Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 21

Pourtant, le pas des chevaux attira sur le seuil du Noir-Sarrasin un homme en tablier blanc dont le ventre replet contrastait tristement avec le teint jaune et les jambes greles. Il avait les joues flasques des gens qui ont maigri trop vite et le soupir qu'il poussa en voyant des voyageurs en disait long sur l'etat de son garde- manger. Il tira pourtant son bonnet et s'avanca vers les arrivants qui, deja, mettaient pied a terre.

— Nobles dames, dit-il poliment, et vous, Tres Reverend Pere, en quoi le Noir-Sarrasin peut-il vous obliger ?

— En nous donnant le gite et le couvert, mon fils, repondit Frere Etienne avec bonne humeur. Nous avons fourni une longue etape. Nos chevaux sont las... et nous aussi. Pouvez-vous nous loger et nous nourrir ? Nous avons de quoi payer...

— Helas, mon Reverend, vous pourriez deverser devant moi tout l'or du monde que vous n'obtiendriez tout de meme pas autre chose qu'une soupe aux herbes et un peu de pain noir. Le Noir-Sarrasin n'est plus que l'ombre de ce qu'il etait jadis, helas, et votre sejour ne vous en donnera pas une tres grande idee.

Un enorme soupir vint ponctuer le desenchantement de cette declaration, mais le claquement des sabots d'un cheval dans la ruelle en fit naitre aussitot un second.

— Seigneur ! fit l'aubergiste, pourvu que ce ne soit pas encore un client !

Malheureusement pour maitre Amable, c'etait bien un voyageur, comme l'attestaient le grand manteau couvert de poussiere qui l'enveloppait et les jambes crottees de son cheval. Catherine, se desinteressant des problemes de l'aubergiste et avide, avant tout, de se rechauffer, penetrait deja dans l'hotellerie quand le son de la voix de l'arrivant, demandant s'il etait possible de loger lui et son cheval, la fit retourner. Elle cherchait a distinguer le visage du voyageur sous l'ombre du grand chaperon gris qui le coiffait, mais l'aubergiste la tira vivement de ses incertitudes.

— Las ! Maitre C?ur, vous savez bien que, pleine ou vide, riche ou pauvre, ma maison vous est toujours grande ouverte. Fasse le ciel, seulement, que revienne un jour ou le Noir-Sarrasin pourra vous recevoir d'une maniere digne de son passe !

— Amen ! fit Jacques C?ur avec bonne humeur.

Il mit pied a terre, mais a peine sa botte eut-elle touche le sol qu'il recevait dans ses bras Catherine, catapultee par la joie.

— Jacques ! Jacques ! C'est donc vous ?... Quel bonheur ! .

— Catherine ! Enfin... Je veux dire Madame de Montsalvy ! Que faites-vous ici ?

— Dites Catherine, mon ami ! Voici longtemps que vous en avez acquis le droit. Si vous saviez quelle joie j'eprouve a vous revoir.

Comment vont Macee et les enfants ?

— Au mieux, mais entrons ! Nous serons plus a l'aise a l'interieur pour parler. Si tu as encore de quoi faire du feu, maitre aubergiste, nous, pourrons souper et toi aussi. Il y a deux jambons accroches a ma selle, dans ces sacs de toile. Il y a aussi du lard, du fromage et des noix.

Tandis que maitre Amable se ruait sur les provisions en couvrant le ciel de louanges, Jacques C?ur, passant son bras sous celui de Catherine, l'entrainait dans l'auberge saluant Sara au passage d'un amical bonjour. Dans la salle basse dont les enormes poutres noircies ne supportaient plus que de melancoliques chapelets d'oignons au lieu des salaisons de jadis, ils trouverent Frere Etienne qui se chauffait tranquillement, le dos tourne a la cheminee et la robe legerement relevee.

Catherine voulut presenter les deux hommes l'un a l'autre, mais s'apercut qu'ils se connaissaient deja et fort bien.

— J'ignorais que vous fussiez revenu d'Orient, maitre C?ur, dit le moine. Le bruit n'en etait pas arrive a mes oreilles.

— C'est que je suis rentre, en quelque sorte, sur la pointe des pieds. J'avais fonde de grands espoirs sur ce voyage et, si vu des choses et des gens pleins d'interet, j'ai aussi tout perdu dans cette aventure.

