Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian. Страница 20
L'ete, ils pouvaient d'un bond venir l'un chez l'autre; l'hiver il fallait d'abord descendre les nombreux etages d'un cote et les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neige tourbillonnait.
– Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, disait la grand-mere.
– Est-ce qu'elles ont aussi une reine? demanda le petit garcon.
– Mais bien sur, dit grand-mere. Elle vole la ou les abeilles sont les plus serrees, c'est la plus grande de toutes et elle ne reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuages noirs.
– Nous avons vu ca bien souvent, dirent les enfants.
Et ainsi ils surent que c'etait vrai.
– Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici? demanda la petite fille.
– Elle n'a qu'a venir, dit le petit garcon, je la mettrai sur le poele brulant et elle fondra aussitot.
Le soir, le petit Kay, a moitie deshabille, grimpa sur une chaise pres de la fenetre et regarda par le trou d'observation. Quelques flocons de neige tombaient au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur le rebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu a peu et finit par devenir une dame vetue du plus fin voile blanc fait de millions de flocons en forme d'etoiles. Elle etait belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillante et cependant vivante. Ses yeux etincelaient comme deux etoiles, mais il n'y avait en eux ni calme ni repos. Elle fit vers la fenetre un signe de la tete et de la main. Le petit garcon, tout effraye, sauta a bas de la chaise, il lui sembla alors qu'un grand oiseau, au-dehors, passait en plein vol devant la fenetre.
Le lendemain fut un jour de froid clair, puis vint le degel et le printemps.
Cet ete-la les roses fleurirent magnifiquement. Gerda avait appris un psaume ou l'on parlait des roses, cela lui faisait penser a ses propres roses et elle chanta cet air au petit garcon qui lui-meme chanta avec elle:
Les roses poussent dans les vallees ou l'enfant Jesus vient nous parler.
Les deux enfants se tenaient par la main, ils baisaient les roses, admiraient les clairs rayons du soleil de Dieu et leur parlaient comme si Jesus etait la. Quels beaux jours d'ete ou il etait si agreable d'etre dehors sous les frais rosiers qui semblaient ne vouloir jamais cesser de donner des fleurs!
Kay et Gerda etaient assis a regarder le livre d'images plein de betes et d'oiseaux-l'horloge sonnait cinq heures a la tour de l'eglise-quand brusquement Kay s'ecria:
– Aie, quelque chose m'a pique au coeur et une poussiere m'est entree dans l'oeil. La petite le prit par le cou, il cligna des yeux, non, on ne voyait rien.
– Je crois que c'est parti, dit-il.
Mais ce ne l'etait pas du tout! C'etait un de ces eclats du miroir ensorcele dont nous nous souvenons, cet affreux miroir qui faisait que tout ce qui etait grand et beau, reflechi en lui, devenait petit et laid, tandis que le mal et le vil, le defaut de la moindre chose prenait une importance et une nettete accrues.
Le pauvre Kay avait aussi recu un eclat juste dans le coeur qui serait bientot froid comme un bloc de glace. Il ne sentait aucune douleur, mais le mal etait fait.
– Pourquoi pleures-tu? cria-t-il, tu es laide quand tu pleures, est-ce que je me plains de quelque chose? Oh! cette rose est devoree par un ver et regarde celle-la qui pousse tout de travers, au fond ces roses sont tres laides.
Il donnait des coups de pied dans la caisse et arrachait les roses.
– Kay, qu'est-ce que tu fais? cria la petite.
Et lorsqu'il vit son effroi, il arracha encore une rose et rentra vite par sa fenetre, laissant la la charmante petite Gerda.
Quand par la suite elle apportait le livre d'images, il declarait qu'il etait tout juste bon pour les bebes et si grand-mere gentiment racontait des histoires, il avait toujours a redire, parfois il marchait derriere elle, mettait des lunettes et imitait, a la perfection du reste, sa maniere de parler; les gens en riaient.
Bientot il commenca a parler et a marcher comme tous les gens de sa rue pour se moquer d'eux.
On se mit a dire: «Il est intelligent ce garcon-la!» Mais c'etait la poussiere du miroir qu'il avait recue dans l'oeil, l'eclat qui s'etait fiche dans son coeur qui etaient la cause de sa transformation et de ce qu'il taquinait la petite Gerda, laquelle l'aimait de toute son ame.
