Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 2
D'un geste instinctif, il leva son bras, arme du lourd bourdon. L'un des pelerins s'interposa vivement, saisit le bras leve et le forca a retomber.
— Eh la ! mon frere ! Moderez-vous ! N'oubliez pas que vous avez affaire a une femme, non a un valet. Tudieu ! Les rudes manieres que vous avez, dans votre sauvage Auvergne ! fit le nouveau venu d'un ton goguenard. Ne vaudrait-il pas mieux que vous essayiez de nous sortir de ce brouillard qui penetre jusqu'a nos os transis ? L'endroit me parait mal choisi pour une controverse et je saurai bien aider dame Catherine a soutenir notre s?ur jusqu'a l'etape... si toutefois il y en a une!
— A la domerie, elle recevra les soins dont elle a besoin, marmotta Gerbert en retournant prendre sa place a la tete de la colonne.
Quand j'en verrai les toits, j'y croirai a sa domerie ! remarqua le defenseur de Catherine en l'aidant a relever la pauvre Gillette dont les genoux pliaient de fatigue. « Il faudrait porter cette femme... » acheva-t-il en jetant autour de lui un regard qui cherchait quelque chose.
Catherine lui sourit avec reconnaissance. Elle ne l'avait pas encore remarque et s'etonna de son aspect etrange pour un pelerin.
C'etait un homme jeune, mince et de taille moyenne, brun de cheveux, mais dont le visage ne correspondait en rien a ce que l'on imaginait, en fait de traits, chez un pieux pelerin. Rien ne semblait d'aplomb dans cette figure, au demeurant extraordinairement expressive. Des levres epaisses, charnues, sur lesquelles tombait un nez long et fort, casse en son milieu, de petits yeux bleus enfonces sous des sourcils decolores, un menton carre, volontaire, mais une multitude de rides precoces. Les traits etaient grossiers, la physionomie mobile, le regard vif denoncant l'intelligence, de meme que les plis moqueurs de la bouche avouaient un irresistible penchant pour l'ironie.
Conscient de l'examen muet de Catherine, il eut un curieux sourire qui rentrait les levres et fendait la bouche jusqu'aux oreilles, ota le grand chapeau de pelerin qu'il portait retrousse d'une maniere fort cavaliere et en balaya le sol.
— Josse Rallard, belle dame, pour vous servir ! Je suis parisien, gentilhomme d'aventure et, si je me rends en Galice, c'est autant pour accomplir un v?u que pour le pardon de mes peches qui sont nombreux ! Hola ! vous autres, qui m'aide a porter cette femme jusqu'a l'hospice ?
Parmi les proches voisins, personne ne se proposa. Visiblement, les pelerins avaient assez de leur propre peine. Tous etaient las, transis.
Certains grelottaient dans le vent aigre du haut plateau. Aucun ne se sentait le courage de porter ce poids supplementaire. Catherine songea qu'ils avaient l'air d'un troupeau de moutons apeures et ne put se defendre d'un sentiment de dedain. Etait-ce la l'entraide qui devait regner chez des penitents ? Deja, entrainee par Gerbert Bohat, la troupe allait se remettre en marche quand Josse, fendant les rangs de ceux qui l'entouraient, alla frapper sur l'epaule d'un homme de taille moyenne qui faisait le dos rond sous son chapeau.
— Allons, compere ! Venez me donner un coup de main ! A-t-on jamais vu de saintes gens comme vous, mes freres ! Quoi ? Pas un volontaire ? Vous, mon compere, vous ne refuserez pas.
— Je ne suis pas votre compere ! marmotta l'autre sans pour autant oser resister.
Remorque par Josse, il rejoignit bientot Catherine qui soutenait toujours Gillette. Mais, visiblement, c'etait sans enthousiasme. Josse, cependant, riait sans retenue de sa mine longue.
— Allons donc ! Ne sommes-nous pas parisiens tous les deux ?
L'orgueil est un affreux peche, surtout chez un pelerin, mon frere !
Dame Catherine, je vous presente messire Colin des Epinettes, juriste distingue et homme de grand savoir, que j'ai ete fort heureux de retrouver ici. Allons, mon frere, prenez madame de ce cote, je la prendrai de l'autre. Il n'est pas convenable que Dame Catherine s'epuise quand nous sommes la !
La mine furieuse du « juriste distingue » donnait a Catherine une soudaine envie de rire qui allegea un instant sa lassitude. Elle aurait pu jurer l'avoir entendu grogner :
— Le Diable t'emporte ! Toi et ta langue de vipere ! le tout a l'adresse de son concitoyen.
Mais Colin n'en avait pas moins passe l'un des bras de Gillette autour de son cou tandis que Josse faisait autant de l'autre bras. Ainsi etayee, la pauvre femme ne touchait pratiquement plus terre.
Catherine se chargea de son baton et de sa besace, fort mince a vrai dire. On se remit en marche, mais l'arret avait delie les langues. Les pelerins, maintenant, se plaignaient de la longueur de l'etape, de l'obscurite qui les enveloppait. Certains craignaient les tourbieres traitresses et imploraient saint Jacques de les proteger dans ce premier peril.
— Taisez-vous ! cria quelque part dans le brouillard devant Catherine la voix imperieuse de Gerbert. Ou alors chantez !
— Nous n'en avons pas le courage ! repliqua quelqu'un. Pourquoi ne pas admettre que nous sommes perdus ?
— Parce que nous ne le sommes pas ! repliqua le chef. La domerie ne peut plus etre loin...
Catherine ouvrait deja la bouche pour emettre, elle aussi, un doute.
Mais, comme pour donner raison au Clermontois, le son affaibli et grele d'une cloche traversa le brouillard. Bohat poussa un cri de triomphe.
— La cloche des perdus ! Nous sommes sur la bonne voie ! En avant !
Levant haut son bourdon comme un etendard, il s'elanca dans la direction d'ou venait le son. La troupe harassee s'ebranla derriere lui.
— Esperons qu'il a le sens de la direction, marmotta Josse. Rien n'est trompeur comme le brouillard !
Catherine ne repondit pas. Elle avait froid et elle etait affreusement lasse. Mais les appels de la cloche se faisaient de plus en plus clairs.
Bientot une faible lueur jaune apparut dans les tenebres. Gerbert Bohat la salua comme une victoire personnelle.
— Ce feu, c'est celui que les moines allument au sommet du clocher. Nous arrivons.
Le brouillard, soudain, se dechira et Catherine vit surgir devant elle, avec soulagement, une masse de batiments trapus. Coupant le ciel de leurs aretes noires, une enorme et antique tour, un massif clocher carre couronne de feu, une haute nef renforcee d'arcatures puissantes semblaient garder le troupeau sombre de grands batiments aux rares ouvertures. L'hospice des solitudes, retranche contre le dernier repli du vaste plateau, avait l'allure exacte d'une forteresse.
Les pelerins, ressuscites, se mirent a pousser des cris de joie qui dominerent le son de la cloche dont les battements tombaient maintenant d'aplomb sur leurs tetes. Le portail, alors, s'ouvrit en grincant, livrant passage a trois moines armes de torches qui se precipiterent a la rencontre des arrivants.
— Nous sommes les errants de Dieu ! cria Gerbert d'une voix forte. Nous demandons l'asile !
— Entrez, mes freres, l'asile vous est ouvert.
Comme si elle n'avait attendu que l'arrivee des pelerins, la neige se mit a tomber avec une soudaine violence, mouchetant la vaste cour de terre battue ou les narines s'emplissaient d'une forte odeur de bergerie.
Catherine, epuisee, s'adossa a un mur. Sans doute un dortoir allait-il la reunir a ses compagnes de voyage... Mais ce soir, sans trop savoir pourquoi, elle avait envie d'un moment de solitude avec elle-meme.
Peut-etre parce que cet etrange voyage la deroutait, malgre son courage. Elle se sentait deracinee au milieu de ces gens, etrangere a leurs aspirations, a leurs v?ux. Ce qu'ils desiraient tous, c'etait se sanctifier en s'approchant du tombeau de l'Apotre, c'etait en quelque sorte s'assurer, de leur vivant, une belle part de Paradis. Mais elle ?
Certes, elle souhaitait obtenir de Dieu la fin de son calvaire, la guerison de l'epoux bien-aime, mais, surtout, c'etait pour « le » revoir, pour retrouver son amour, ses baisers, sa chaleur, tout ce qui constituait la realite vivante d'Arnaud. Ce n'etait pas apres une haute spiritualite qu'elle courait, mais bien apres un amour terrestre, charnel, sans lequel elle ne se sentait pas le courage de vivre.