Belle Catherine - Бенцони Жюльетта. Страница 16

Lorsque, apres une epuisante course a travers la plaine de Beauce, ravagee et brulee par le passage des armees, Catherine et ses deux compagnons avaient atteint Orleans, ils etaient extenues, parvenus a ce point de fatigue et d'accablement, de misere aussi, ou les betes se couchent au bord du chemin pour mourir. Encore, Gauthier avait-il trouve dans sa force herculeenne celle de porter Catherine qui n'en pouvait plus. Sara, elle, se trainait de son mieux accrochee d'une main a la ceinture du geant. Les Boucher les avaient accueillis a bras ouverts, avec cette belle et grande hospitalite qui, jadis, etait l'honneur des gens de bien. Dame Mathilde, la mere de l'echevin, et Marguerite, sa femme, avaient ete heureuses de revoir la jeune femme, mais Mathilde n'avait pu s'empecher de remarquer :

— Ma chere comtesse, je n'ai encore jamais va une grande dame mener une vie telle que la votre. Aimez- vous a ce point les grands chemins ?

— J'aime, tout simplement, un homme, avait souri la jeune femme sans paraitre s'apercevoir de l'expression soudain figee de Gauthier.

Les trois errants s'etaient arretes deux jours a ce foyer amical : les veillees, on les avait employees a parler interminablement de Jehanne. Catherine avait dit son proces, son martyre et la gloire aussi qui en rayonnait, sanglante et rouge au niveau du bucher, mais s'irradiant de soleil en montant vers le ciel. Et tous, maitres et serviteurs, masses autour de la haute cheminee, avaient pleure de bon c?ur au recit de tant de douleur. A leur tour, pour le grand Normand inconnu, les gens d'Orleans avaient raconte les merveilles de la Delivrance, les jours de bataille, la grande peur des Anglais et la splendeur de la Pucelle dans ses armes d'argent. L'homme des forets ecoutait avec attention, ouvrant de grands yeux qui, malgre lui, s'etonnaient et s'emerveillaient a cette histoire de sang, de gloire et d'amour ou son esprit sauvage retrouvait le reflet des vieilles sagas nordiques, l'echo des chevauchees des vierges guerrieres galopant vers les nuages, avec, a leur selle couleur de mer, la moisson d'ames des guerriers morts au combat.

Mais, quand Catherine avait dit son desir de se rendre a Champtoce, un silence avait suivi. Et, quand les serviteurs, apres la priere, s'etaient retires dans leurs soupentes, dame Mathilde s'etait retournee vers son invitee.

Il ne faut point y aller, ma mie. L'endroit a mauvais renom et le baron de Rais n'est pas un homme a frequenter pour une femme belle et riche. Encore moins peut-etre son vieux brigand d'aieul. Savez-vous qu'apres avoir contraint la petite Catherine de Thouars a fuir avec lui et a l'epouser, pour s'emparer de ses grands biens, Gilles de Rais, ensuite, a fait enlever sa belle-mere, la dame Beatrice de Montjean, et, sous menace d'etre cousue en un sac et jetee en Loire, l'a contrainte a lui abandonner ses deux chateaux forts de Tiffauges et de Pouzauges. Ce sont des choses que l'on sait, dans nos pays.

— La Reine, pourtant, s'y est rendue.

— Quelque peu contrainte et forcee ! Ces gens n'ont point craint d'arreter son cortege, de malmener ses gens. Croyez-moi, mon amie, ils ne craignent ni Dieu ni Diable. L'interet seul les mene, et leur bon plaisir...

Catherine, alors, avait souri gentiment a sa vieille amie. Elle lui avait jete les bras autour du cou et l'avait embrassee chaleureusement.

— Je ne suis plus une jouvencelle, dame Mathilde, et riche ne le suis plus guere. Toute ma fortune tient, pour le moment, dans ce petit sac d'ecus cousu a mon jupon, car mes joyaux sont demeures a Rouen, a la garde de Jean Son, jusqu'a ce que frere Etienne ait le moyen de me les rapporter. Je ne serai pas d'une bien interessante prise pour des seigneurs pirates... et je crois en la parole de monseigneur de Rais. Il a jure d'arracher Arnaud de Montsalvy a Richard Venables. Je gage qu'il le fera.

Jacques Boucher, alors, avait soupire, le front soucieux.

