Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 27

— Mais parviendrons-nous a lui faire quitter la ville ? Les portes semblent solides et bien gardees.

— Chaque chose en son temps ! Pour cela aussi j'ai une idee...

— Avec une bonne corde, fit Josse, qui n'avait pas sonne mot depuis que l'on etait entre dans l'eglise, on peut toujours se laisser glisser le long d'un rempart.

— Oui... a la rigueur ! Mais j'ai peut-etre mieux. Un maitre d'?uvre apprend bien des choses, simplement en se servant de ses yeux. Maintenant il faut redescendre.

Avec un dernier regard a l'homme en cage, Catherine se laissa conduire vers l'escalier. Dans la nef obscure de la cathedrale, les moines poursuivaient leur oraison, n'ayant meme pas soupconne le passage des trois compagnons. La porte se referma sans bruit.

Catherine et les deux hommes se retrouverent dans la rue.

Lorsque l'on eut regagne la maison d'?uvre, Hans fit quelques recommandations a ses hotes.

— Pour tout le monde, ici, vous serez des cousins a moi en route pour Compostelle, mais evitez tout de meme de vous meler a mes ouvriers. Quelques-uns sont de mon pays et s'etonneraient que vous ne connaissiez pas notre langue. A part cela, vous pouvez aller et venir comme bon vous semblera.

— Merci, repondit Catherine, mais je n'en ai pas envie. La seule vue de cette affreuse cage me rend malade. Je resterai a la maison.

— Pas moi ! dit Josse. Quand il y a une fuite a preparer, il vaut mieux ouvrir ses yeux et ses oreilles.

La journee suivante fut terrible pour Catherine. Enfermee dans la maison de Hans, elle s'efforcait de ne pas regarder au-dehors pour ne pas voir la pluie hargneuse qui tombait depuis le matin et ne pas entendre les cris de haine et les imprecations qui s'elevaient de temps en temps et dont elle ne devinait que trop la destination. Elle demeura seule tout le jour dans l'unique compagnie de la vieille Urraca, compagnie qui n'avait rien de bien reconfortant. Des levres rentrees de la femme s'echappaient des paroles que Catherine ne pouvait comprendre. Urraca allait et venait dans la cuisine, parlant seule comme cela arrive frequemment a ceux qui n'entendent pas, accomplissant sa tache avec une sorte d'automatisme. A l'heure du repas, elle poussa devant Catherine une ecuelle pleine, quelques galettes a moitie brulees et un pichet d'eau claire, puis retourna s'asseoir pres du tonneau d'ou elle se mit a examiner la jeune femme avec une attention qui, bientot, l'exaspera. Catherine finit par lui tourner le dos et par aller s'installer sous la galerie de la cour interieure pour y attendre le retour des hommes. Josse etait parti en meme temps que Hans. Il voulait faire un tour en ville pour reconnaitre les lieux, disait-il.

Quand il revint, vers le milieu de l'apres-midi, son visage etait sombre. A l'interrogation angoissee de Catherine, il repondit par un haussement d'epaules.

— L'evasion ne sera pas facile, fit-il enfin. Je crois bien qu'elle risque de provoquer une revolution. Les gens d'ici sont comme des fauves laches. Ils execrent tellement les brigands d'Oca qu'ils ne se tiennent plus de joie a l'idee d'en tenir un. Si on leur arrache leur proie, ils vont tout casser !

— Eh ! qu'ils cassent tout ! s'ecria Catherine. Qu'est-ce que cela me fait ? Est-ce que nous sommes de ce pays ? La seule chose qui importe, c'est la vie de Gauthier...

Josse lui jeta un bref regard en dessous.

— Vous l'aimez donc tant que cela? demanda-t-il avec une nuance sarcastique qui n'echappa pas a la jeune femme.

Elle planta son regard violet bien droit dans les yeux de l'ancien truand et, non sans grandeur, lanca :

— Certes, je l'aime... autant et plus meme que s'il etait mon frere.

Ce n'est qu'un paysan, mais son c?ur, sa vaillance et sa loyaute le font plus digne de porter les eperons d'or que bien des nobles. Et si vous esperez m'engager a quitter cette ville en l'abandonnant a ces brutes, vous perdez votre peine. Dusse-je y laisser ma vie, je tenterai tout pour le sauver.

