Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian. Страница 8
Le briquet
Un soldat s'en venait d'un bon pas sur la route. Une deux, une deux! sac au dos et sabre au cote. Il avait ete a la guerre et maintenant, il rentrait chez lui. Sur la route, il rencontra une vieille sorciere. Qu'elle etait laide! Sa lippe lui pendait jusque sur la poitrine.
– Bonsoir soldat, dit-elle. Ton sac est grand et ton sabre est beau, tu es un vrai soldat. Je vais te donner autant d'argent que tu voudras.
– Merci, vieille, dit le soldat.
– Vois-tu ce grand arbre? dit la sorciere. Il est entierement creux. Grimpe au sommet, tu verras un trou, tu t'y laisseras glisser jusqu'au fond. Je t'attacherai une corde autour du corps pour te remonter quand tu m'appelleras.
– Mais qu'est-ce que je ferai au fond de l'arbre?
– Tu y prendras de l'argent, dit la sorciere. Quand tu seras au fond, tu te trouveras dans une grande galerie eclairee par des centaines de lampes. Devant toi il y aura trois portes. Tu pourras les ouvrir, les cles sont dessus. Si tu entres dans la premiere chambre, tu verras un grand chien assis au beau milieu sur un coffre. Il a des yeux grands comme des soucoupes, mais ne t'inquiete pas de ca. Je te donnerai mon tablier a carreaux bleus que tu etendras par terre, tu saisiras le chien et tu le poseras sur mon tablier. Puis tu ouvriras le coffre et tu prendras autant de pieces que tu voudras. Celles-la sont en cuivre… Si tu preferes des pieces d'argent, tu iras dans la deuxieme chambre! Un chien y est assis avec des yeux grands comme des roues de moulin. Ne t'inquiete encore pas de ca. Pose-le sur mon tablier et prends des pieces d'argent, autant que tu en veux. Mais si tu preferes l'or, je peux aussi t'en donner-et combien!-tu n'as qu'a entrer dans la troisieme chambre. Ne t'inquiete toujours pas du chien assis sur le coffre. Celui-ci a les yeux grands comme la Tour Ronde de Copenhague et je t'assure que pour un chien, c'en est un. Pose-le sur mon tablier et n'aie pas peur, il ne te fera aucun mal. Prends dans le coffre autant de pieces d'or que tu voudras.
– Ce n'est pas mal du tout ca, dit le soldat. Mais qu'est-ce qu'il faudra que je te donne a toi la vieille? Je suppose que tu veux quelque chose.
– Pas un sou, dit la sorciere. Rapporte-moi le vieux briquet que ma grand-mere a oublie la derniere fois qu'elle est descendue dans l'arbre.
– Bon, dit le soldat, attache-moi la corde autour du corps.
– Voila-et voici mon tablier a carreaux bleus.
Le soldat grimpa dans l'arbre, se laissa glisser dans le trou, et le voila, comme la sorciere l'avait annonce, dans la galerie ou brillaient des centaines de lampes. Il ouvrit la premiere porte. Oh! le chien qui avait des yeux grands comme des soucoupes le regardait fixement.
– Tu es une brave bete, lui dit le soldat en le posant vivement sur le tablier de la sorciere.
Il prit autant de pieces de cuivre qu'il put en mettre dans sa poche, referma le couvercle du coffre, posa le chien dessus et entra dans la deuxieme chambre.
Brrr!! le chien qui y etait assis avait, reellement, les yeux grands comme des roues de moulin.
– Ne me regarde pas comme ca, lui dit le soldat, tu pourrais te faire mal.
Il posa le chien sur le tablier, mais en voyant dans le coffre toutes ces pieces d'argent, il jeta bien vite les sous en cuivre et remplit ses poches et son sac d'argent. Puis il passa dans la troisieme chambre.
Mais quel horrible spectacle! Les yeux du chien qui se tenait la etaient vraiment grands chacun comme la Tour Ronde de Copenhague et ils tournaient dans sa tete comme des roues.
– Bonsoir, dit le soldat en portant la main a son kepi, car de sa vie, il n'avait encore vu un chien pareil et il l'examina quelque peu. Mais bientot il se ressaisit, posa le chien sur le tablier, ouvrit le coffre.
Dieu!… que d'or! Il pourrait acheter tout Copenhague avec ca, tous les cochons en sucre des patissiers et les soldats de plomb et les fouets et les chevaux a bascule du monde entier. Quel tresor!
