace qui pouvait passer pour un sourire.
— Une louange sincere fait toujours plaisir, noble dame. Par ici, je vous prie.
Le petit cabinet ou il introduisit Catherine apres avoir souleve un rideau a ramages ressemblait nettement, cette fois, a l'antre d'un sorcier. Une infinite de bocaux, de cornues, de fourneaux et d'animaux empailles l'emplissait, gravitant autour d'un fourneau de briques et d'un grand baquet a lessive pose a terre et plein d'une eau sombre qui fumait.
Catherine regarda avec mefiance le liquide brun fonce ou l'on pretendait la plonger. Quant a Sara, elle s'etait tue trop longtemps a son gre.
— Qu'y a-t-il la-dedans ? demanda-t-elle d'un ton soupconneux.
— Des plantes, uniquement, repondit placidement l'enlumineur.
Vous me permettez de garder pour moi le secret de la composition. Je consens seulement a vous dire qu'il y a, parmi elles, de l'ecorce de noix. Il faut que cette belle dame se plonge entierement dans le baquet, le visage et le cou y compris. Un quart d'heure, avec autant d'immersions que vous pourrez pour le visage, doit suffire.
— Et ensuite, je serai comment ? dit Catherine.
— Vous aurez le teint aussi brun que cette majestueuse personne qui vous accompagne.
— Et... je resterai comme cela ? reprit la jeune femme inquiete en imaginant ce que penseraient son petit Michel et sa grand-mere en la retrouvant transformee en bohemienne.
— Non. Cela s'effacera progressivement. Deux mois sont, je pense, tout ce que vous pourrez tenir. Ensuite, il vous faudrait un autre bain, a moins que vous ne vous exposiez longuement au soleil.
Hatez-vous, le bain refroidit.
Il sortit, comme a regret, suivi par Sara qui alla soigneusement refermer le rideau derriere lui et obstrua de son large dos une fente toujours possible. Pendant ce temps, Catherine se deshabillait vivement et, sans respirer, se plongeait dans l'eau. Une odeur douceatre et, legerement poivree, tout a la fois, emplit ses narines.