Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 22
Mais que disait donc le lis rouge?
– Entends-tu le tambour: Boum! boum! deux notes seulement, boum! boum! ecoute le chant de deuil des femmes, l'appel du pretre. Dans son long sari rouge, la femme hindoue est debout sur le bucher, les flammes montent autour d'elle et de son epoux defunt, mais la femme hindoue pense a l'homme qui est vivant dans la foule autour d'elle, a celui dont les yeux brulent, plus ardents que les flammes, celui dont le regard touche son coeur plus que cet incendie qui bientot reduira son corps en cendres. La flamme du coeur peut-elle mourir dans les flammes du bucher?
– Je n'y comprends rien du tout, dit la petite Gerda.
– C'est la mon histoire, dit le lis rouge.
Et que disait le liseron?
– La-bas, au bout de l'etroit sentier de montagne est suspendu un vieux castel, le lierre epais pousse sur les murs ronges, feuille contre feuille, jusqu'au balcon ou se tient une ravissante jeune fille. Elle se penche sur la balustrade et regarde au loin sur le chemin. Aucune rose dans le branchage n'est plus fraiche que cette jeune fille, aucune fleur de pommier que le vent arrache a l'arbre et emporte au loin n'est plus legere. Dans le froufrou de sa robe de soie, elle s'agite: «Ne vient-il pas?».
– Est-ce de Kay que tu parles? demanda Gerda.
– Je ne parle que de ma propre histoire, de mon reve, repondit le liseron.
Mais que dit le petit perce-neige?
– Dans les arbres, cette longue planche suspendue par deux cordes, c'est une balancoire. Deux delicieuses petites filles-les robes sont blanches, de longs rubans verts flottent a leurs chapeaux-y sont assises et se balancent. Le frere, plus grand qu'elles, se met debout sur la balancoire, il passe un bras autour de la corde pour se tenir, il tient d'une main une petite coupe, de l'autre une pipe d'ecume et il fait des bulles de savon. La balancoire va et vient, les bulles de savon aux teintes irisees s'envolent, la derniere tient encore a la pipe et se penche dans la brise. La balancoire va et vient. Le petit chien noir aussi leger que les bulles de savon se dresse sur ses pattes de derriere et veut aussi monter, mais la balancoire vole, le chien tombe, il aboie, il est furieux, on rit de lui, les bulles eclatent. Voila! une planche qui se balance, une ecume qui se brise, voila ma chanson…
– C'est peut-etre tres joli ce que tu dis la, mais tu le dis tristement et tu ne parles pas de Kay.
Que dit la jacinthe?
– Il y avait trois soeurs delicieuses, transparentes et delicates, la robe de la premiere etait rouge, celle de la seconde bleue, celle de la troisieme toute blanche. Elles dansaient en se tenant par la main pres du lac si calme, au clair de lune. Elles n'etaient pas filles des elfes mais bien enfants des hommes. L'air embaumait d'un exquis parfum, les jeunes filles disparurent dans la foret. Le parfum devenait de plus en plus fort-trois cercueils ou etaient couchees les ravissantes filles glissaient d'un fourre de la foret dans le lac, les vers luisants volaient autour comme de petites lumieres flottantes. Dormaient-elles ces belles filles? Etaient-elles mortes? Le parfum des fleurs dit qu'elles sont mortes, les cloches sonnent pour les defuntes.
– Tu me rends malheureuse, dit la petite Gerda. Tu as un si fort parfum, qui me fait penser a ces pauvres filles. Helas! le petit Kay est-il vraiment mort? Les roses qui ont ete sous la terre me disent que non.
– Ding! Dong! sonnerent les clochettes des jacinthes. Nous ne sonnons pas pour le petit Kay, nous ne le connaissons pas. Nous chantons notre chanson, c'est la seule que nous sachions.
Gerda se tourna alors vers le bouton d'or qui brillait parmi les feuilles vertes, luisant.
– Tu es un vrai petit soleil! lui dit Gerda. Dis-moi si tu sais ou je trouverai mon camarade de jeu?
Le bouton d'or brillait tant qu'il pouvait et regardait aussi la petite fille. Mais quelle chanson savait-il? On n'y parlait pas non plus de Kay:
– Dans une petite ferme, le soleil brillait au premier jour du printemps, ses rayons frappaient le bas du mur blanc du voisin, et tout pres poussaient les premieres fleurs jaunes, or lumineux dans ces chauds rayons. Grand-mere etait assise dehors dans son fauteuil, sa petite fille, la pauvre et jolie servante rentrait d'une courte visite, elle embrassa la grand-mere. Il y avait de l'or du coeur dans ce baiser beni. De l'or sur les levres, de l'or au fond de l'etre, de l'or dans les claires heures du matin. Voila ma petite histoire, dit le bouton d'or.
– Ma pauvre vieille grand-mere, soupira Gerda. Elle me regrette surement et elle s'inquiete comme elle s'inquietait pour Kay. Mais je rentrerai bientot et je ramenerai Kay. Cela ne sert a rien que j'interroge les fleurs, elles ne connaissent que leur propre chanson, elles ne savent pas me renseigner.
Elle retroussa sa petite robe pour pouvoir courir plus vite, mais le narcisse lui fit un croc-en-jambe au moment ou elle sautait par-dessus lui. Alors elle s'arreta, regarda la haute fleur et demanda:
– Sais-tu par hasard quelque chose?
Elle se pencha tres bas pour etre pres de lui. Et que dit-il?
– Je me vois moi-meme, je me vois moi-meme! Oh! Oh! quel parfum je repands! La-haut dans la mansarde, a demi vetue, se tient une petite danseuse, tantot sur une jambe, tantot sur les deux, elle envoie promener le monde entier de son pied, au fond elle n'est qu'une illusion visuelle, pure imagination. Elle verse l'eau de la theiere sur un morceau d'etoffe qu'elle tient a la main, c'est son corselet-la proprete est une bonne chose-la robe blanche est suspendue a la patere, elle a aussi ete lavee dans la theiere et sechee sur le toit. Elle met la robe et un fichu jaune safran autour du cou pour que la robe paraisse plus blanche. La jambe en l'air! dressee sur une longue tige, c'est moi, je me vois moi-meme.
– Mais je m'en moque, cria Gerda, pourquoi me raconter cela?
Elle courut au bout du jardin. La porte etait fermee, mais elle remua la charniere rouillee qui ceda, la porte s'ouvrit. Alors la petite Gerda, sans chaussures, s'elanca sur ses bas dans le monde.
Elle se retourna trois fois, mais personne ne la suivait; a la fin, lasse de courir, elle s'assit sur une grande pierre. Lorsqu'elle regarda autour d'elle, elle vit que l'ete etait passe, on etait tres avance dans l'automne, ce qu'on ne remarquait pas du tout dans le jardin enchante ou il y avait toujours du soleil et toutes les fleurs de toutes les saisons.
– Mon Dieu que j'ai perdu de temps! s'ecria la petite Gerda. Voila que nous sommes en automne, je n'ai pas le droit de me reposer.
Elle se leva et repartit.
Comme ses petits pieds etaient endoloris et fatigues! Autour d'elle tout etait froid et hostile, les longues feuilles du saule etaient toutes jaunes et le brouillard s'egouttait d'elles, une feuille apres l'autre tombait a terre, seul le prunellier avait des fruits acres a vous en resserrer toutes les gencives. Oh! que tout etait gris et lourd dans le vaste monde!