Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта. Страница 18
Elle etait revenue s'asseoir sur la pierre de l'atre, dans les cendres, et elle egrenait son chapelet de buis. Sara saisit les deux mains de Catherine dans les siennes, emprisonna ses jambes entre ses genoux.
Sa voix baissa de plusieurs tons jusqu'a devenir un murmure doux, insistant et un peu endormeur :
— C'est ainsi, cependant ! Il est ecrit dans les petites mains que voici d'etranges choses. Tu es destinee a un grand, un tres grand amour qui te fera beaucoup souffrir et te donnera des joies si fortes que tu auras peine a les supporter. Par contre, beaucoup d'hommes t'aimeront... un surtout ! Oh ! (Elle avait retourne les mains de la petite, paumes en l'air, et les examinait curieusement, le front ride de mille plis... Je vois un prince... un vrai prince ! Il t'aimera et fera beaucoup pour toi. Pourtant, ce n'est pas lui que tu aimeras. C'est un autre. Je le vois ! Jeune, beau, noble... et dur ! Si dur ! Tu te blesseras souvent aux epines qui defendent son c?ur mais les larmes et le sang sont le meilleur mortier du bonheur. Cet homme, lu le chercheras comme le chien cherche son maitre perdu, tu le suivras le nez a terre comme le limier sur la trace du grand cerf sauvage. Tu auras la gloire, la fortune, l'amour, tu auras tout !... mais tu le paieras tres cher ! Et puis... oh quelle chose etrange !... tu rencontreras un ange.
— Un ange ? fit Catherine bouche bee.
Sara avait laisse retomber les mains de la jeune Mlle. Elle paraissait soudain lasse, et plus vieille, mais son regard, perdu bien au-dela des murs crasseux, irradiait de lumiere comme si un buisson de cierges s'y fut allume d'un seul coup.
— Un ange ! repeta-t-elle en extase. Un ange guerrier portant une epee flamboyante...
Trouvant que Sara s'evadait trop loin d'elle, Catherine la secoua doucement pour la ramener sur terre.
— Et toi, Sara ? Est-ce que tu retourneras un jour dans ton ile au bout de la mer bleue ?
— Je ne peux pas dechiffrer pour moi-meme le livre de l'avenir, mignonne. L'Esprit ne le permet pas. Mais une vieille, jadis, m'avait predit que je m'eloignerais pour toujours et que, pourtant, je retrouverais les miens. Elle disait que les tribus viendraient a moi1.
Quand Barnabe revint, il etait seul et semblait tout joyeux.
— Voila, dit-il, tout est decide. Le plan est etabli. Des qu'il se presentera une occasion favorable, nous arracherons Loyse a Caboche.
— Pourquoi attendre ? Pourquoi pas ce soir, s'ecria Jacquette avec passion. Est-ce qu'elle n'a pas assez attendu, et moi aussi ?
— La paix, femme ! s'ecria le Coquillart assez rudement. Il faut la reprendre en evitant de se faire tuer. Cette nuit, on va allumer les feux de la Saint- Jean. Le plus grand bucher est devant le Palais l'autre sur la Greve. Il est impossible de tenter un coup de main dans la Cite meme, a deux pas du feu, avec tout le monde qu'il va attirer. Caboche, en plus, est capitaine du pont de Charenton. Il dispose d'armes, de monde. Il est plus puissant que jamais. Enfin, il y a d'autres preparatifs a faire car, le coup fait, le pave deviendra brulant. Caboche fouillera partout, meme la Cour des Miracles ou il a des intelligences.
Loyse retrouvee, il nous faudra quitter Paris.
1. C'est vers 1416 que les premieres tribus gitanes vinrent en Europe en provenance de la Grece, du Moyen-Orient et meme de l'Indus.
Nous ? fit Catherine ravie. Tu viendras avec nous ?
Oui petite ! Mon temps ici est fini. Je suis Coquillart, je dois rejoindre mon chef. Le roi de la Coquille me rappelle a Dijon. Nous ferons route ensemble.
Il expliqua aussitot le plan que, de concert avec Machefer, il avait etabli. Des qu'une manifestation quelconque drainerait les Parisiens vers un endroit suffisamment eloigne, ils se rendraient chez la mere Caboche et s'arrangeraient pour l'attirer dehors, ou, tout au moins, lui faire ouvrir sa porte. Ensuite, avec quelques bons compagnons, enlever Loyse ne serait qu'un jeu. Il faudrait alors gagner un entrepot de marchandises au bord de la Seine et la, prendre le bateau que l'on aurait trouve et qui en remontant la Seine et l'Yonne, les emmenerait jusqu'en Bourgogne.
