Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 51
Courageusement, les trois compagnons s'etaient engages a pied, dans les sentiers a peine traces de la chaine Betique, marchant la nuit, se cachant le jour, se guidant sur les etoiles qui, pour le truand parisien comme pour le geant des forets normandes, semblaient n'avoir guere de secrets. Cette derniere partie du voyage fut rude et epuisante, mais Catherine la supporta vaillamment. Ce ciel inconnu, si bleu quand venait la nuit, ces etoiles plus grosses, plus brillantes que toutes celles qu'elle avait contemplees jusque-la, tout cela lui disait qu'elle approchait enfin ce lieu etrange, captivant et dangereux, ou vivait Arnaud.
Le chemin suivi parlait encore de guerre, de souffrance et de mort.
Parfois, dans l'obscurite, on butait sur un cadavre en train de pourrir tranquillement sous un buisson d'epines ou bien, durant le repos du jour, le cri sinistre des charognards venait emplir le ciel indigo. Les grands oiseaux noirs tournoyaient lourdement puis s'abattaient comme pierre sur un point quelconque du paysage. Mais quand, du haut de l'aride sierra, Catherine avait decouvert, a l'aube deja gonflee de soleil d'une glorieuse journee du sud, la splendeur de Grenade couchee dans son ecrin de montagnes comme au c?ur d'une immense coquille dont la nacre garderait les reflets de la mer, posee comme un bijou au bord d'une vallee verte et or qu'enfermaient les sommets neigeux d'une sierra, elle etait demeuree saisie d'admiration. Des sources sans nombre devalant la montagne et rejoignant les eaux rapides, claires et bondissantes de deux torrents, rafraichissaient ce merveilleux pays qui semblait tendre vers le ciel, offrande erigee sur un dur promontoire de roches rouges, jailli de la verdure, le plus rose, le plus chatoyant des palais maures. Une haute chaine de murailles herissees de tours carrees enserrait tendrement un seduisant fouillis de fleurs, d'arbres et de pavillons couleur de chair. Par endroits, on devinait le scintillement des fontaines, le miroir d'eau des bassins. Et il n'etait pas jusqu'aux rudes briques des remparts qui ne se parassent d'une singuliere douceur, comme si elles se refusaient a rompre l'harmonie de cette heureuse vallee ou la richesse et l'abondance s'etalaient comme un etonnant tapis de soie.
Autour du palais enchante, la ville s'etageait sur de pures collines qu'escaladaient ses murailles. De sveltes minarets, blancs ou rouges, fusaient dans l'air bleu aupres des domes verts ou or des mosquees.
Des palais s'elevaient au-dessus des maisons, mais plus haut qu'elles toutes la masse imposante de la Medersa, l'universite islamique, luttait avec le lourd batiment du grand hopital, le Maristan, sans doute, a cette heure, le mieux equipe d'Europe.
C'etait l'heure du lever du soleil, l'heure ou de chacun de ces minarets s'elevait la voix percante des muezzins appelant les Croyants a la priere.
Le chemin montagneux, a cet endroit, formait une sorte de balcon d'ou la vue embrassait tout le prodigieux pays. Catherine vint s'asseoir sur une pierre tout pres du bord et, devinant ce qu'elle eprouvait, les deux autres s'ecarterent pour la laisser mediter en paix et allerent s'installer un peu plus loin, au coude de la route.
Catherine ne pouvait detacher ses yeux du fabuleux paysage etale a ses pieds. C'etait la le but lointain de son voyage insense, entrepris a l'encontre de toute saine raison, et elle se sentait emue aux larmes a le trouver si beau. N'etait-ce pas la le pays meme des songes et de l'amour ? Et pouvait-on vivre ici autrement que dans la joie et le bonheur ?
Elle avait peine, elle avait souffert, elle avait tremble, verse des larmes et du sang, mais elle etait arrivee. Arrivee ! C'en etait fini des routes interminables, des horizons qui semblaient ne jamais devoir cesser de se succeder. Finies les nuits de doute, passees a se demander si elle atteindrait jamais ce lieu, que, parfois, dans ses minutes de decouragement, elle s'etait surprise a croire imaginaire. Grenade etait devant elle, couchee a ses pieds comme une bete caressante, et sa joie etait si grande de la decouvrir enfin qu'elle en oublia un instant les dangers qui pouvaient l'y attendre. Arnaud, maintenant, n'etait plus qu'a quelques pas d'elle et sa demeure devait etre ce fabuleux palais si bien garde.
