Франция: Общественно-политические реалии - Конобеев Владимир. Страница 8
L'exigence d'autonomie s'accompagne désormais d'une revendication de responsabilité. À celle-ci prennent goût tous ceux qui en pressentent la dignité. Ils sont chaque jour plus nombreux ceux qui aspirent à faire davantage par eux-mêmes et sont prêts à en supporter les conséquences. Les entreprises les plus performantes sont souvent celles qui en tiennent compte avec leurs salariés. Les fonctionnaires aiment moins qu'on ne dit le fameux parapluie qu'ils ouvraient naguère en faisant décider par autrui. Il les protège mais il leur pèse.
27. Patrie. Vouloir preserver sa purete en l'isolant du monde, etre exclusif et sourcilleux et, comme on faisait jadis de femmes recluses derriere des jalousies, cacher sa beauté de peur que d'autres ne la voient, c'est qu'on appelle un patriotisme machiste. Il n'exclut pas l'amour, mais ne le prouve pas non plus.
L'aimer par habitude mais la trouver vieillie, ne voir de vraie vitalité que dans des nations plus jeunes, qui fascinent et qu'on singe, c'est avoir l'attachement nostalgique. L'amour de la patrie connaît aussi ses démons de midi.
Etre à ce point pénétré de ses qualités propres qu'on les croit supérieures à tout ce qui existe,ne percevoir les autres qu'avec condescendance et ne les supporter qu'ébahis, c'est l'amour vaniteux, le patriotisme arrogant.
La patrie est une mère exigeante, mais trop de ses enfants sont des fils abusifs.
28. Parlement. Au-delà des apparences, il ressort bien vite que le Parlement français a presque exactement les mêmes pouvoirs que ses homologues des démocraties comparables, anglaise, allemande, espagnole, scandinaves... Dans chacun de ces pays, c'est l'exécutif qui domine le système, la majorité soutient le gouvernement plus qu'elle ne le contrôle, le Parlement vote les lois qui lui sont demandées plus qu'il n'en prend l'initiative. Le même phénomène se produit en France. Plus qu'il ne s'est abaissé, le Parlement francais s'est aligné sur les Parlements étrangers, sur les systèmes modernes qui font que le pouvoir est principalement aux mains de l'exécutif.
Il reste que l'Assemblée nationale et le Sénat français fonctionnent notablement plus mal que leurs équivalents européens. Mais le remède à ce défaut ne réside certainement pas dans la perspective d'un rééquilibrage mythique entre les pouvoirs de l'exécutif et ceux du législatif, solution illusoire et anachronique.
Il réside au contraire dans une autre manière d'exercer des pouvoirs inchangés. Si, plutôt que se croire en pays à peu près conquis grâce au fait majoritaire, les ministres appelés à faire voter des lois se préoccupaient de leur durée, ils seraient conduits à rechercher des compromis avec leur majorité autant qu'avec l'opposition. Moins soucieux d'imposer, ils le seraient de transiger. Cela n'a pas grand-chose à voir avec ce qu'Edgar Faure a appelé « les majorités d'idées », dans lesquelles il voyait le moyen de prendre acte d'un consensus existant au-delà des divisions partisanes. Le consensus se constate, tandis que la transaction se recherche.
29. Entreprise. «Patrons français, soyez fiers de l'être». C'était le titre superbe que donnait Jaurès à son éditorial de La Dépêche de Toulouse du 28 mai 1890.Objets de méfiance pour l'opinion, l'entreprise et son chef se voyaient écartés du prestige, recherché dans les arts ou les sciences, puis dans le sport ou la fonction publique, mais pas chez eux.
Seul pays du monde dont l'histoire minière fut migratoire, seul d'Europe dont la densité de population ne permettait pas de rentabiliser le chemin de fer, la France fut mieux dotée par la nature pour l'agriculture que pour l'industrie. Que de faillites derrière ce constat simple!