— Il est cousin de La Tremoille, qui gouverne entierement notre sire le Roi, et tout devoue a sa cause, si ce que l'on dit est vrai.

— Mais il est avant tout capitaine du Roi, s'enteta Catherine. Et je n'ai pas le choix si je veux rejoindre messire de Montsalvy.

Rien, les Boucher l'avaient compris, n'empecherait Catherine de se rendre chez l'inquietant Angevin. Ils n'avaient pas insiste, mais, en embrassant Catherine au moment des adieux, dame Mathilde avait glisse a son cou une belle medaille d'or representant sa sainte patronne et, dans sa main, un petit reliquaire d'email ou reposait un infime fragment d'os de saint Jacques.

En recevant ce present, Catherine avait failli sourire car il avait ramene a sa memoire tout un monde de souvenirs. Elle revoyait la masure de Barnabe, dans la grande Cour des Miracles de Paris, et aussi le Coquil- lard avec son grand nez, ses longues jambes et ses doigts souples, eclaires par un feu de branches mortes. Combien de fois l'avait-elle regarde, avec de grands yeux ronds, enfermer de semblables fragments dans des boites toutes pareilles ? Elle entendait encore la voix goguenarde de Machefer, le roi des Truands, qui disait :

« Depuis le temps que tu le mets en boite, il devrait etre aussi gros que l'elephant du grand Charlemagne, ton saint Jacques... »

Peut-etre ce reliquaire-la etait-il sorti, lui aussi, des mains industrieuses de Barnabe et, dans ce cas, la saintete de la relique etait plus que douteuse, mais il n'en fut que plus cher a Catherine. Ces quelques onces de cuivre dore formaient un pont avec les jours d'autrefois. C'etait comme une main amie, tendue hors du tombeau et par-dela les annees evanouies...

Serrant la boite au creux de sa main, elle avait embrasse Mathilde avec des larmes dans les yeux.

C'etait a tout cela que pensait Catherine en avancant vers le rebarbatif et superbe chateau. Instinctivement, sa main gantee de daim fauve chercha sur son corsage l'infime renflement qui marquait la place du petit reliquaire, s'y crispa un instant, comme pour demander a l'ombre de Barnabe le courage necessaire. Mais, au moment ou elle allait engager sa monture sous la voute de la barbacane, une petite troupe de soldats en sortit, trainant dans la poussiere leurs longues piques et leurs pieds chausses de gros cuir. Trainant aussi un homme en loques, aux mains liees derriere le dos et dont les yeux clignaient dans le soleil couchant. Un autre homme en robe de drap noir a gros plis serres dans une ceinture qui supportait un encrier, transpirant sous un lourd chaperon de meme etoffe, suivait, un rouleau de parchemin scelle de rouge a la main.

La troupe prit le chemin qui suivait le bord de l'etang et se perdit sous les branches pendantes. Comprenant que le prisonnier allait a la mort, les deux femmes, d'un meme mouvement, se signerent et Catherine frissonna car, au passage, le regard du condamne s'etait pose sur le sien et elle y avait lu une angoisse affreuse, une souffrance a peine humaine.

— Pas le moindre moine pour assister un homme a son heure derniere, marmotta Sara. Chez quelle sorte de mecreants allons-nous tomber ?

La main de Catherine se serra plus fort sur sa poitrine et la tentation lui vint, irresistible, de rebrousser chemin. Ne pourrait-elle plutot prendre logis en quelque auberge de ce village ou meme chez l'un des habitants et guetter le retour de Gilles de Rais ? Mais elle songea aussitot que, si des nouvelles arrivaient au chateau, elle n'en saurait rien. Elle songea aussi que Gilles de Rais n'etait sans doute point encore arrive, qu'il etait indigne d'elle d'avoir peur d'un vieillard et que, peut-etre, Arnaud ne viendrait point jusque-la, mais lui ferait savoir ou le rejoindre.

D'ailleurs, a cet instant precis, la corne d'un guetteur mugit au-dessus de sa tete, haut dans le ciel, tandis qu'une voix rude demandait :

— Que voulez-vous, etrangers, et pourquoi vous approchez-vous de ce chateau ?

Sans laisser a Catherine le temps de repondre, Gauthier poussa sa mule et se dressa sur ses etriers, les mains en porte-voix.