Le pere Goriot - де Бальзак Оноре. Страница 41
Poiret s’en alla doucement et sans murmurer, comme un chien a qui son maitre donne un coup de pied. Rastignac etait sorti pour marcher, pour prendre l’air, il etouffait. Ce crime commis a heure fixe il avait voulu l’empecher la veille. Qu’etait-il arrive ? Que devait-il faire ? Il tremblait d’en etre le complice. Le sang-froid de Vautrin l’epouvantait encore.
— Si cependant Vautrin mourait sans parler ? se disait Rastignac.
Il allait a travers les allees du Luxembourg, comme s’il eut ete traque par une meute de chiens, et il lui semblait en entendre les aboiements.
— Eh ! bien, lui cria Bianchon, as-tu lu le Pilote ?
Le Piloteetait une feuille radicale dirigee par monsieur Tissot et qui donnait pour la province quelques heures apres les journaux du matin une edition ou se trouvaient les nouvelles du jour qui alors avaient, dans les departements vingt-quatre heures d’avance sur les autres feuilles.
— Il s’y trouve une fameuse histoire, dit l’interne de l’hopital Cochin. Le fils Taillefer s’est battu en duel avec le comte Franchessini, de la vieille garde qui lui a mis deux pouces de fer dans le front. Voila la petite Victorine un des plus riches partis de Paris. Hein ! si l’on avait su cela ? Quel trente-et-quarante que la mort ! Est-il vrai que Victorine te regardait d’un bon ?il, toi ?
— Tais-toi Bianchon, je ne l’epouserai jamais. J’aime une delicieuse femme, j’en suis aime, je…
— Tu dis cela comme si tu te battais les flancs pour ne pas etre infidele. Montre-moi donc une femme qui vaille le sacrifice de la fortune du sieur Taillefer.
— Tous les demons sont donc apres moi ? s’ecria Rastignac.
— Apres qui donc en as-tu ? es-tu fou ? Donne-moi donc la main, dit Bianchon, que je te tate le pouls. Tu as la fievre.
— Va donc chez la mere Vauquer, lui dit Eugene, ce scelerat de Vautrin vient de tomber comme mort.
— Ah ! dit Bianchon, qui laissa Rastignac seul, tu me confirmes des soupcons que je veux aller verifier.
La longue promenade de l’etudiant en droit fut solennelle. Il fit en quelque sorte le tour de sa conscience. S’il frotta, s’il s’examina, s’il hesita du moins sa probite sortit de cette apre et terrible discussion eprouvee comme une barre de fer qui resiste a tous les essais. Il se souvint des confidences que le pere Goriot lui avait faites la veille, il se rappela l’appartement choisi pour lui pres de Delphine, rue d’Artois ; il reprit sa lettre, la relut, la baisa. — Un tel amour est mon ancre de salut, se dit-il. Ce pauvre vieillard a bien souffert par le c?ur. Il ne dit rien de ses chagrins mais qui ne les devinerait pas ! Eh ! bien, j’aurai soin de lui comme d’un pere, je lui donnerai mille jouissances. Si elle m’aime, elle viendra souvent chez moi passer la journee pres de lui. Cette grande comtesse de Restaud est une infame, elle ferait un portier de son pere. Chere Delphine ! elle est meilleure pour le bonhomme, elle est digne d’etre aimee. Ah ! ce soir je serai donc heureux ! Il tira la montre, l’admira. — Tout m’a reussi ! Quand on s’aime bien pour toujours, l’on peut s’aider, je puis recevoir cela. D’ailleurs je parviendrai, certes, et pourrai tout rendre au centuple. Il n’y a dans cette liaison ni crime ni rien qui puisse faire froncer le sourcil a la vertu la plus severe. Combien d’honnetes gens contractent des unions semblables ! Nous ne trompons personne ; et ce qui nous avilit, c’est le mensonge. Mentir, n’est-ce pas abdiquer ? Elle s’est depuis long-temps separee de son mari. D’ailleurs je lui dirai, moi, a cet Alsacien, de me ceder une femme qu’il lui est impossible de rendre heureuse.