La bouche de Josse s'etira en demi-lune pour un large sourire tandis qu'une etincelle venait danser dans ses yeux.

— Et qui vous dit le contraire, dame Catherine ? J'ai simplement remarque que ce serait difficile et que nous risquions de dechainer une revolution, mais rien de plus. Ecoutez !

En effet, au-dehors, une nouvelle salve de huees et de cris de mort s'elevaient dans le jour tombant.

— L'alcade a du faire doubler la garde au pied de la tour. Ils sont la, masses sur la place, trempes par la pluie, mais hurlant comme des loups.

— Doubler la garde ? repeta Catherine en palissant.

— Ce n'est pas la garde qui m'inquiete, intervint Hans qui, degouttant d'eau, entrait a cet instant precis. C'est la foule elle-meme.

Si la pluie meme ne les chasse pas, ils sont capables de rester la toute la nuit, le nez en l'air. Alors, adieu notre projet !

Il s'ebroua comme un chien, secouant ses epaules pour en faire tomber l'eau. Il y avait de la compassion dans le regard dont il enveloppa Catherine. La jeune femme etait blanche comme craie et faisait de visibles efforts pour conserver son calme. Elle garda le silence un moment tandis que Hans otait ses souliers dont chacun portait son volume de boue. Finalement, elle demanda :

— Le treuil ? Avez-vous pu vous en occuper ?

— Bien sur. Sous pretexte qu'il y avait quelque chose qui ne marchait pas, je lui ai mis tellement de graisse qu'on pourrait le faire frire. Mais que voulez- vous tenter avec tous ces gens qui restent la, a regarder et a hurler ? On ne pourra meme pas donner a boire et a manger au prisonnier.

— Il faut qu'ils partent ! gronda Catherine entre ses dents, il le faut

!... — Oui, fit Josse, mais comment ? Si l'eau du ciel elle-meme n'en vient pas a bout...

A cet instant precis, un violent coup de tonnerre eclata, tellement inattendu que les trois compagnons sursauterent. En meme temps, on eut dit que le ciel crevait. La pluie se changea en deluge. De veritables trombes d'eau s'abattirent sur la terre, si violentes qu'en peu de minutes la place se vida. Les gens, se protegeant de leur mieux contre l'averse, refluerent en desordre vers les maisons. Les soldats se tasserent instinctivement contre le mur de la cathedrale, cherchant un abri precaire. Les ouvriers deserterent les tours. Seule, la cage demeura dans l'orage et le vent, si violent qu'il lui imprimait un balancement.

Masses contre la petite fenetre de la place, Catherine, Hans et Josse regardaient.

— Si cela pouvait durer... murmura Catherine. Mais ce n'est qu'un orage...

— Il arrive que les orages durent, fit Hans d'un ton encourageant.

De toute facon, voici la nuit... et elle sera bien noire. Venez, mes hommes approchent. Il faut souper, prendre un peu de repos. Nous avons a faire cette nuit...

La soiree parut a Catherine encore plus longue que le jour. La pluie durait. On entendait, sur le toit, son crepitement rageur, incessant. Les hommes avaient mange en silence puis, un a un, le dos arrondi sous le poids de la fatigue, ils regagnaient leur grabat. Seuls, deux ou trois d'entre eux s'attardaient avec Hans a boire la biere contenue dans le grand tonneau. Assise dans l'atre, en face de Josse qui, son bonnet tire sur les yeux et les bras croises, semblait dormir, Catherine attendait.

Elle aussi avait ferme les yeux, mais le sommeil ne venait pas. Trop de pensees se heurtaient dans sa tete. Elles s'accrochaient toutes a l'homme qui, la-haut, etait livre aux elements dechaines. Catherine songeait tristement que le ciel lui-meme semblait vouloir ajouter au supplice de celui qui ne croyait pas en lui. Puis elle s'angoissait et s'impatientait a la fois en evoquant la tache qui les attendait tout a l'heure. Parviendraient-ils a la mener a bonne fin ? Et, une fois Gauthier hors de l'affreuse cage, comment lui faire quitter la ville ? Le brave Hans n'allait-il pas subir les terribles consequences de l'evasion