Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo. Страница 20

– Eh!, monsieur le poisson, pourrais-je vous dire un mot?

– Meme deux – repondit le poisson qui, en fait, etait un Dauphin, un Dauphin tres aimable comme on en trouve peu dans n’importe quelle mer du globe.

– Pourriez-vous me dire si, dans cette ile, il y a des villages ou l’on puisse manger sans prendre le risque d’etre mange?

– Certainement – repondit le Dauphin – Tu en trouveras meme un non loin d’ici.

– Comment on y va?

– Tu prends ce sentier, la, sur ta gauche, et tu marches tout droit. Tu ne peux pas te tromper.

– Autre chose. Vous qui passez vos jours et vos nuits a sillonner l’ocean, n’auriez-vous pas croise par hasard une chaloupe avec mon papa dedans?

– Qui donc est ton papa?

– Oh, c’est le meilleur papa du monde comme moi je suis le plus sale gosse qui puisse exister.

– Avec la tempete de cette nuit, la chaloupe a du sombrer.

– Et mon papa?

– Ton papa, a cette heure, aura sans doute ete avale par un redoutable requin qui seme terreur et desolation dans les eaux de cette ile.

– Ce requin, il est vraiment grand? – s’enquit Pinocchio qui commencait a trembler.

– S’il est grand? – repliqua le Dauphin – Pour t’en faire une idee, je te dirai qu’il est plus grand qu’un immeuble de cinq etages et que dans sa gueule pourrait passer un train entier avec sa locomotive.

– Mamma mia! – geignit la marionnette effrayee.

Pinocchio se rhabilla a toute vitesse et remercia le Dauphin:

– Adieu, monsieur le poisson, excusez le derangement et merci mille fois pour votre courtoisie.

Puis, sans attendre, il s’engagea sur le sentier a pas vifs, si vifs qu’il courait presque. Mais a chaque bruit, il se retournait afin de verifier qu’il n’etait pas suivi par le terrible requin grand comme une maison de cinq etages et avec un train entier dans la gueule.

Apres une demi-heure de marche, il arriva dans un petit village nomme «Le Village des Abeilles Industrieuses». Les rues etaient sillonnees de gens qui couraient dans tous les sens et qui avaient tous quelque chose a faire. On avait beau chercher, on ne voyait ni oisif, ni vagabond.

– J’ai compris – conclut immediatement ce paresseux de Pinocchio – ce pays n’est pas pour moi! Moi, je ne suis pas ne pour travailler!

Mais, en meme temps, la faim le tourmentait car il n’avait rien mange depuis vingt-quatre heures, pas meme un plat de vesces.

Que faire?

Pour cesser de jeuner, il avait le choix entre chercher un peu de travail ou alors mendier quelques sous ou un morceau de pain.

Mendier lui faisait honte car son papa lui avait enseigne que seuls les vieillards et les infirmes avaient le droit de demander l’aumone. Les vrais pauvres meritant assistance et compassion etaient uniquement ceux qui, trop ages ou malades, ne pouvaient plus subvenir a leurs besoins en travaillant de leurs propres mains. Tous les autres devaient travailler et s’ils souffraient de la faim parce qu’ils ne faisaient rien, tant pis pour eux.

A ce moment-la passa dans la rue un homme transpirant et haletant qui tirait a grand peine deux charrettes de charbon.

Pinocchio, jugeant sa physionomie avenante, l’accosta et lui demanda d’une petite voix tout en baissant les yeux:

– Me feriez-vous la charite d’un petit sou, car je meurs de faim?

– Ce n’est pas un mais quatre sous que je te donnerai – repondit le charbonnier – si tu m’aides a tirer ces charrettes jusque chez moi.

– Quelle idee! – repliqua la marionnette offensee – Sachez, pour votre gouverne, que je ne suis pas une bete de somme et que je n’ai jamais ete attele a une charrette!

– Tant mieux pour toi. Dans ce cas, mon garcon, si tu meurs vraiment de faim, mange donc deux belles tranches de ton superbe orgueil et prends bien garde de ne pas attraper une indigestion.

Deux minutes plus tard, c’est un macon qui passait en portant sur l’epaule un sac de chaux.

– Mon bon monsieur, feriez-vous l’aumone d’un sou a un pauvre garcon qui baille tellement il a faim? – supplia Pinocchio.

– Bien volontiers – lui repondit le macon – Je te donnerai meme cinq sous si tu m’aides a porter ce sac.

– Mais la chaux, c’est tres lourd – fit remarquer Pinocchio – et je ne veux pas me fatiguer.

– Si tu ne veux pas te fatiguer, mon garcon, alors amuse-toi a bailler et grand bien te fasse.

Ainsi passerent, en moins d’une demi-heure, une vingtaine de personnes a qui la marionnette demanda l’aumone. Toutes lui repondirent:

– Tu n’as pas honte? Au lieu de trainer dans la rue, cherche plutot du travail et apprends a gagner ta vie!

Finalement apparut une sympathique jeune femme qui portait deux jarres pleines d’eau.

– Bonne dame, accepteriez-vous que je boive une gorgee d’eau a l’une de vos cruches – quemanda Pinocchio dont la gorge brulait, assechee par la soif.

– Bois, mon garcon! – lui dit la jeune femme en posant son fardeau a terre.

Pinocchio but comme une eponge puis murmura, tout en s’essuyant la bouche:

– Maintenant, je n’ai plus soif. Mais comment faire pour ne plus avoir faim?

La gentille dame, entendant ces paroles, s’empressa de dire:

– Si tu m’aides a porter l’une de ces jarres, je te donnerai un beau morceau de pain quand nous serons arrives a la maison.

Pinocchio regarda sans repondre la grande cruche.

– Et avec le pain, je te servirai un plat de choux-fleurs a la vinaigrette – ajouta la jeune femme.

Pinocchio jeta un autre coup d’?il sur la cruche mais sans se decider.

– Et apres le chou-fleur, tu auras droit a une dragee fourree au rossolis.

La perspective d’une telle friandise eut raison de la resistance de la marionnette qui, s’armant de courage, se decida:

– D’accord! Je porterai l’un de ces cruches jusque chez vous.

Elle etait fort lourde et Pinocchio n’eut pas la force de la porter a bout de bras. Il se resigna a la poser sur sa tete.

Une fois arrives, la gentille jeune femme fit asseoir Pinocchio a une petite table qui etait deja mise et disposa devant lui le pain, le chou-fleur et la dragee au rossolis.

Pinocchio ne mangea pas: il devora. Son estomac etait aussi vide qu’un quartier deserte par ses habitants depuis des lustres.