Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian. Страница 20

Le compagnon de route secoua la tete et lui repondit doucement, avec grande amitie:

– Non, non, maintenant mon temps est termine, je n'ai fait que payer ma dette. Te souviens-tu du mort que deux mauvais garcons voulaient maltraiter? Tu leur as donne alors tout ce que tu possedais pour qu'ils le laissent en repos dans sa tombe. Ce mort, c'etait moi.

Ayant parle, il disparut.

Le mariage dura tout un mois. Johannes et la princesse s'aimaient d'amour tendre, le vieux roi vecut de longs jours heureux, il laissait leurs tout petits enfants monter a cheval sur son genou et meme jouer avec le sceptre. Et Johannes regnait sur tout le pays.

Le concours de saut

La puce, la sauterelle et l'oie sauteuse voulurent une fois voir laquelle savait sauter le plus haut. Elles inviterent a cette competition le monde entier et tous les autres qui avaient envie de venir, et ce furent trois sauteurs de premier ordre qui se presenterent.

– Je donnerai ma fille a celui qui sautera le plus haut, dit le roi, il serait mesquin de faire sauter ces personnes pour rien. La puce s'avanca la premiere; elle se presentait bien et saluait a la ronde, car elle avait en elle du sang de demoiselle et l'habitude de ne frequenter que des humains, ce qui donne de l'aisance. Ensuite vint la sauterelle, sensiblement plus lourde, mais qui avait tout de meme de l'allure et portait un uniforme vert qu'elle avait de naissance. Elle disait de plus qu'elle etait d'une tres ancienne famille d'Egypte et qu'elle etait fort consideree ici. On l'avait prise dans les champs et deposee directement dans un chateau de cartes a trois etages, tous les trois batis de cartes a figures, l'envers tourne vers l'interieur, on y avait decoupe des portes et des fenetres, meme dans le corps de la dame de coeur.

– Je chante si bien, dit-elle, que seize grillons du pays qui crient depuis l'enfance et qui n'ont meme pas eu de chateaux de cartes, en m'entendant, en ont encore maigri de depit. Toutes les deux, aussi bien la puce que la sauterelle, se faisaient valoir de leur mieux et pensaient bien pouvoir epouser une princesse. L'oie sauteuse ne dit rien, mais on assurait qu'elle n'en pensait pas moins, et quand le chien de la cour l'eut seulement flairee, il se porta garant qu'elle etait de bonne famille. Le vieux conseiller qui avait recu trois decorations uniquement pour se taire affirma que l'oie sauteuse avait un don divinatoire, que l'on pouvait voir sur son dos si l'hiver serait doux ou rigoureux, ce que l'on ne peut meme pas voir sur le dos du redacteur de l'almanach qui predit l'avenir.

– Bon, bon, je ne dis rien, dit le vieux roi, mais j'ai quand meme ma petite idee. Maintenant, c'etait le moment de sauter… La puce sauta si haut que personne ne put la voir; le public soutint qu'elle n'avait pas saute du tout, ce qui etait une calomnie. La sauterelle sauta moitie moins haut, mais en plein dans la figure du roi qui dit que c'etait degoutant. L'oie sauteuse resta longtemps immobile, elle hesitait. Chacun pensait qu'elle ne savait pas sauter du tout.

– Pourvu qu'elle n'ait pas pris mal, dit le chien de cour, et il la flaira encore un peu. Alors, paf! elle fit un petit saut maladroit, droit sur les genoux de la princesse, laquelle etait assise sur un tabouret bas en or. Alors le roi declara:

– Le saut le plus eleve, c'est de sauter sur les genoux de ma fille car cela denote une certaine finesse et il faut de la tete pour en avoir eu l'idee. L'oie sauteuse a montre qu'elle avait de la tete et du ressort sous le front. Et elle eut la princesse.