Il jeta bien vite toutes les pieces d'argent et prit de l'or. Ses poches, son sac, son kepi et ses bottes, il les remplit au point de ne presque plus pouvoir marcher. Eh bien! il en avait de l'argent cette fois! Vite il replaca le chien sur le coffre, referma la porte et cria dans le tronc de l'arbre:
– Remonte-moi, vieille.
– As-tu le briquet? demanda-t-elle.
– Ma foi, je l'avais tout a fait oublie, fit-il, et il retourna le prendre.
Puis la sorciere le hissa jusqu'en haut et le voila sur la route avec ses poches, son sac, son kepi, ses bottes pleines d'or!
– Qu'est-ce que tu vas faire de ce briquet? demanda-t-il.
– Ca ne te regarde pas, tu as l'argent, donne-moi le briquet!
– Taratata, dit le soldat. Tu vas me dire tout de suite ce que tu vas faire de ce briquet ou je tire mon sabre et je te coupe la tete.
– Non, dit la vieille sorciere.
Alors, il lui coupa le cou. La pauvre tomba par terre et elle y resta. Mais lui serra l'argent dans le tablier, en fit un baluchon qu'il lanca sur son epaule, mit le briquet dans sa poche et marcha vers la ville.
Une belle ville c'etait. Il alla a la meilleure auberge, demanda les plus belles chambres, commanda ses plats favoris. Puisqu'il etait riche…
Le valet qui cira ses chaussures se dit en lui-meme que pour un monsieur aussi riche, il avait de bien vieilles bottes. Mais des le lendemain, le soldat acheta des souliers neufs et aussi des vetements convenables.
Alors il devint un monsieur distingue. Les gens ne lui parlaient que de tout ce qu'il y avait d'elegant dans la ville et de leur roi, et de sa fille, la ravissante princesse.
– Ou peut-on la voir? demandait le soldat.
– On ne peut pas la voir du tout, lui repondait-on. Elle habite un grand chateau aux toits de cuivre entoure de murailles et de tours. Seul le roi peut entrer chez elle a sa guise car on lui a predit que sa fille epouserait un simple soldat; et un roi n'aime pas ca du tout.
– Que je voudrais la connaitre! dit le soldat, mais il savait bien que c'etait tout a fait impossible.
Alors il mena une joyeuse vie, alla a la comedie, roula carrosse dans le jardin du roi, donna aux pauvres beaucoup d'argent-et cela de grand coeur-se souvenant des jours passes et sachant combien les indigents ont de peine a avoir quelques sous.
Il etait riche maintenant et bien habille, il eut beaucoup d'amis qui, tous, disaient de lui: «Quel homme charmant, quel vrai gentilhomme!» Cela le flattait. Mais comme il depensait tous les jours beaucoup d'argent et qu'il n'en rentrait jamais dans sa bourse, le moment vint ou il ne lui resta presque plus rien. Il dut quitter les belles chambres, aller loger dans une mansarde sous les toits, brosser lui-meme ses chaussures, tirer l'aiguille a repriser. Aucun ami ne venait plus le voir… trop d'etages a monter.
Par un soir tres sombre-il n'avait meme plus les moyens de s'acheter une chandelle-il se souvint qu'il en avait un tout petit bout dans sa poche et aussi le briquet trouve dans l'arbre creux ou la sorciere l'avait fait descendre. Il battit le silex du briquet et au moment ou l'etincelle jaillit, voila que la porte s'ouvre. Le chien aux yeux grands comme des soucoupes est devant lui.
– Qu'ordonne mon maitre? demande le chien.
– Quoi! dit le soldat. Voila un fameux briquet s'il me fait avoir tout ce que je veux. Apporte-moi un peu d'argent. Hop! voila l'animal parti et hop! le voila revenu portant, dans sa gueule, une bourse pleine de pieces de cuivre.
Alors le soldat comprit quel briquet miraculeux il avait la. S'il le battait une fois, c'etait le chien assis sur le coffre aux monnaies de cuivre qui venait, s'il le battait deux fois, c'etait celui qui gardait les pieces d'argent et s'il battait trois fois son briquet, c'etait le gardien des pieces d'or qui apparaissait. Notre soldat put ainsi redescendre dans les plus belles chambres, remettre ses vetements luxueux. Ses amis le reconnurent immediatement et meme ils avaient beaucoup d'affection pour lui.