Contes Merveilleux Tome I - Grimm Jakob et Wilhelm. Страница 26
L’Epi de ble
Quand Dieu, au temps jadis, se promenait encore en Personne sur la terre, le sol etait beaucoup plus fertile que de nos jours et les epis portaient, non pas cinquante a soixante grains comme maintenant, mais de quatre a cinq cents grains qui venaient sur toute la hauteur de la tige, du ras du sol a son sommet, aussi longue avait-elle pousse, aussi long etait l'epi. Seulement les hommes sont ainsi faits que, dans l'abondance, ils ne rendent plus grace et ne reconnaissent plus la benediction que Dieu leur donne; ils sont indifferents et pleins d'insouciance, ingrats et irrespectueux. Un jour, il y eut une femme qui longeait un champ de ble, quand son petit enfant, qui gambadait a cote d'elle, tomba dans une flaque et salit sa blouse. Sa mere, alors, arracha une pleine poignee de beaux epis pour en frotter les taches de boue. Voyant cela, le Seigneur, qui passait justement par la, entra en courroux et declara: «A l'avenir, la paille ne portera plus d'epi du tout. Les hommes ne sont pas dignes de profiter plus longtemps de ce present celeste!» En entendant cette malediction, l'assistance fut terrifiee et tomba a genoux, suppliant le Seigneur de laisser quand meme venir quelque chose sur la tige, sinon pour eux-memes qui n'en etaient pas dignes, du moins pour les innocentes poules qui mourraient de faim, autrement. Le Seigneur, qui avait deja devant les yeux leur detresse future, s'apitoya sur leur sort et exauca la priere. Et c'est ainsi qu'il reste, au bout de la tige, un epi comme vous pouvez le voir encore aujourd'hui.
L’Esprit dans la bouteille
Il etait une fois un pauvre bucheron qui travaillait du matin au soir. S’etant finalement mis quelque argent de cote, il dit a son fils:
– Tu es mon unique enfant. Je veux consacrer a ton instruction ce que j’ai durement gagne a la sueur de mon front. Apprends un metier honnete et tu pourras subvenir a mes besoins quand je serai vieux, que mes membres seront devenus raides et qu’il me faudra rester a la maison.
Le jeune homme frequenta une haute ecole et apprit avec zele. Ses maitres le louaient fort et il y resta tout un temps. Apres qu’il fut passe par plusieurs classes – mais il ne savait pas encore tout – le peu d’argent que son pere avait economise avait fondu et il lui fallut retourner chez lui.
– Ah! dit le pere, je ne puis plus rien te donner et, par ce temps de vie chere, je n’arrive pas a gagner un denier de plus qu’il n’en faut pour le pain quotidien.
– Cher pere, repondit le fils, ne vous en faites pas! Si telle est la volonte de Dieu, ce sera pour mon bien. Je m’en tirerai.
Quand le pere partit pour la foret avec l’intention d’y abattre du bois, pour en tirer un peu d’argent, le jeune homme lui dit:
– J’y vais avec vous. Je vous aiderai.
– Ce sera bien trop dur pour toi, repondit le pere. Tu n’es pas habitue a ce genre de travail. Tu ne le supporterais pas. D’ailleurs, je n’ai qu’une seule hache et pas d’argent pour en acheter une seconde.
– Vous n’avez qu’a aller chez le voisin, retorqua le garcon. Il vous en pretera une jusqu’a ce que j’ai gagne assez d’argent moi-meme pour en acheter une neuve.
Le pere emprunta une hache au voisin et, le lendemain matin, au lever du jour, ils s’en furent ensemble dans la foret. Le jeune homme aida son pere. Il se sentait frais et dispos. Quand le soleil fut au zenith, le vieux dit:
– Nous allons nous reposer et manger un morceau. Ca ira encore mieux apres.
Le fils prit son pain et repondit:
– Reposez-vous, pere. Moi, je ne suis pas fatigue; je vais aller me promener dans la foret pour y chercher des nids.
– Petit vaniteux! retorqua le pere; pourquoi veux-tu te promener? Tu vas te fatiguer et, apres, tu ne pourras plus remuer les bras. Reste ici et assieds-toi pres de moi.
Le fils, cependant, partit par la foret, mangea son pain et, tout joyeux, il regardait a travers les branches pour voir s’il ne decouvrirait pas un nid. Il alla ainsi, de-ci, de-la, jusqu’a ce qu’il arrivat a un grand chene, vieux de plusieurs centaines d’annees, et que cinq hommes se tenant par les bras n’auraient certainement pas pu enlacer. Il s’arreta, regarda le geant et songea: «Il y a certainement plus d’un oiseau qui y a fait son nid.» Tout a coup, il lui sembla entendre une voix. Il ecouta et comprit: «Fais-moi sortir de la! Fais-moi sortir de la!» Il regarda autour de lui, mais ne vit rien. Il lui parut que la voix sortait de terre. Il s’ecria:
– Ou es-tu?
La voix repondit:
– Je suis la, en bas, pres des racines du chene. Fais-moi sortir! Fais-moi sortir!
L’ecolier commenca par nettoyer le sol, au pied du chene, et a chercher du cote des racines. Brusquement, il apercut une bouteille de verre enfoncee dans une petite excavation. Il la saisit et la tint a la lumiere. Il y vit alors une chose qui ressemblait a une grenouille; elle sautait dans la bouteille.
– Fais-moi sortir! Fais-moi sortir! ne cessait-elle de crier.
Sans songer a mal, l’ecolier enleva le bouchon. Aussitot, un esprit sortit de la bouteille, et commenca a grandir, a grandir tant et si vite qu’en un instant un personnage horrible, grand comme la moitie de l’arbre se dressa devant le garcon.
– Sais-tu quel sera ton salaire pour m’avoir libere? lui demanda-t-il d’une epouvantable voix.
– Non, repondit l’ecolier qui ne ressentait aucune crainte. Comment le saurais-je?
– Je vais te tuer! hurla l’esprit. Je vais te casser la tete!
– Tu aurais du me le dire plus tot, dit le garcon. Je t’aurais laisse ou tu etais. Mais tu ne me casseras pas la tete. Tu n’es pas seul a decider!
– Pas seul a decider! Pas seul a decider! cria l’esprit. Tu crois ca! T’imaginerais-tu que c’est pour ma bonte qu’on m’a tenu enferme si longtemps? Non! c’est pour me punir! je suis le puissant Mercure. Je dois rompre le col a qui me laisse echapper.
– Parbleu! repondit l’ecolier. Pas si vite! Il faudrait d’abord que je sache si c’etait bien toi qui etais dans la petite bouteille et si tu es le veritable esprit. Si tu peux y entrer a nouveau, je te croirai. Apres, tu feras ce que tu veux.
Plein de vanite, l’esprit declara:
– C’est la moindre des chose.
Il se retira en lui-meme et se fit aussi mince et petit qu’il l’etait au debut. De sorte qu’il put passer par l’etroit orifice de la bouteille et s’y faufiler a nouveau.
A peine y fut-il entre que l’ecolier remettait le bouchon et lancait la bouteille sous les racines du chene, la ou il l’avait trouvee. L’esprit avait ete pris.
Le garcon s’appreta a rejoindre son pere. Mais l’esprit lui cria d’une voix plaintive:
– Fais-moi sortir! Fais-moi sortir!