Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 40

— Tu as peur de l'orage ?

— Non. J'ai seulement ete surprise. Pourquoi aurais-je peur ?

Un nouveau coup de tonnerre, plus brutal que le premier, lui coupa la parole. Et aussitot la pluie se mit a tomber ; une pluie violente, hargneuse, qui frappait comme un tambour le feutre tendu du chariot.

Fero alla s'etendre sur les couvertures pliees qui lui servaient de lit. Il avait ote son pourpoint et portait seulement ses chausses ecarlates. La lampe a huile accrochee a un des arceaux de fer de la voiture faisait briller sa peau brune et ses longs cheveux noirs rejetes en arriere. Son regard ne quittait pas Catherine demeuree pres de l'entree. Il eut un nouveau sourire, lent, un peu moqueur.

— Je crois, en effet, que tu n'as pas peur de grand- chose... puisque tu es ici. Sais-tu pourquoi je t'ai fait venir ?

— Je pense que tu vas me l'apprendre.

— En effet, je voulais te dire que cinq de mes hommes t'ont deja demandee pour femme. Ils sont prets a se battre pour toi. Il va te falloir choisir celui avec lequel tu prendras le pain et le sel et casseras la cruche des epousailles.

Catherine eut un haut-le-corps et abandonna aussitot le tutoiement de son role.

— Vous perdez la tete, je pense. Oubliez-vous qui je suis et pourquoi je suis ici ? Je veux entrer au chateau, un point c'est tout.

Une flamme cruelle s'alluma dans les yeux du chef tzigane et il haussa les epaules.

— Je n'oublie rien. Tu es une grande dame, je sais. Mais tu as voulu vivre parmi nous et, bon gre, mal gre, il te faut subir nos coutumes. Quand plusieurs hommes demandent une femme libre, elle doit choisir parmi eux, a moins qu'elle n'accepte le combat qu'ils se livreront et n'appartienne au vainqueur. Tous mes hommes sont braves et tu es belle : le combat sera chaud.

Une flamme de colere monta au visage de Catherine.

Ce garcon insolent, etendu a demi nu devant elle, disposait de sa personne avec un cynisme revoltant.

— Vous ne pouvez me contraindre a ce choix. Messire l'Hermite...

— Ton compagnon ? Il n'oserait s'immiscer dans les coutumes de mon peuple. Si tu veux rester ici, tu dois vivre comme une vraie tzingara ou, du moins, faire semblant. Nul ne comprendrait, parmi les miens, qu'une de mes sujettes repousse la loi.

— Mais je ne veux pas, gemit Catherine d'une voix qui se brisait tandis qu'un sanglot montait dans sa gorge. Ne pouvez-vous m'eviter cela ? Je vous donnerai de l'or... ce que vous voudrez. Je ne veux pas appartenir a l'un de ces hommes, je ne veux pas qu'ils se battent pour moi, je ne veux pas !

Elle avait noue ses mains en une inconsciente supplication et ses grands yeux noyes de larmes imploraient. Quelque chose s'adoucit dans le masque farouche du chef.

— Viens ici, dit-il doucement.

Elle ne bougea pas, continuant a le regarder sans comprendre.

Alors, il repeta, plus durement :

— Viens ici !

Et, comme elle demeurait figee, il se redressa, tendit un bras. Sa main empoigna Catherine par le bras et, d'une secousse, il la fit tomber a genoux aupres de lui. Elle poussa un cri de douleur, mais il se mit a rire :

— Pour quelqu'un qui n'a jamais peur, tu fais une etrange mine, mais je ne te ferai pas de mal. Ecoute-moi seulement, belle dame, noble dame... je suis noble, moi aussi. Je suis duc d'Egypte et je porte en moi le sang du maitre du monde, du conquerant qui asservit les rois eux-memes.

Sa main remontait lentement le long du bras nu de Catherine, cherchait la rondeur de l'epaule qu'elle emprisonnait. La jeune femme le voyait de tout pres, maintenant, et s'etonnait de la finesse de cette peau brune, de l'eclat de ces yeux etincelants qui la fascinaient. Cette main, sur sa peau, etait chaude, comme devenait chaud, tout a coup, son sang a elle... Un brouillard passa devant les yeux de Catherine tandis que des vagues brulantes parcouraient son corps. Cette main qui caressait son epaule, elle avait soudain envie qu'elle osat davantage...

Epouvantee de ce desir d'amour qui montait en elle, imperieux, et combien primitif, elle eut un sursaut, tenta d'echapper a la main qui la tenait, mais en vain.