Tandis que maitre Amable et l'unique servante qui lui restait s'activaient a preparer le repas et a mettre le couvert, les voyageurs s'installerent sur les bancs de l'atre pour se rechauffer. Catherine, heureuse de retrouver un ami aussi fidele, ne se lassait pas de le regarder. Et, bien souvent, son regard rencontrait celui de Jacques.

Les yeux bruns du pelletier de Bourges brillaient alors d'etincelles qui n'etaient pas toutes dues au reflet du feu, et ses levres minces s'entrouvraient sur un sourire heureux.

Il raconta comment, parti au printemps avec la galee de Narbonne, la Notre-Dame et Saint-Paul,qui appartenait au bourgeois Jean, Vidal, il avait fait, en compagnie d'autres marchands de Montpellier et de Narbonne, le tour des terres orientales de la Mediterranee pour y planter les jalons d'operations commerciales a venir. Il avait visite Damas, Beyrouth et Tripoli, Chypre et les iles de l'Archipel pour finir a Alexandrie et au Caire et rapportait des souvenirs dont la magie se lisait au fond de son regard.

Vous devriez vivre a Damas, dit-il a Catherine. La ville a ete pillee et brulee, voici trente ans, par les Mongols de Timour le Boiteux ', mais du Diable si l'on s'en apercoit encore ! Tout y est fait pour la beaute des femmes. Elles y trouvent des soieries etincelantes, des voiles translucides et givres d'or ou d'argent, des eaux de senteur incomparables, des bijoux merveilleux et, pour leur gourmandise, une foule de confiseries dont les plus exquises sont sans doute un etonnant nougat noir et de delicieuses prunes confites dans le sucre que l'on nomme des myrobolans.

— Je pense, coupa Frere Etienne, que vous avez rapporte de tout cela ? Le Roi apprecie fort ces choses, sans parler des dames de la Cour.

Le soupir de Jacques C?ur fit echo a celui que poussait maitre Amable en entendant le pelletier evoquer tant de delices culinaires.

— Je n'ai rien rapporte du tout, malheureusement. Ma cargaison de pelleterie, de draps de Berry et de corail de Marseille s'etait bien vendue et j'avais pu acheter beaucoup de choses belles et precieuses.

Malheureusement, la Notre-Dame et Saint-Paulen etait a son dernier voyage, ce qui veut dire qu'elle n'etait plus tres jeune. En vue des cotes de Corse nous avons essuye une violente tempete qui nous a precipites sur un rocher ou la galee s'est fendue. Nous avons ete jetes a la mer. La cote etait proche. Malgre l'ouragan nous avons pu atteindre la terre... et un nouveau malheur. Les gens de Corse sont quasi sauvages et tout leur est bon. Si la mer ne leur apporte pas les epaves qu'ils souhaitent, ils allument des feux sur le rivage pour attirer les navires sur les brisants. C'est assez dire que nous n'avons pas trouve, aupres d'eux, de comprehension pour nos cargaisons. Ces pillards ont bien su recuperer tous nos bagages, mais ont refuse energiquement de nous les rendre. Insister eut ete dangereux : ils nous auraient tues sans pitie. Nous les avons donc laisses faire moyennant quoi ils se sont montres aimables et meme hospitaliers. On nous a reconduits fort poliment au port d'Ajaccio, ou nous avons trouve un navire qui a bien voulu, sur promesse de payer a l'arrivee, nous ramener a Marseille. Je suis rentre a Bourges completement ruine et pauvre comme Job, conclut Jacques C?ur en riant.

Completement ruine ? s'etonna Catherine qui avait suivi avec une attention passionnee le recit de son ami. Mais vous semblez prendre cela avec bonne humeur ?

— A quoi servirait de se lamenter ? Deja, une fois, j'ai ete ruine au moment de cette desagreable affaire de fabrique de monnaies que j'avais entreprise pour le Roi avec Ravand le Danois. J'ai recommence alors comme je recommence aujourd'hui. Je viens de Limoges, ou j'ai traite pour des emaux et je pense trouver, ici meme, une ou deux de ces tapisseries dont on dit que les Sarrasins, jadis, ont apporte le secret dans cette ville. J'ai pu me faire preter quelque, argent par mon beau-pere, trop peu malheureusement, mais qui me permettra tout de meme de reunir une petite cargaison pour un prochain voyage.