– C'est pourtant moi qui aie saute le plus haut, dit la puce. Mais peu importe! Qu'elle garde sa carcasse d'oie avec sa baguette et sa boulette de poix. J'ai saute le plus haut, mais il faut en ce monde un corps enorme pour que les gens puissent vous voir. Et la puce alla prendre du service dans une armee etrangere en guerre ou l'on dit qu'elle fut tuee. La sauterelle alla se poser dans le fosse et medita sur la facon dont vont les choses en ce monde. Elle aussi se disait:

– Il faut du corps, il faut du corps… Elle reprit sa chanson si particuliere et si triste ou nous avons puise cette histoire, qui n'est peut-etre que mensonge, meme si elle est imprimee dans un livre. L'oie sauteuse n'est pas un animal, c'est un jouet. Les enfants danois, a l'epoque d'Andersen, s'amusaient a prendre la carcasse d'une oie que l'on avait mangee en famille. Ils reliaient les deux cotes du sternum par une ficelle double dans laquelle ils inseraient un batonnet. Plus ils tournaient le batonnet, plus les deux ficelles se tordaient, et, lorsqu'au bout d'un moment, ils lachaient le batonnet, les ficelles, en se detordant subitement, faisaient sauter la carcasse plus ou moins haut.

Le coq de poulailler et le coq de girouette

Il etait une fois deux coqs, un sur le tas de fumier, l'autre sur le toit, et ils etaient aussi pretentieux l'un que l'autre. Mais lequel des deux etait le plus utile? Dites ce que vous en pensez… nous ne changerons pas d'avis pour autant.

La basse-cour etait separee du reste de la cour par un grillage. La il y avait un tas de fumier et la poussait un grand concombre. Il savait bien qu'il etait en fait une plante de serre.

– Cela depend des origines, se disait le concombre. Tout le monde ne peut pas etre un concombre, d'autres creatures doivent egalement exister. Les poules, les canards et tous les habitants de la cour voisine sont aussi des etres vivants. J'observe le coq du poulailler lorsqu'il est assis sur la cloture. Il est autrement plus important que le coq de girouette qui est, il est vrai, tres haut perche, mais ne sait meme pas piailler et encore moins coqueriquer. Il n'a ni poules ni poussins, ne pense qu'a lui et transpire en plus le vert-de-gris. Par contre, notre coq, lui est un coq! Regardez-le comment il marche, c'est presque de la danse! Et on l'entend partout. Quel clairon! Oh, s'il voulait venir ici, s'il voulait me manger tout entier, avec les feuilles et la tige, ce serait une bien belle mort.

La nuit, un terrible orage arriva. La poule avec ses poussins ainsi que le coq s'abriterent. La bourrasque fit tomber avec fracas la cloture entre les deux cours. Des tuiles tomberent du toit mais le coq de girouette etait bien assis et ne tourna meme pas. Il ne tournait pas, malgre son jeune age. C'etait un coq fraichement coule mais tres pondere et reflechi. Il etait ne vieux. Il n'etait pas comme tous ces oiseaux du ciel, les moineaux et les hirondelles qu'il meprisait, «oiseaux qui piaulent et sont, de surcroit, tres ordinaires».

– Les pigeons sont grands, luisants et brillants comme la nacre, ils ressemblent meme a des coqs de girouette. Mais ils sont gros et betes, ne pensent qu'a s'empiffrer et sont tres ennuyeux, disait le coq de girouette.

Les oiseaux migrateurs lui rendaient parfois visite. Ils lui parlaient des pays lointains, des vols en bandes, lui racontaient des histoires de brigands et leurs aventures avec les rapaces. La premiere fois, c'etait nouveau et interessant, mais plus tard le coq comprit qu'ils se repetaient et racontaient toujours la meme chose. Ils l'ennuyaient, tout l'ennuyait, on ne pouvait parler avec personne, tout le monde etait ininteressant et lassant.

– Le monde ne vaut rien! declarait-il. Tout cela n'a aucun sens!

Le coq de girouette etait, comme on dit, blase et c'est pourquoi il aurait ete certainement un ami plus interessant pour le concombre s'il s'en etait doute. Mais celui-ci n'avait d'yeux que pour le coq de poulailler, qui justement marchait a ce moment vers lui.

La cloture gisait par terre et l'orage etait passe.

– Comment avez-vous trouve mon cri de coq? demanda le coq aux poules et aux poussins; il etait un peu rauque et manquait d'elegance.