La banque, dans un environnement plus dur qu'ailleurs, a tôt pris l'habitude de se méfier du risque : à l'État donc de protéger ou de combler les pertes (Colbert, au demeurant, n'a jamais hésité à créer des entreprises royales quand un besoin apparaissait). Quand d'autres pays bénéficiaient de liaisons fluviales ou maritimes, notre géographie a vite exigé des infrastructures routières. Le coût est bien plus grand, tant en génie civil qu'en protection de police. L'État a gardé l'habitude de ne marchander ni l'un ni l'autre, sans calcul de rentabilité.De ce fait la situation des travailleurs n'évoluait de temps à autre, en droit, que par la loi, le plus souvent à l'issue de graves crises sociales (1936, 1945, 1968), que provoquait notamment la volonté historique du patronat de ne faire aucune concession quant au pouvoir au sein de l'entreprise. Seuls lois et décrets ont pu l'y contraindre quand ailleurs cela s'est fait par des conventions négociées.Le consensus était moindre et l'efficacité aussi.
Tout cela se trouvait encore aggravé par un curieux comportement national à l'égard de l'argent. Est-ce à l'Église que nous le devons? Le tempérament rural y a sa part également. Le goût excessif du secret, l'opprobre collectif à l'encontre du profit, ont contribué aussi à dégrader l'image générale. Très logiquement, par voie de conséquence, l'organisation patronale dispose, en France, d'une représentativité, d'une capacité à être obéie par ses membres, d'une autorité pour négocier, très inférieures à ce que connaissent tous les autres pays développés. Cela compte beaucoup dans nos difficultés nationales.
Pour la gauche, tant syndicale que politique, l'entreprise fut longtemps un champ de bataille, bien plus qu'une unité de production. Les moyens de l'entreprise étaient confondus avec la fortune du patron.
L'opinion enregistre: parmi les personnalités connues figurent désormais des capitaines d'industrie. Tandis qu'il y a trente ans un sondage révélait qu'au sein des grandes écoles d'ingénieurs 3 % des élèves souhaitaient créer leur propre entreprise, ils sont aujourd'hui plus de 40 %. Les prouesses techniques ou commerciales, enfin, prennent rang dans la liste des sujets de fierté nationale.
Dans nos sociétés en voie d'atomisation, où la cellule de base se limite au couple avec ou sans enfants, l'isolement s'aggrave. Paroisse et village tendent à disparaître, le quartier ne vit guère. L'entreprise est aujourd'hui, pratiquement, la dernière communauté d'hommes et de femmes. Elle le supporte mal, n'est pas faite pour cela ; la charge psychologique est trop lourde quand elle est d'abord préoccupée de survivre à une concurrence effrénée.
De plus, les besoins collectifs augmentent trop vite, que seule peut satisfaire la taxation de la production. Au-delà d'un certain seuil, le développement en est entravé. Nous y sommes à peu près.
L'économie d'entreprise — le capitalisme — a pris son essor dans l'Europe du Nord. On a longtemps cru l'Europe du Sud porteuse d'un maléfice à cet égard. La présente décennie bouscule des idées reçues. Le dynamisme, la volonté d'entreprendre, apparaissent en Espagne, en Italie, en France, tandis que rigidifient les sociétés du Nord, l'américaine comprise au moins en partie. Mais si l'Espagne et l'Italie enregistrent un progrès au niveau du pays tout entier, la France, globalement, piétine et prend du retard. Tout se passe comme si la pesanteur de nos structures nationales, État, administration, école, corporatismes, castes, excès de réglementation, paralysaient encore largement le dynamisme de notre appareil productif. Ce n'est pas au sommet qu'il faut du libéralisme. Plus que jamais l'Etat doit être attentif aux règles du jeu. Mais à la base, là où l'on travaille et produit, il faut désentraver. C'est l'aventure de demain et la perspective de mobiliser toutes les intelligences du pays.
Le social, aujourd'hui, tient l'économique, parce qu'il n'est d'effort que consenti. La collectivité peut et doit soulager, dynamiser, ses entreprises. Alors seulement celles-ci trouveront toute leur place dans l'ensemble social, et toute leur dignité aussi, si elles assument pleinement leurs responsabilités.