Ses jeux changerent completement, ils devinrent beaucoup plus reflechis. Un jour d'hiver, comme la neige tourbillonnait au-dehors, il apporta une grande loupe, etala sa veste bleue et laissa la neige tomber dessus.
– Regarde dans la loupe, Gerda, dit-il.
Chaque flocon devenait immense et ressemblait a une fleur splendide ou a une etoile a dix cotes.
– Comme c'est curieux, bien plus interessant qu'une veritable fleur, ici il n'y a aucun defaut, ce seraient des fleurs parfaites-si elles ne fondaient pas.
Peu apres Kay arriva portant de gros gants, il avait son traineau sur le dos, il cria aux oreilles de Gerda:
– J'ai la permission de faire du traineau sur la grande place ou les autres jouent! Et le voila parti.
Sur la place, les garcons les plus hardis attachaient souvent leur traineau a la voiture d'un paysan et se faisaient ainsi trainer un bon bout de chemin. C'etait tres amusant. Au milieu du jeu ce jour-la arriva un grand traineau peint en blanc dans lequel etait assise une personne enveloppee d'un manteau de fourrure blanc avec un bonnet blanc egalement. Ce traineau fit deux fois le tour de la place et Kay put y accrocher rapidement son petit traineau.
Dans la rue suivante, ils allaient de plus en plus vite. La personne qui conduisait tournait la tete, faisait un signe amical a Kay comme si elle le connaissait. Chaque fois que Kay voulait detacher son petit traineau, cette personne faisait un signe et Kay ne bougeait plus; ils furent bientot aux portes de la ville, les depasserent meme.
Alors la neige se mit a tomber si fort que le petit garcon ne voyait plus rien devant lui, dans cette course folle, il saisit la corde qui l'attachait au grand traineau pour se degager, mais rien n'y fit. Son petit traineau etait solidement fixe et menait un train d'enfer derriere le grand. Alors il se mit a crier tres fort mais personne ne l'entendit, la neige le cinglait, le traineau volait, parfois il faisait un bond comme s'il sautait par-dessus des fosses et des mottes de terre. Kay etait epouvante, il voulait dire sa priere et seule sa table de multiplication lui venait a l'esprit.
Les flocons de neige devenaient de plus en plus grands, a la fin on eut dit de veritables maisons blanches; le grand traineau fit un ecart puis s'arreta et la personne qui le conduisait se leva, son manteau et son bonnet n'etaient faits que de neige et elle etait une dame si grande et si mince, etincelante: la Reine des Neiges.
– Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glace, viens dans ma peau d'ours.
Elle le prit pres d'elle dans le grand traineau, l'enveloppa du manteau. Il semblait a l'enfant tomber dans des gouffres de neige.
– As-tu encore froid? demanda-t-elle en l'embrassant sur le front.
Son baiser etait plus glace que la glace et lui penetra jusqu'au coeur deja a demi glace. Il crut mourir, un instant seulement, apres il se sentit bien, il ne remarquait plus le froid.
«Mon traineau, n'oublie pas mon traineau.» C'est la derniere chose dont se souvint le petit garcon.
Le traineau fut attache a une poule blanche qui vola derriere eux en le portant sur son dos. La Reine des Neiges posa encore une fois un baiser sur le front de Kay, alors il sombra dans l'oubli total, il avait oublie Gerda, la grand-mere et tout le monde a la maison.
– Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu en mourrais.
Kay la regarda. Qu'elle etait belle, il ne pouvait s'imaginer visage plus intelligent, plus charmant, elle ne lui semblait plus du tout de glace comme le jour ou il l'avait apercue de la fenetre et ou elle lui avait fait des signes d'amitie! A ses yeux elle etait aujourd'hui la perfection, il n'avait plus du tout peur, il lui raconta qu'il savait calculer de tete, meme avec des chiffres decimaux, qu'il connaissait la superficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle lui souriait… Alors il sembla a l'enfant qu'il ne savait au fond que peu de chose et ses yeux s'eleverent vers l'immensite de l'espace. La reine l'entrainait de plus en plus haut. Ils volerent par-dessus les forets et les oceans, les jardins et les pays. Au-dessous d'eux le vent glace sifflait, les loups hurlaient, la neige etincelait, les corbeaux croassaient, mais tout en haut brillait la lune, si grande et si claire. Au matin, il dormait aux pieds de la Reine des Neiges.