Neige - Fermine Maxence. Страница 6
Soseki ne se lassait pas de la regarder. Sa femme etait une danseuse de corde hors pair. Sur ce fil, Neige etait si heureuse, si belle, si aerienne que chaque jour il remerciait le ciel de la lui avoir offerte.
Ses cheveux etaient blonds. Son regard etait clair.
Et elle marchait dans les airs.
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Le spectacle fut fixe aux premiers jours de l'ete. On vint de tout le pays pour assister aux prouesses de la jeune francaise. On raconte que l'empereur lui-meme assista a la feerie, au cote du samourai.
Lorsque Neige posa le pied sur le fil, la foule murmura. C'etait si haut, si vertigineux, qu'elle ne semblait qu'un point blanc dans l'espace, un flocon de neige dans l'immensite du ciel.
Munie de son balancier, Neige evolua au-dessus du sol pendant plus d'une heure et demie, se rapprochant peu a peu de l'autre versant de la montagne. En bas on retenait son souffle. Un faux pas et c'etait la mort assuree.
Mais la jeune femme, maitrisant parfaitement son art, avancait irremediablement. Pas a pas. Souffle apres souffle. Silence apres silence. De vertige en vertige.
Jamais elle ne trebucha.
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Ce fut le fil qui cassa. Mal arrime, sans doute, le cable se detacha de la roche, emportant avec lui la jeune femme et le balancier dans une chute de pres de mille pieds. Du plus loin qu'on la vit disparaitre, au c?ur des Alpes japonaises, on la prit pour un oiseau tombant du ciel.
On ne retrouva jamais son corps, sans doute avale par une crevasse. Neige etait devenue neige et dormait dans le lit de la blancheur.
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Soseki ne se remit jamais de la perte de sa femme. Les deux serviteurs fautifs furent renvoyes sans autre forme de proces. On apprit quelques jours plus tard qu'ils s'etaient donne la mort en se jetant d'une falaise. Le samourai n'en tira ni joie ni peine. Il ne voyait qu'une chose: son propre chagrin. Il ne savait qu'une chose: jamais il ne retrouverait la femme qu'il avait aimee. Jamais il ne reverrait Neige. Jamais il ne reverrait la beaute.
En regagnant sa demeure, maintenant vide de toute joie, il quitta son habit de guerrier. Il ne serait plus samourai. Il ne serait plus officier de l'empereur.
Il se consacrerait desormais a l'education de sa fille et a l'art. A l'art absolu. Dans le visage de son enfant, reflet de son amour perdu, il puiserait a la source de l'inspiration, et dans l'art il trouverait l'equilibre que la disparition de la funambule avait perverti.
C'est ainsi qu'il devint, pour l'amour d'une femme, poete, musicien, calligraphe, danseur. Et peintre.
Car la peinture etait bien entendu le lien le plus fidele entre le visage perdu et l'art absolu, le moyen le plus sur de retrouver Neige. Et c'est dans cet art-la que le maitre excella.
Soseki acheta de nombreuses fournitures chez un marchand de couleurs – un chevalet de bois, plusieurs pinceaux en soie, une palette, une quantite infinie de colorants -, se fit construire une petite hutte dans son jardin et s'y enferma a double tour. Il passa la de longues annees a peindre cette etrange morte que jamais plus il ne reverrait qu'en reve.
Pourtant, Soseki ne se satisfit jamais de son travail. Ses tableaux, quoique superbes, lui semblaient trop colores, peu ressemblants. Pour peindre Neige avec exactitude, il eut fallu un tableau entierement blanc, vierge, epure.
Comment peindre la blancheur? Chaque peinture de la jeune femme etait belle mais ne ressemblait en rien a la neige.
Alors Soseki continua a perfectionner son art, jour apres jour, nuit apres nuit, sans jamais se lasser.
Puis il se mit a vieillir. Sa fille, deja femme et deja belle, fut envoyee a Tokyo pour parfaire son education. Le vieil homme se retrouva seul face a la toile. Il epuisa ses yeux a contempler l'image de sa femme disparue. Et un jour, a force de travail incessant, il devint aveugle.
C'est precisement ce jour-la que Soseki, dans la profondeur de sa cecite, peignit le plus blanc et le plus beau de tous ses portraits.