Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 42
— Arnaud, murmura-t-elle, pourrais-tu me pardonner si tu savais...
si tu savais ?
Non, il ne le pourrait pas. Elle en etait sure. Elle connaissait trop sa jalousie ardente, sa passion exclusive pour avoir le moindre doute. Lui qui s'etait laisse torturer pour ne pas lui etre infidele, comment pourrait-il comprendre, admettre, pardonner ?... Des lors, a quoi bon lutter encore ? Meme son petit Michel n'avait pas tellement besoin d'elle. Il avait l'amour de sa grand- mere et saurait bien, une fois devenu un homme, faire resurgir Montsalvy. Et pour Catherine, ce serait si bon de s'abandonner enfin a ce grand fleuve imperieux, de se fondre en lui pour toujours. Si bon... et si facile. Il suffisait de laisser glisser ses pieds qui... Oh oui, c'etait facile... c'etait...
Deja les jambes de Catherine flechissaient. Le courant allait emporter rapidement sa forme legere jusqu'au seuil mysterieux et noir derriere lequel il n'y a plus que l'oubli et la mort. Mais, sur la rive, une voix chargee d'angoisse appelait:
— Catherine? Catherine? Ou es-tu... Catherine?
C'etait, la voix de Sara, etouffee de terreur. Elle surgissait du brouillard, appel dechirant de cette vie que Catherine voulait abandonner, chargee de tant de souvenirs qu'instinctivement la jeune femme s'agrippa des orteils au.fond. L'espace d'un instant, elle eut la rapide vision de sa vieille Sara, agenouillee sur le sable mouille, enveloppant d'un linceul le corps que le fleuve venait de lui rendre.
Elle crut l'entendre pleurer... et, brusquement, l'instinct de conservation la reprit. Elle retrouva, pour lutter contre le courant qui l'emportait, cette energie qu'elle croyait perdue et, moitie nageant, moitie marchant, elle revint vers la berge. Peu a peu, a mesure qu'elle avancait vers la vie, elle distingua la silhouette de Sara qui se tenait au bord de l'eau, appelant toujours.
Pale d'inquietude, etroitement enveloppee dans sa couverture grise, la bohemienne serrait contre elle les vetements de Catherine et de lourdes larmes roulaient sur ses joues. Quand la forme ruisselante de la jeune femme se degagea de la brume, elle poussa un cri rauque et, la voyant chanceler, s'elanca vers elle pour la soutenir, mais Catherine, d'un ecart, evita ses mains.
— Ne me touche pas, dit-elle avec lassitude... