Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта. Страница 19

Catherine, que Sara venait de coiffer, montrait sa tete nue et, a la lumiere du feu, ses nattes brillaient comme des torsades d'or pur, ses yeux aussi et elle se dressait comme un petit coq en l.ice de Machefer, tendue dans la volonte de ne pas montrer sa peur. L'homme avanca une main hesitante, loucha l'une des nattes puis grogna : Vieux filou !... J'ai comme une idee que tu m'as roule. Si la grande s?ur dent les promesses de la petite, ca doit etre une fiere beaute.

La main seche de Barnabe rabattit celle du borgne.

— Elle ne lui ressemble pas, fit-il brievement. Et celle-ci est trop jeune. Cessons la-dessus, Machefer. Tu apportais du nouveau. Veux-tu a boire...

— C'est pas de refus, fit l'autre en se laissant tomber lourdement sur un escabeau. Mais t'as de la veine, le Coquillart, d'appartenir a Jacquot-de-la-Mer, sinon, je t'aurais volontiers saigne pour avoir les deux poulettes. Je les aime jeunes, moi, elles sont plus tendres....

Sa main tourmentait une dague passee a sa ceinture et les flammes dansant dans son regard injecte de sang lui donnaient l'air d'un demon.

Catherine, effrayee, recula de deux pas et se signa. Barnabe haussa les epaules sans cesser son travail.

— Tu fais peur aux enfants, maintenant ? Tiens-toi donc tranquille, Machefer, nous avons mieux a faire et tu n'es pas si mauvais que tu veux bien le dire. Donne a boire, petite... du vin.

Sans quitter des yeux le redoutable personnage, Catherine alla tirer un pot de vin au tonneau cache dans un coin. C'etait de l'excellent vin de Beaune, une des futailles que Jean-Sans-Peur, dans sa politique demagogue avait distribuee a ses amis bouchers et a ses autres partisans. Ce tonneau-la, destine au grand boucher Saint-Yon, avait ete adroitement detourne de sa destination primitive par Barnabe qui en usait dans les grandes occasions. Machefer en vida coup sur coup deux gobelets pleins, essuya sa bouche humide et fit claquer sa langue

: — Fameux !... Je n'en ai pas de pareil !

— Il sera a toi demain, si c'est demain que nous quittons Paris. Tu n'auras qu'a le faire prendre. Et je te fais cadeau aussi de ma maison.

Maintenant raconte.

Calme et remis en belle humeur par la perspective de s'approprier la queue de vin, Machefer ne se fit pas prier pour raconter. Du coup Catherine, rassuree, s'assit par terre aupres des deux hommes.

Le jour ou la foule avait assailli l'hotel de Guyenne et saisi les serviteurs du Dauphin, elle avait aussi assiege dans la Bastille l'ancien prevot de Paris, Pierre des Essarts, qui s'y etait enferme avec une compagnie de cinq cents hommes d'armes venus de sa capitainerie de Cherbourg. La forteresse, cependant neuve encore et fortement defendue, avait ete si fort pressee que le duc de Bourgogne avait du en faire ouvrir les portes et livrer des Essarts. Sous bonne garde, celui-ci avait ete conduit le lendemain au Grand Chatelet ou, depuis, il attendait son jugement. Il etait le dernier d'une serie deja longue.

Caboche faisait regner la terreur dans Paris ou les visites domiciliaires succedaient aux arrestations, aux pillages et aux violences de toute sorte. Maintenant, la peur des Armagnacs, campes sous les murs de Paris, le talonnait et cette peur engendrait une recrudescence de folie meurtriere. Le 10 juin, l'un des captifs du 28 avril avait ete tue dans sa prison puis decapite aux Halles avant que son corps ne fut accroche a Montfaucon. Le meme jour, le jeune Simon du Mesnil, ecuyer tranchant du prince Louis, avait ete conduit aux Halles avec Jacques de la Riviere puis decapite et pendu ensuite par les aisselles. Le 15

juin cela avait ete le tour de Thomelin de Brie qui avait voulu defendre le pont de Charenton. Celui du grand prevot etait venu. Le lendemain, I" juillet, il serait mene aux Halles pour y avoir la tete tranchee.

Tout Paris y sera, conclut Machefer, hormis la mere Caboche que son fils oblige a demeurer cloitree pour surveiller la petite. Sa boutique est toujours fermee et elle boit plus qu'une outre. Il faudra faire le coup dans la journee, vers none1. De mon cote tout sera pret. Veille au grain chez toi et prepare ton monde. On passera par la Croix-du-

Trahoir et le marche aux pourceaux pour gagner les greves et la Cite.

La rue Saint-Denis sera bourree de monde. Tu as un bateau ?

— Je vais y voir sur l'heure...

Barnabe se leva et rangea son materiel soigneusement, enfermant separement ses fragments d'os et ses petites boites dans des sacs differents. Machefer le regardait faire avec amusement.

— Quel grand Saint es-tu en train de mettre en boites ? demanda-t-il. — Saint-Jacques, voyons, qu'il me pardonne ! Tu sais bien que je viens de Compostelle...

Machefer partit d'un enorme eclat de rire et se tapa vigoureusement sur les cuisses.

— Depuis le temps que tu en vends des morceaux du grand Saint-Jacques, il faut croire qu'il etait au moins aussi gros que l'elephant du Grand Charlemagne. Tu pourrais peut-etre changer ?

L'hilarite de son compere n'eut pas d'effet sur Barnabe. Il le contempla avec la tristesse sincere d'un bon commercant qui voit denigrer sa marchandise.

— Saint-Jacques se vend tres bien, dit-il serieusement. Je n'ai aucune raison de changer.

Tout en parlant, il endossait sa houppelande, appelait Sara qui ravaudait des hardes avec Jacquette, dans la piece du dessus, en vue du prochain voyage, et tapotait la joue de Catherine.

— Va aider les femmes, mignonne. Je n'en ai pas pour longtemps.

L'idee d'aller chercher un bateau enchantait l'adolescente, mais Barnabe ne voulut rien savoir pour l'emmener.

1. 15 heures.

Le lendemain, l'agitation de la ville fut perceptible, des le matin, jusqu'au fond des ruelles sinistres et silencieuses de la Cour des Miracles. Tout le monde devait etre dans la rue, masse pres du Grand Chatelet . attendant la sortie du condamne. Les cris de haine, repetes par des milliers de poitrines faisaient comme ii n grondement lointain qui couvrait les cloches des eglises sonnant le glas depuis le lever du jour. Dans la maison de Barnabe, l'activite avait ete debordante des l'aurore. Le Coquillart, au moment de quitter sa maison, avait fait de ses affaires les plus precieuses quelques ballots dans lesquels il avait joint les hardes iles femmes. C'etait Landry qui etait charge de porter cela a la greve du Fort-l'Eveque ou la puissante guilde des marchands de l'eau avait des entrepots. Barnabe avait retenu des passages sur un chaland remontant la Seine jusqu'a Montereau avec une cargaison de poteries destinees a cette ville. La nature de ce chargement le mettait a l'abri des entreprises iles soldats d'Armagnac qui controlaient le fleuve a Corbeil. On s'en tirerait avec un droit de passage. Landry devait conduire Jacquette a l'entrepot et y attendre avec elle l'arrivee des autres. Malgre sa repugnance, elle avait ete obligee de laisser Catherine se joindre a l'expedition contre la maison de la tripiere parce que l'adolescente etait la seule que Loyse pouvait reconnaitre parmi ses sauveurs, et aussi parce qu’elle avait categoriquement declare qu'elle voulait y aller et que ce n'etait pas la peine d'essayer de l'en empecher parce qu'elle se sauverait !

Les nerfs surmenes de Jacquette lui interdisaient de se joindre a •

l'expedition. Ils la rendaient trop emotive donc dangereuse.

— Il n'arrivera rien a la petite, avait promis Barnabe. Mais surtout ne quittez pas l'entrepot. Si tout va bien, nous y serons vers la seconde heure de none et le bateau part aux cloches de vepres.

— Soyez tranquille, assura Landry. J'y veillerai.... Elle ne bougera pas !

Le jeune garcon se sentait du vague a l'ame, ce jour-la. Le depart de Catherine pouvait signifier une longue separation et le c?ur lui saignait de quitter sa petite amie qu'il aimait plus qu'il ne voulait se l'avouer a lui-meme. Quant a l'avouer a l'interessee, le garcon eut prefere se couper la langue. Mais c'etait vraiment dur et, quand il la regardait, Landry avait de bizarres picotements dans les yeux.