Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 61

— Eh bien... il me trouvera en rentrant, voila tout ! Ce sera pour lui une bonne surprise...

— Et pour toi ? La nuit qui t'attend sera-t-elle aussi une bonne surprise ?

Les gros yeux blancs de la negresse fouillaient le regard vacillant de Catherine, scrutaient son visage ou montait une rougeur.

— Un peu plus tot un peu plus tard !... murmura la jeune femme avec un geste evasif.

— Je croyais, dit Fatima lentement, que tu desirais plus que tout gagner Al Hamra ?

A ce nom, le c?ur de Catherine manqua un battement, mais elle se forca a montrer de la desinvolture.

— A quoi bon rever ? Qui peut se vanter de realiser ses reves ?

— Obeis-moi et, ce reve-la du moins, tu le realiseras, et sans tarder. Viens avec moi.

Elle prit le poignet de Catherine, voulut l'entrainer, mais, saisie d'une brusque mefiance, celle-ci resista.

— Ou m'emmenes-tu ?

— Vers cette femme que tu vois la, pres de la vasque... et vers Al Hamra, si tu le veux toujours. Cette vieille est Morayma. Tout le monde la connait ici, et la recherche parce qu'elle dirige le harem du Maitre. Elle t'avait remarquee, l'autre jour, et c'est pour toi qu'elle est revenue. Suis-la et, au lieu du petit medecin, c'est au Calife que tu appartiendras...

— Au Calife ? fit Catherine d'une voix blanche. Tu me proposes d'entrer au harem.

D'instinct, elle allait repousser avec horreur cette proposition, mais une phrase d'Abou-al-Khayr lui revint en memoire : « Les appartements de Zobeida font partie du harem », et une autre encore :

« C'est dans le jardin meme de Zobeida, dans un pavillon separe, que vit messire Arnaud... » Entrer au harem, c'etait approcher d'Arnaud.

Elle ne pouvait rien rever de mieux en fait d'occasion.

Courageusement, elle ferma son esprit a la voix de la crainte : si elle approchait seulement le captif de Zobeida, si elle osait lui parler, elle serait livree aux bourreaux mongols de la princesse. Tant de fois deja elle avait defie la torture et la mort ! Les bourreaux de Grenade ne devaient pas etre pires que ceux d'Amboise. Et puis, une fois reconnue d'Arnaud, ils seraient deux a combattre... deux a mourir s'il le fallait. Car, de toute son ame, Catherine appelait cette mort commune si c'etait la le prix qu'il fallait payer pour etre a jamais reunie a son epoux. Mieux valait, cent fois, mourir avec lui que le laisser a cette femme et, de toute facon, ce serait bien...

Le parti de la jeune femme fut pris. Elle redressa la tete, rencontra le regard soucieux de Fatima, lui sourit.

— Je te suis, dit-elle. Et je te remercie. La seule chose que je demande est que tu t'engages a faire porter, chez le medecin, une lettre que je te donnerai. Il a ete bon pour moi.

— Je peux comprendre cela. Abou le medecin aura sa lettre, mais viens, Morayma s'impatiente.

La vieille femme donnait, en effet, des signes d'agitation. Elle avait quitte l'appui de la vasque rose et s'avancait a grands pas, en femme qui n'a plus de temps a perdre. La voyant approcher, Fatima ota, d'un geste rapide de prestidigitateur, le voile safrane qui enveloppait Catherine, laissant etinceler sous le soleil ses cheveux tresses de fils d'or, devoilant sa fine silhouette a peine dissimulee par les amples pantalons de mousseline jaune pale et le court bolero filigrane d'or dont le profond decollete menacait, a chaque mouvement, de laisser jaillir sa gorge... Dans l'encadrement mauve et vert du voile, Catherine vit briller les yeux de la vieille qui, d'un geste agace, rejeta l'etoffe, decouvrant la peau jaune, plissee et dessechee, mais aussi le profil rapace d'une vieille Juive couverte de bijoux ; une bouche affaissee par absence de dentition dont le sourire n'etait plus qu'une vilaine grimace. Seules, les mains couvertes de bagues voyantes etaient encore belles. Morayma devait en prendre un soin extreme, les enduire quotidiennement d'huiles et de cremes, car elles degageaient a chaque geste un parfum penetrant et leur peau etait douce.

