Contes Merveilleux Tome II - Grimm Jakob et Wilhelm. Страница 34

«Comme Votre Majeste l’ordonnera», repondirent- ils; et ils dirent au jeune homme de se tenir pret. Le roi ecrivit a la reine une lettre ou il lui mandait de se saisir du messager, de le mettre a mort et de l’enterrer, de’ facon a ce qu’il trouvat la chose faite a son retour.

Le garcon se mit en route avec la lettre, mais il s’egara et arriva le soir dans une grande foret. Au milieu des tenebres il apercut de loin une faible lumiere, et se dirigeant de ce cote il atteignit une petite maisonnette, ou il trouva une vieille femme assise pres du feu. Elle parut toute surprise de voir le jeune homme et lui dit: «D’ou viens-tu et que veux-tu?»

«Je viens du moulin», repondit-il, «je porte une lettre a la reine; j ‘ai perdu mon chemin et je voudrais passer la nuit ici.»

«Malheureux enfant», repliqua la femme, «tu es tombe dans une maison de voleurs, et, s’ils te trouvent ici, c’en est fait de toi.»

«A la grace de Dieu», dit le jeune homme, «je n ai pas peur; et d’ailleurs, je suis si fatigue qu’il m’est impossible d’aller plus loin.»

Il se coucha sur un banc et s’endormit. Les voleurs rentrerent bientot apres, et ils demanderent avec colere pourquoi cet etranger etait la. «Ah!» dit la vieille, «c’est un pauvre enfant qui s’est egare dans le bois; je l’ai recu par compassion. Il porte une lettre a la reine.»

Les voleurs prirent la lettre pour la lire, et virent qu’elle enjoignait de mettre a mort le messager. Malgre la durete de leur c?ur, ils eurent pitie du pauvre diable; leur capitaine dechira la lettre, et en mit une autre a la place, qui enjoignait qu’aussitot que le jeune homme arriverait on lui fit immediatement epouser la fille du roi. Puis les voleurs le laisserent dormir sur son banc jusqu’au matin, et, quand il fut eveille, ils lui remirent la lettre et lui montrerent son chemin.

La reine, ayant recu la lettre, executa ce qu’elle contenait; on fit des noces splendides; la fille du roi epousa l’enfant ne coiffe, et comme il etait beau et aimable, elle fut enchantee de vivre avec lui.

Quelques temps apres, le roi revint dans son palais, et trouva que la prediction etait accomplie, et que l’enfant ne coiffe avait epouse sa fille. «Comment cela s’est-il fait?» dit-il, «j’avais donne dans ma lettre un ordre tout different.» La reine lui montra la lettre, et lui dit qu’il pouvait voir ce qu’elle contenait. Il la lut et vit bien qu’on avait change la sienne.

Il demanda au jeune homme ce qu’etait devenue la lettre qu’il lui avait confiee, et pourquoi il en avait remis une autre. «Je n’en sais rien», repliqua celui-ci, «il faut qu’on l’ait changee la nuit, quand j’ai couche dans la foret.»

Le roi en colere lui dit: «Cela ne se passera pas ainsi. Celui qui pretend a ma fille doit me rapporter de l’enfer trois cheveux d’or de la tete du diable. Rapporte-les moi, et ma fille t’appartiendra.» Le roi esperait bien qu’il ne reviendrait jamais d’une telle commission.

Le jeune homme repondit: «Le diable ne me fait pas peur; j’irai chercher les trois cheveux d’or.» Et il prit conge du roi et se mit en route.

Il arriva devant une grande ville. A la porte, la sentinelle lui demanda quel etait son etat et ce qu’il savait.

«Tout», repondit-il.

«Alors», dit la sentinelle, «rends-nous le service de nous apprendre pourquoi la fontaine de notre marche, qui nous donnait toujours du vin, s’est dessechee et ne fournit meme plus d’eau.»

«Attendez», repondit-il, «je vous le dirai a mon retour.»

Plus loin il arriva devant une autre ville. La sentinelle de la porte lui demanda son etat et ce qu’il savait.

«Tout», repondit-il.

«Rends-nous alors le service de nous apprendre pourquoi le grand arbre de notre ville, qui nous rapportait des pommes d’or, n’a plus de feuilles»

«Attendez», repondit-il, «je vous le dirai a mon retour.»

Plus loin encore il arriva devant une grande riviere qu’il s’agissait de passer. Le passeur lui demanda son etat et ce qu’il savait.

«Tout», repondit-il.

«Alors», dit le passeur «rends-moi le service de m’apprendre Si je dois toujours rester a ce poste, sans jamais etre releve.»

«Attends», repondit-il, «je te le dirai a mon retour.»

De l’autre cote de l’eau il trouva la bouche de l’enfer. Elle etait noire et enfumee. Le diable n ‘etait pas chez lui; il n’y avait que son hotesse, assise dans un large fauteuil. «Que demandes-tu?» lui dit-elle d’un ton assez doux.

«Il me faut trois cheveux d’or de la tete du diable, sans quoi je n’obtiendrai pas ma femme.»

«C’est beaucoup demander» dit-elle, «et, Si le diable t’apercoit quand il rentrera, tu passeras un mauvais quart d’heure. Cependant tu m’interesses, et je vais tacher de te venir en aide.»

Elle le changea en fourmi et lui dit: «Monte dans les plis de ma robe; la tu seras en surete.»

«Merci», repondit-il, «voila qui va bien; mais j’aurais besoin en outre de savoir trois choses: pourquoi une fontaine qui versait toujours du vin ne fournit plus meme d’eau; pourquoi un arbre qui portait des pommes d’or n’a plus meme de feuilles; et Si un certain passeur doit toujours rester a son poste sans jamais etre releve.»

«Ce sont trois questions difficiles», dit-elle, «mais tiens-toi bien tranquille, et sois attentif a ce que le Diable dira quand je lui arracherai les trois cheveux d’or.»

Quand le soir arriva, le diable rentra chez lui. A peine etait-il entre qu’il remarqua une odeur extraordinaire. «Je sens, je sens, la chair humaine». Et il alla fureter dans tous les coins, mais sans rien trouver. L’hotesse lui chercha querelle: «Je viens de balayer et de ranger», dit-elle, «et tu vas tout bouleverser ici; tu crois toujours sentir la chair humaine. Assieds-toi et mange ton souper.»

Quand il eut soupe, il etait fatigue; il posa sa tete sur les genoux de son hotesse, et lui dit de lui chercher un peu les poux; mais il ne tarda pas a s’endormir et a ronfler. La vieille saisit un cheveu d’or, l’arracha et le mit de cote. «He!» s’ecria le diable, «qu’as-tu donc fait?»

«J’ai eu un mauvais reve», dit l’hotesse. «et je t ai pris par les cheveux.»

«Qu ‘as-tu donc reve?» demanda le diable.

«J ‘ai reve que la fontaine d’un marche, qui versait toujours du vin, s’etait arretee et qu’elle ne donnait plus meme d’eau: quelle en peut etre la cause?»

«Ah, Si on le savait!» repliqua le diable, «il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine; on n’aurait qu’a le tuer, le vin recommencerait a couler.»

L’hotesse se remit a lui chercher les poux; il se rendormit et ronfla de facon a ebranler les vitres.

Alors elle lui arracha le second cheveu. «Heu, que fais-tu?» s’ecria le diable en colere.