Les Voyages De Gulliver - Swift Jonathan. Страница 4

Lorsque les deux commissaires vinrent pour me fouiller, je pris ces messieurs dans mes mains, je les mis d’abord dans les poches de mon justaucorps et ensuite dans toutes mes autres poches.

Ces officiers du prince, ayant des plumes, de l’encre et du papier sur eux, firent un inventaire tres exact de tout ce qu’ils virent; et, quand ils eurent acheve; ils me prierent de les mettre a terre, afin qu’ils pussent rendre compte de leur visite a l’empereur.

Cet inventaire etait concu dans les termes suivants:

«Premierement, dans la poche droite du justaucorps du grand homme Montagne (c’est ainsi que je rends ces mots: Quinbus Flestrin), apres une visite exacte, nous n’avons trouve qu’un morceau de toile grossiere, assez grand pour servir de tapis de pied, dans la principale chambre de parade de Votre Majeste. Dans la poche gauche; nous avons trouve un grand coffre d’argent avec un couvercle de meme metal, que nous, commissaires, n’avons pu lever (ma tabatiere). Nous avons prie ledit homme Montagne de l’ouvrir, et, l’un de nous etant entre dedans, a eu de la poussiere jusqu’aux genoux, dont il a eternue pendant deux heures, et l’autre pendant sept minutes. Dans la poche droite de sa veste, nous avons trouve un paquet prodigieux de substances blanches et minces, pliees l’une sur l’autre, environ de la grosseur de trois hommes, attachees d’un cable bien fort et marquees de grandes figures noires, lesquelles il nous a semble etre des ecritures. Dans la poche gauche, il y avait une grande machine plate armee de grandes dents tres longues qui ressemblent aux palissades qui sont dans la cour de Votre Majeste (un peigne). Dans la grande poche du cote droit de son couvre-milieu (c’est ainsi que je traduis le mot de ranfulo, par lequel on voulait entendre ma culotte), nous avons vu un grand pilier de fer creux, attache a une grosse piece de bois plus large que le pilier, et d’un cote du pilier il y avait d’autres pieces de fer en relief, serrant un caillou coupe en talus; nous n’avons su ce que c’etait (un pistolet a pierre); et dans la poche gauche il y avait encore une machine de la meme espece. Dans la plus petite poche du cote droit, il y avait plusieurs pieces rondes et plates, de metal rouge et blanc et d’une grosseur differente; quelques-unes des pieces blanches, qui nous ont paru etre d’argent, etaient si larges et si pesantes, que mon confrere et moi nous avons eu de la peine a les lever. Item, deux sabres de poche (deux canifs), dont la lame s’emboitait dans une rainure du manche, et qui avait le fil fort tranchant; ils etaient places dans une grande boite ou etui. Il restait deux poches a visiter: celles-ci, il les appelait goussets. C’etaient deux ouvertures coupees dans le haut de son couvre-milieu, mais fort serrees par son ventre, qui les pressait. Hors du gousset droit pendait une grande chaine d’argent, avec une machine tres merveilleuse au bout. Nous lui avons commande de tirer hors du gousset tout ce qui tenait a cette chaine; cela paraissait etre un globe dont la moitie etait d’argent et l’autre etait un metal transparent. Sur le cote transparent, nous avons vu certaines figures etranges tracees dans un cercle; nous avons cru que nous pourrions les toucher, mais nos doigts ont ete arretes par une substance lumineuse. Nous avons applique cette machine a nos oreilles; elle faisait un bruit continuel, a peu pres comme celui d’un moulin a eau, et nous avons conjecture que c’est ou quelque animal inconnu, ou la divinite qu’il adore; mais nous penchons plus du cote de la derniere opinion, parce qu’il nous a assure (si nous l’avons bien entendu, car il s’exprimait fort imparfaitement) qu’il faisait rarement une chose sans l’avoir consultee; il l’appelait son oracle, et disait qu’elle designait le temps pour chaque action de sa vie. Du gousset gauche il tira un filet presque assez large pour servir a un pecheur (une bourse), mais qui s’ouvrait et se refermait; nous avons trouve au dedans plusieurs pieces massives d’un metal jaune; si c’est du veritable or, il faut qu’elles soient d’une valeur inestimable.