Catherine, neanmoins, frissonna de degout quand ces mains se poserent sur son flanc pour eprouver la douceur de sa propre peau.

— Tu peux etre tranquille, commenta Fatima goguenarde. Le grain est lisse et fin, sans defaut.

— Je vois ! fit seulement l'autre qui, tranquillement ouvrit le bolero, liberant les seins de la jeune femme qu'elle pinca a deux doigts pour en eprouver la fermete.

— Les plus beaux fruits de l'amour ! ajouta Fatima, faisant l'article sans plus de pudeur qu'un marchand de tapis. Quel homme ne les prefererait a sa raison ? Tu peux chercher, Morayma : des contrees glacees du Nord aux sables brulants du desert, des colonnes d'Hercule aux echelles du Levant, et jusque chez le Grand Khan, tu ne trouveras pas de fleur plus parfaite a offrir au Tout-Puissant Commandeur des Croyants !

Pour toute reponse Morayma hocha la tete d'un air approbateur puis ordonna a Catherine :

— Ouvre la bouche !

— Pour quoi faire ? s'insurgea la jeune femme, oubliant deja ses bonnes resolutions en se voyant traitee comme un simple cheval.

— Pour m'assurer que ton haleine est saine ! riposta sechement Morayma. J'espere, femme, que ton caractere est souple et obeissant.

Je ne me soucie pas d'offrir au Calife une fille rebelle ou tout au moins insoumise...

— Pardonne-moi ! fit Catherine en rougissant.

Et, docilement, elle ouvrit la bouche, decouvrant un palais rose et d'etincelantes dents blanches, entre lesquelles la vieille engagea un nez prudent. Du coup, la jeune femme dut maitriser une brusque envie de rire tandis que la vieille coulait vers la grosse Ethiopienne un regard amuse.

— Que lui fais-tu macher, vieille sorciere ? Son haleine embaume

! — Fleurs de jasmin et clous de girofle ! grogna Fatima qui n'aimait pas donner ses recettes, mais qui savait bien qu'avec la gardienne du harem, il etait inutile de finasser. - Alors, que decides-tu

? — Je l'emmene. Va te preparer, femme, et depeche- toi ! Je dois rentrer...

Sans plus hesiter, ramassant ses vetements, Catherine gagna sa chambre en courant. Elle laissait les deux femmes discuter ce qui, pour Fatima, etait le plus interessant : le prix qui devait, obligatoirement, etre important.

— Il faut que je dedommage quelque peu le medecin ! entendit-elle, clame par la grosse Ethiopienne.

— Le Calife a toujours le droit de distinguer une esclave. C'est un honneur pour un de ses sujets de la lui offrir-La porte de sa chambre claquant derriere elle dispensa Catherine d'en entendre davantage. Ce marchandage lui etait indifferent. Elle savait tres bien que Fatima mettrait dans sa poche la plus grande partie de l'or qu'elle allait recevoir, se reservant justement d'alleguer, pour son client, le cas de force majeure et les droits imprescriptibles du souverain.

Hativement, Catherine saisit un morceau de papier de coton ', une plume et griffonna quelques mots pour Abou, l'informant de son depart pour le harem d'Al Hamra : « Je suis heureuse, lui ecrivait-elle.

Je vais enfin approcher mon epoux. Ne vous tourmentez pas pour moi, mais empechez Gauthier et Josse de se livrer a des tentatives inconsiderees. J'essaierai de vous faire parvenir des nouvelles, peut-

etre par Fatima... a moins que vous ne trouviez le moyen d'entrer au harem... »

1 Les Arabes en ont fait usage bien avant nous.

Un appel venu d'en bas la fit sursauter. La vieille Morayma s'impatientait. Saisissant hativement un paquet de vetements au hasard, elle le fourra sous son bras, prit le voile qu'elle portait tout a l'heure et sortit dans la galerie du patio, juste a temps pour apercevoir Fatima comptant, avec une convoitise beate, une respectable pile de dinars d'or qui etincelaient au soleil. Mais a peine apparut-elle que la main de la gardienne s'abattait sur son bras, en arrachait le paquet de vetements qu'elle jetait a terre avec mepris.

— Qu'as-tu a faire de cette friperie ? Au palais, je te vetirai selon les gouts du Maitre. Viens maintenant...