Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian. Страница 40
Leur pere donna a chacun d'eux un beau cheval, noir comme le charbon pour celui a la memoire impeccable, blanc comme neige pour le maitre en sciences corporatives et broderie, puis ils se graisserent les commissures des levres avec de l'huile de foie de morue pour rendre leur parole plus fluide.
Tous les domestiques etaient dans la cour pour les voir monter a cheval quand soudain arriva le troisieme frere-ils etaient trois, mais le troisieme ne comptait absolument pas, il n'etait pas instruit comme les autres, on l'appelait Hans le Balourd.
– Ou allez-vous ainsi en grande tenue? demanda-t-il.
– A la cour, gagner la main de la princesse par notre conversation. Tu n'as pas entendu ce que le tambour proclame dans tout le pays?
Et ils le mirent au courant.
– Parbleu! il faut que j'en sois! fit Hans le Balourd.
Ses freres se moquerent de lui et partirent.
– Pere, donne-moi aussi un cheval, cria Hans le Balourd, j'ai une terrible envie de me marier. Si la princesse me prend, c'est bien, et si elle ne me prend pas, je la prendrai quand meme.
– Betises, fit le pere, je ne te donnerai pas de cheval, tu ne sais rien dire, tes freres, eux, sont gens d'importance.
– Si tu ne veux pas me donner de cheval, repliqua Hans le Balourd, je monterai mon bouc, il est a moi et il peut bien me porter.
Et il se mit a califourchon sur le bouc, l'eperonna de ses talons et prit la route a toute allure. Ah! comme il filait!
– J'arrive, criait-il.
Et il chantait d'une voix claironnante.
Les freres avancaient tranquillement sur la route sans mot dire, ils pensaient aux bonnes reparties qu'ils allaient lancer, il fallait que ce soit longuement medite.
– Hola! hola! criait Hans, me voila! Regardez ce que j'ai trouve sur la route.
Et il leur montra une corneille morte qu'il avait ramassee.
– Balourd! qu'est-ce que tu vas faire de ca?
– Je l'offrirai a la fille du roi.
– C'est parfait! dirent les freres.
Et ils continuerent leur route en riant.
– Hola! hola! voyez ce que j'ai trouve maintenant! Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve ca sur la route.
Les freres tournerent encore une fois la tete.
– Balourd! c'est un vieux sabot dont le dessus est parti. Est-ce aussi pour la fille du roi?
– Bien sur! dit Hans.
Et les freres de rire et de prendre une grande avance.
– Hola! hola! ca devient de plus en plus beau! Hola! c'est merveilleux!
– Qu'est-ce que tu as encore trouve?
– Oh! elle va etre joliment contente, la fille du roi!
– Pfuu! mais ce n'est que de la boue qui vient de jaillir du fosse!
– Oui, oui, c'est ca, et de la plus belle espece, on ne peut meme pas la tenir dans la main.
La-dessus il en remplit sa poche.
Les freres chevaucherent a bride abattue et arriverent avec une heure d'avance aux portes de la ville. La, les pretendants recevaient l'un apres l'autre un numero et on les mettait en rang six par six, si serres qu'ils ne pouvaient remuer les bras et c'etait fort bien ainsi, car sans cela ils se seraient peut-etre battus rien que parce que l'un etait devant l'autre.
Tous les autres habitants du pays se tenaient autour du chateau, juste devant les fenetres pour voir la fille du roi recevoir les pretendants. A mesure que l'un d'eux entrait dans la salle, il ne savait plus que dire.
– Bon a rien, disait la fille du roi, sortez!
Vint le tour du frere qui savait le lexique par coeur, mais il l'avait completement oublie pendant qu'il faisait la queue. Le parquet craquait et le plafond etait tout en glace, de sorte qu'il se voyait a l'envers marchant sur la tete. A chaque fenetre se tenaient trois secretaires-journalistes et un maitre jure (surveillant) qui inscrivaient tout ce qui se disait afin que cela paraisse aussitot dans le journal que l'on vendait au coin pour deux sous. C'etait affreux. De plus, on avait charge le poele au point qu'il etait tout rouge.
– Quelle chaleur! disait le premier des freres.
– C'est parce qu'aujourd'hui mon pere rotit des poulets, dit la fille du roi.
Euh! le voila pris, il ne s'attendait pas a ca. Il aurait voulu repondre quelque chose de drole et ne trouvait rien. Euh!…
– Bon a rien. Sortez!
L'autre frere entra.
– Il fait terriblement chaud ici, commenca-t-il…
– Oui, nous rotissons des poulets aujourd'hui.