Le combat de Rastignac dura long-temps. Quoique la victoire dut rester aux vertus de la jeunesse, il fut neanmoins ramene par une invincible curiosite sur les quatre heures et demie, a la nuit tombante, vers la maison Vauquer, qu’il se jurait a lui-meme de quitter pour toujours. Il voulait savoir si Vautrin etait mort. Apres avoir eu l’idee de lui administrer un vomitif, Bianchon avait fait porter a son hopital les matieres rendues par Vautrin, afin de les analyser chimiquement. En voyant l’insistance que mit mademoiselle Michonneau a vouloir les faire jeter, ses doutes se fortifierent. Vautrin fut d’ailleurs trop promptement retabli pour que Bianchon ne soupconnat pas quelque complot contre le joyeux boute-en-train de la pension. A l’heure ou rentra Rastignac, Vautrin se trouvait donc debout pres du poele dans la salle a manger. Attires plus tot que de coutume par la nouvelle du duel de Taillefer le fils, les pensionnaires, curieux de connaitre les details de l’affaire et l’influence qu’elle avait eue sur la destinee de Victorine, etaient reunis, moins le pere Goriot, et devisaient de cette aventure. Quand Eugene entra, ses yeux rencontrerent ceux de l’imperturbable Vautrin, dont le regard penetra si avant dans son c?ur et y remua si fortement quelques cordes mauvaises, qu’il en frissonna.
— Eh ! bien, cher enfant, lui dit le forcat evade, la Camuse aura long-temps tort avec moi. J’ai, selon ces dames, soutenu victorieusement un coup de sang qui aurait du tuer un b?uf.
— Ah ! vous pouvez bien dire un taureau, s’ecria la veuve Vauquer.
— Seriez-vous donc fache de me voir en vie ? dit Vautrin a l’oreille de Rastignac dont il crut deviner les pensees. Ce serait d’un homme diantrement fort !
— Ah, ma foi ! dit Bianchon, mademoiselle Michonneau parlait avant-hier d’un monsieur surnomme Trompe-la-Mort ;ce nom-la vous irait bien.
Ce mot produisit sur Vautrin l’effet de la foudre : il palit et chancela, son regard magnetique tomba comme un rayon de soleil sur mademoiselle Michonneau, a laquelle ce jet de volonte cassa les jarrets. La vieille fille se laissa couler sur une chaise. Poiret s’avanca vivement entre elle et Vautrin, comprenant qu’elle etait en danger, tant la figure du forcat devint ferocement significative en deposant le masque benin [benin] sous lequel se cachait sa vraie nature. Sans rien comprendre encore a ce drame, tous les pensionnaires resterent ebahis. En ce moment, l’on entendit le pas de plusieurs hommes, et le bruit de quelques fusils que des soldats firent sonner sur le pave de la rue. Au moment ou Collin cherchait machinalement une issue en regardant les fenetres et les murs, quatre hommes se montrerent a la porte du salon. Le premier etait le chef de la police de surete, les trois autres etaient des officiers de paix.
— Au nom de la loi et du roi, dit un des officiers dont le discours fut couvert par un murmure d’etonnement.
Bientot le silence regna dans la salle a manger, les pensionnaires se separerent pour livrer passage a trois de ces hommes, qui tous avaient la main dans leur poche de cote et y tenaient un pistolet arme. Deux gendarmes qui suivaient les agents occuperent la porte du salon, et deux autres se montrerent a celle qui sortait par l’escalier. Le pas et les fusils de plusieurs soldats retentirent sur le pave caillouteux qui longeait la facade. Tout espoir de fuite fut donc interdit a Trompe-la Mort, sur qui tous les regards s’arreterent irresistiblement. Le chef alla droit a lui, commenca par lui donner sur la tete une tape si violemment appliquee qu’il fit sauter la perruque et rendit a la tete de Collin toute son horreur. Accompagnees de cheveux rouge-brique et courts qui leur donnaient un epouvantable caractere de force melee de ruse, cette tete et cette face, en harmonie avec le buste, furent intelligemment illuminees comme si les feux de l’enfer les eussent eclairees. Chacun comprit tout Vautrin, son passe, son present, son avenir, ses doctrines implacables, la religion de son bon plaisir, la royaute que lui donnaient le cynisme de ses pensees, de ses actes, et la force d’une organisation faite a tout. Le sang lui monta au visage, et ses yeux brillerent comme ceux d’un chat sauvage. Il bondit sur lui-meme par un mouvement empreint d’une si feroce energie, il rugit si bien qu’il arracha des cris de terreur a tous les pensionnaires. A ce geste de lion, et s’appuyant de la clameur generale, les agents tirerent leurs pistolets. Collin comprit son danger en voyant briller le chien de chaque arme, et donna tout a coup la preuve de la plus haute puissance humaine. Horrible et majestueux spectacle ! sa physionomie presenta un phenomene qui ne peut etre compare qu’a celui de la chaudiere pleine de cette vapeur fumeuse qui souleverait des montagnes, et que dissout en un clin d’?il une goutte d’eau froide. La goutte d’eau qui froidit sa rage fut une reflexion rapide comme un eclair. Il se mit a sourire et regarda sa perruque.