«Ainsi, ayant, par obeissance aux ordres de Votre Majeste, fouille exactement toutes ses poches, nous avons observe une ceinture autour de son corps, faite de la peau de quelque animal prodigieux, a laquelle, du cote gauche, pendait une epee de la longueur de six hommes, et du cote droit une bourse ou poche partagee en deux cellules, chacune etant capable de tenir trois sujets de Votre Majeste. Dans une de ces cellules il y avait plusieurs globes ou balles d’un autre metal tres pesant, environ de la grosseur de notre tete, et qui exigeaient une main tres forte pour les lever; l’autre cellule contenait un amas de certaines graines noires, mais peu grosses et assez legeres, car nous en pouvions tenir plus de cinquante dans la paume de nos mains (des balles et de la poudre).

«Tel est l’inventaire exact de tout ce que nous avons trouve sur le corps de l’homme Montagne, qui nous a recus avec beaucoup d’honnetete et avec des egards conformes a la commission de Votre Majeste.

«Signe et scelle le quatrieme jour de la lune quatre-vingt-neuvieme du regne tres heureux de Votre Majeste.

«Flessen Frelock, Marsi Frelock.»

Quand cet inventaire eut ete lu en presence de l’empereur, il m’ordonna, en des termes honnetes, de lui livrer toutes ces choses en particulier. D’abord il demanda mon sabre: il avait donne ordre a trois mille hommes de ses meilleures troupes qui l’accompagnaient de l’environner a quelque distance avec leurs arcs et leurs fleches; mais je ne m’en apercus pas dans le moment, parce que mes yeux etaient fixes sur Sa Majeste. Il me pria donc de tirer mon sabre, qui, quoique un peu rouille par l’eau de la mer, etait neanmoins assez brillant. Je le fis, et tout aussitot les troupes jeterent de grands cris. Il m’ordonna de le remettre dans le fourreau et de le jeter a terre, aussi doucement que je pourrais, environ a six pieds de distance de ma chaine. La seconde chose qu’il me demanda fut un de ces piliers creux de fer, par lesquels il entendait mes pistolets de poche; je les lui presentai et, par son ordre, je lui en expliquai l’usage comme je pus, et, ne les chargeant que de poudre, j’avertis l’empereur de n’etre point effraye, et puis je les lirai en l’air. L’etonnement, a cette occasion, fut plus, grand qu’a la vue de mon sabre; ils tomberent tous a la renverse comme s’ils eussent ete frappes du tonnerre; et meme l’empereur, qui etait tres brave, ne put revenir a lui-meme qu’apres quelque temps. Je lui remis mes deux pistolets de la meme maniere que mon sabre, avec mes sacs de plomb et de poudre, l’avertissant de ne pas approcher le sac de poudre du feu, s’il ne voulait voir son palais imperial sauter en l’air, ce qui le surprit beaucoup. Je lui remis aussi ma montre, qu’il fut fort curieux de voir, et il commanda a deux de ses gardes les plus grands de la porter sur leurs epaules, suspendue a un grand baton, comme les charretiers des brasseurs portent un baril de biere en Angleterre. Il etait etonne du bruit continuel qu’elle faisait et du mouvement de l’aiguille qui marquait les minutes; il pouvait aisement le suivre des yeux, la vue de ces peuples etant bien plus percante que la notre. Il demanda sur ce sujet le sentiment de ses docteurs, qui furent tres partages, comme le lecteur peut bien se l’imaginer.

Ensuite je livrai mes pieces d’argent et de cuivre, ma bourse, avec neuf grosses pieces d’or et quelques-unes plus petites, mon peigne, ma tabatiere d’argent, mon mouchoir et mon journal. Mon sabre, mes pistolets de poche et mes sacs de poudre et de plomb furent transportes a l’arsenal de Sa Majeste; mais tout le reste fut laisse chez moi.