— Que voulez-vous ? murmura-t-elle le souffle ecourte.

La main glissait de nouveau sur son bras, le serrait pour l'attirer plus pres encore de Fero. L'haleine chaude du chef brula les levres de Catherine.

— Il y a pour toi un moyen d'echapper a mes hommes, un seul : on ne convoite pas le bien du chef...

Elle essaya de rire avec mepris, constata rageusement que son rire sonnait faux.

— Voila donc ou vous vouliez en venir ?

— Pourquoi pas ? Mais la demande de mes hommes est reelle.

J'ajoute que, si tu tiens au combat, je me battrai moi aussi pour t'avoir.

La poigne du Tzigane la maintenait a terre, presque contre sa poitrine. Il se pencha encore davantage et sa bouche frola le visage tendu.

— Regarde-moi bien, belle dame. Dis-moi ce qui me differencie de ces grands seigneurs auxquels tu es reservee. Le Grand Chambellan a qui tu vas peut-etre t'offrir est gras et repoussant. Il est vieux deja et l'amour est pour lui un jeu difficile. Moi, je suis jeune, mon corps est vigoureux. Je peux t'aimer durant des nuits et des nuits sans me lasser. Pourquoi donc ne me choisirais-tu pas ?

Sa voix rauque avait un pouvoir envoutant et, dans le corps tremblant de Catherine, le sang, incendie, bouillait. Avec horreur, elle decouvrait qu'elle n'avait pas envie de resister, qu'elle desirait encore l'entendre, qu'elle avait faim d'amour... L'impulsion qui etait si pres de la jeter vers cet homme etait si violente et si animale en meme temps que Catherine sentit l'epouvante glisser dans son sang. En un eclair, elle comprit ce que Tereina lui avait fait boire. Un philtre d'amour !

Quelque infernale mixture destinee a la livrer, soumise et consentante, au chef tzigane.

Un sursaut d'orgueil vint a son secours. Sauvagement, elle s'arracha des bras qui la serraient deja, se traina a genoux au fond de la voiture et, s'agrippant aux montants, se releva. Contre son dos, elle sentit la rugosite du bois, l'humidite du feutre mouille. Elle tremblait de tous ses membres et devait serrer les dents pour les empecher de claquer.

Du fond de son c?ur desespere, une priere monta vers un ciel, devenu plus que jamais inaccessible, tandis que sa main cherchait machinalement, a sa ceinture, la dague a l'epervier, la dague d'Arnaud qu'elle avait l'habitude de porter. Mais Tchalai la bohemienne n'avait pas de dague et la main sans defense s'agrippa a l'etoffe grossiere du vetement. Toujours accroupi dans l'ombre, pareil a quelque grand felin, Fero l'observait avec des yeux injectes de sang.

— Reponds, gronda-t-il. Pourquoi ne me choisirais-tu pas ?

— Parce que je ne vous aime pas. Parce que vous me faites horreur.

— Menteuse. Tu en as envie autant que moi. Tu ne vois pas tes yeux deja troubles, tu n'entends pas ton souffle haletant.

Catherine eut un cri de rage.

— C'est faux ! Tereina m'a fait boire je ne sais quelle mixture diabolique et vous le savez, et vous comptez la-dessus ! Mais vous ne m'aurez pas parce que je ne le veux pas !

— Crois-tu ?

Une detente souple et il etait debout contre elle, la bloquant entre sa poitrine et les arceaux de bois. Elle tenta de glisser de cote, mais elle pouvait a peine respirer. Et il y avait toujours cette brulure au fond de son corps, primitive et avilissante, mais qui, au contact de cet homme, devenait imperieuse... Catherine serra les dents, appuya ses deux mains sur la poitrine de Fero, tentant vainement de le repousser.

— Laissez-moi, souffla-t-elle... Je vous ordonne de me laisser.

Il se mit a rire doucement, presque contre sa bouche, malgre l'effort que faisait Catherine pour detourner la tete.

— Ton c?ur bat comme un tambour. Mais si tu « ordonnes » que je te laisse, je peux obeir... Je peux aussi appeler ces hommes qui veulent se battre pour toi et, comme je n'ai pas envie de perdre l'un d'eux a cause de tes grands yeux, je vais t'attacher dans ce chariot et je te livrerai a eux. Lorsque chacun t'aura possedee, ils sauront, du moins, s'ils ont encore envie de se battre. Je passerai le dernier... Est-ce que tu « ordonnes » toujours que je te laisse ?