Si bien garde !... Trop bien garde ! L'idee, en l'atteignant, doucha sa joie. Ces jardins de reves poussaient sur une forteresse. Sous leurs palmes vertes, sous leurs feuillages foisonnant et leurs roses, il y avait des soldats, des armes. Et cette femme, elle-meme, cette femme qu'elle haissait sans la connaitre, devait avoir tous les moyens de se defendre et de garder sa proie. Comment atteindre les portes du palais, comment les forcer ? Comment trouver Arnaud dans ce fouillis de ruelles, dans ce monde cependant reduit ?
Il aurait fallu des armees pour venir a bout de cette ville et Catherine savait bien que celles du farouche connetable de Castille s'y cassaient les dents depuis des annees. Nul ne pouvait se vanter d'avoir violente les frontieres de Grenade et d'avoir vecu longtemps ensuite pour s'en glorifier.
Parce qu'elle sentait le besoin pressant de lutter contre le decouragement qui suivait de si pres la joie du triomphe, Catherine se laissa glisser a genoux dans la poussiere, joignit les mains et ferma les yeux. Durant de longues minutes, aussi ardemment qu'au pied de l'etrange petite vierge noire du Puy, elle pria, elle supplia le ciel d'avoir enfin pitie d'elle, de lui rendre l'homme qui, avec son enfant, constituait son seul bien sur la terre. « Tu ne permettras pas, Seigneur, que je n'aie touche enfin a cette rive lointaine que pour me rejeter au peril de la mer. Tu ne voudras pas que mes douleurs aient ete vaines et que je ne sois venue ici que pour y perdre a jamais mon c?ur et mon amour, parce que tu es la justice ! Et meme si j'ai souvent merite ton courroux, tu ne le permettras pas davantage parce que tu es aussi la Misericorde et parce que je t'implore. »
Une main, touchant doucement son epaule, fit rouvrir les yeux de la jeune femme. Elle vit Josse qui, penche sur elle, essayait doucement de la relever.
— Prier en plein vent, dame Catherine, quelle imprudence !
Oubliez-vous que nous sommes ici en pays infidele ? Il n'y a, vous le voyez, pas la moindre maison de Dieu, rien que les mosquees ou ces mecreants prient leur Dieu a eux. Levez-vous vite ! Si quelqu'un vous voyait...
Avec plus d'energie que de douceur, il la remettait sur ses pieds.
Elle lui sourit derriere le voile noir.
— Pardonnez-moi ! Je crois bien que je l'avais oublie. Tout est si beau ici ! Est-ce que ce pays n'est pas le Paradis lui-meme ? Et c'est bien la ce qui m'epouvante, ami Josse. Quand on vit au milieu de tant de splendeur, tout doit s'effacer. On ne doit plus pouvoir respirer loin de ces montagnes, de ces eaux fraiches, de ces jardins. Et mon epoux qui n'a connu, avant de quitter notre contree, que les horreurs d'une maladrerie, comment pourrais-je lui en vouloir vraiment s'il refuse de s'en aller ?
Messire Arnaud n'est pas l'homme de la vie molle et des jardins fleuris, coupa la voie breve de Gauthier. Je le vois mal jouant du luth ou respirant des roses dans la soie et le satin. L'epee, la cotte de mailles, voila ce qu'il aime et plus encore la vie rude des camps et des grands chemins. Quant a ce soi-disant Paradis...
— Drole de Paradis ! coupa Josse narquois. Ce palais, cette ville-palais plutot, que l'on nomme Al Hamra... « la rouge » est semblable a la rose. Il y a des epines cruelles sous ses petales embaumes.
Regardez plutot.
La main maigre du Parisien avait designe d'abord la ligne des cretes montagneuses, ponctuee de fortins dont les murailles, elles, ne se paraient d'aucune douceur. Point de fleurs ici, point d'arbres dont le vent au parfum d'oranger pouvait agiter doucement les panaches verts, point de palmes bruissantes, mais, aux creneaux, l'eclair sinistre de l'acier, la pointe etincelante des casques maures enturbannes de blanc. Puis la main de Josse redescendit vers la double enceinte fortifiee de Grenade, pointa vers les merlons que surmontaient d'etranges boules.