– Comment? Quoi? Quoi? dit-il.
Et tous les journalistes ecrivaient: «Comment? quoi? quoi?»
– Bon a rien! Sortez!
Vint le tour de Hans le Balourd. Il entra sur son bouc jusqu'au milieu de la salle.
– Quelle fournaise! dit-il.
– Oui, nous rotissons des poulets aujourd'hui.
– Quelle chance! fit Hans le Balourd, alors je pourrai sans doute me faire rotir une corneille.
– Mais bien sur dit la princesse, mais as-tu quelque chose pour la faire rotir, car moi je n'ai ni pot ni poele.
– Et moi j'en ai, dit Hans, voila une casserole cerclee d'etain.
Et il sortit le vieux sabot et posa la corneille au milieu.
– Voila tout un repas, dit la fille du roi, mais ou prendrons-nous la sauce?
– Dans ma poche, dit Hans le Balourd. J'en ai tant que je veux!
Et il fit couler un peu de boue de sa poche.
– Ca, ca me plait! dit la fille du roi. Toi, tu as reponse a tout et tu sais parler et je te veux pour epoux. Mais sais-tu que chaque mot que nous avons dit paraitra demain matin dans le journal? A chaque fenetre se tiennent trois secretaires-journalistes et un vieux maitre jure (surveillant) et ce vieux-la est pire encore que les autres car il ne comprend rien de rien.
Elle disait cela pour lui faire peur. Tous les secretaires-journalistes, par protestation, firent des taches d'encre sur le parquet.
– Voila du beau monde! dit Hans le Balourd. Je vois qu'il faut que je m'en mele et que je donne a leur patron tout ce que j'ai de mieux.
Il retourna sa poche et lanca au maitre jure le reste de la boue en pleine figure.
– Ca, c'est du beau travail! dit la princesse, je n'en aurais pas fait autant… Mais j'apprendrai a mon tour a les traiter comme ils le meritent.
C'est ainsi que Hans le Balourd devint roi, il eut une femme et une couronne et s'assit sur un trone et c'est le journal qui nous en informa… mais peut-on vraiment se fier aux journaux?
L'heureuse famille
La plus grande feuille dans ce pays est certainement la feuille de bardane. Si on la tient devant son petit estomac, on croit avoir un veritable tablier et si, les jours de pluie, on la pose sur sa tete, elle vaut presque un parapluie, tant elle est immense. Jamais une bardane ne pousse isolee; ou il y en a une, il y en a beaucoup d'autres et c'est une nourriture veritablement delicieuse pour les escargots. Je parle des grands escargots blancs que les gens distingues faisaient autrefois preparer en fricassee. Il y avait un vieux chateau ou l'on ne mangeait plus d'escargots, ils avaient presque disparu, mais la bardane, elle, etait plus vivace que jamais, elle envahissait les allees et les plates-bandes; on ne pouvait en venir a bout, c'etait une vraie foret. De-ci, de-la s'elevait un prunier ou un pommier, sans lesquels on n'aurait jamais cru que ceci avait ete un jardin. Tout etait bardane… et la-dedans vivaient les deux derniers et tres vieux escargots. Ils ne savaient pas eux-memes quel age ils pouvaient avoir, mais ils se souvenaient qu'ils avaient ete tres nombreux, qu'ils etaient d'une espece venue de l'etranger, et que c'est pour eux que toute la foret avait ete plantee. Ils n'en etaient jamais sortis, mais ils savaient qu'il y avait dans le monde quelque chose qui s'appelait «le chateau», ou l'on etait apporte pour etre cuit, ce qui avait pour effet de vous faire devenir tout noir, puis on etait pose sur un plat d'argent, sans que l'on puisse savoir ce qui arrivait par la suite. Etre cuit, devenir tout noir et couche sur un plat d'argent, ils ne s'imaginaient pas ce que cela pouvait etre, mais ce devait etre tres agreable et superieurement distingue. Ni la taupe, ni le crapaud, ni le ver de terre interroges, ne pouvaient donner la-dessus le moindre renseignement, aucun d'eux n'avait ete cuit. Les vieux escargots blancs savaient qu'ils etaient les plus nobles de tous, la foret existait a leur usage unique et le chateau etait la afin qu'ils puissent etre cuits et mis sur un plat d'argent. Ils vivaient tres solitaires, mais heureux et comme ils n'avaient pas d'enfants, ils avaient recueilli un petit colimacon tout ordinaire, qu'ils elevaient comme s'il etait leur propre fils. Le petit ne grandissait guere parce qu'il etait d'une espece tres vulgaire. Un jour, une forte pluie tomba.