— J'aurai besoin de toi, Sara, ajouta Barnabe. Mais ensuite tu seras reperee...
La gitane haussa les epaules avec insouciance :
— Je partirai avec elles si elles veulent de moi. Cela ne sera pas un grand sacrifice. J'en ai assez de Maillet- le-loup. Il s'est mis en tete de coucher avec moi et toutes les nuits je le repousse. Il est de plus en plus mauvais et menace de m'envoyer danser devant Machefer. Tu sais ce que cela veut dire ?
Barnabe fit signe que oui et Catherine se retint d'en taire autant.
Mais une sainte colere bouillait en elle car elle s'etait prise d'affection pour son etrange medecin et comprenait que, malgre sa peau foncee, Sara-la-Noire etait assez belle pour etre admise par Machefer au nombre de ses femmes. Glissant sa main dans celle de son amie, elle leva sur elle son regard caressant qui a cet instant, etait dore comme une journee d'ete.
On ne se quittera plus, dis, Sara ? Tu viendras avec nous chez l'oncle Mathieu. N'est-ce pas Maman ?
Jacquette sourit tristement. Naguere encore si gaie, si vivante, la solide Bourguignonne semblait devenir chaque jour un peu plus transparente. Ses joues perdaient leurs couleurs et se fanaient, de grands plis se creusaient dans son visage encore si lisse et si frais avant les epreuves traversees. Son corselet lace flottait maintenant sur une poitrine amaigrie.
— Sara sait bien que, la ou nous serons, il y aura toujours place pour elle. Est-ce que je ne lui dois pas ta vie ?
D'un meme elan les deux femmes, nees a des poles si eloignes, se jeterent dans les bras l'une de l'autre en pleurant chacune sur les douleurs de l'autre. Le malheur les avait faites semblables. La bourgeoise etait aussi deracinee que la fille de l'air et du vent, que la nomade des routes du monde dont les aieux avaient suivi les hordes de Gengis-Khan. La solidarite feminine, etrangement puissante quand aucune rivalite ne s'en mele, jouait a plein entre les deux femmes et Jacquette eut volontiers appele Sara, sa s?ur.
Barnabe qui avait pris Catherine dans ses bras et la faisait sauter comme un bebe, renifla brusquement, s'essuya le nez a la manche de sa souquenille et declara :
— Assez d'attendrissements. J'ai faim. Et puisque nous voila de la meme famille, soupons en famille. J'ai vole quelques darioles a Isabeau-la-Gourbaude, elles seront pour toi, mignonne, ajouta-t-il en sortant de sa poche les patisseries bien dorees.
Il y avait longtemps que Catherine, qui etait gourmande au moins autant qu'Isabeau la bien nommee, n'en avait vues. Elle en croqua une avec delice puis brusquement colla ses levres toutes sucrees de miel a la joue mal rasee du Coquillart.
— Merci Barnabe !...
La surprise du bonhomme fut telle qu'il faillit laisser choir l'adolescente. Il la posa a terre et s'eloigna lies vite vers un coin sombre ou il rangeait ses fausses reliques. On l'entendit renifler plusieurs fois...
Demain, ils vont mener au billot l'ancien prevot, Pierre des Essarts.
Toute la ville ira a Montfaucon. Ce sera le moment...
La tete hirsute de Machefer, debarrassee de ses ulceres fictifs, passait par la porte de Barnabe. Le Coquillart etait occupe a enfermer dans de petites boites de cuivre des morceaux d'os sur lesquels il mettait une petite bande mince de papier portant quelques caracteres gothiques.
— Entre ! fit-il seulement.
Catherine etait pres de lui, tres interessee par son travail mais il etait trop tard pour la cacher. Machefer l'avait vue.
— Qui est celle-la ? fit-il en pointant vers elle son gros doigt sale.
— La s?ur de la Loyse qui est chez Caboche. Mais pas touche, Machefer, elle est comme qui dirait ma fille adoptive !
Le roi des ribauds considerait la jeune fille cramponnee a l'epaule de Barnabe avec un etonnement ou percait un peu de colere.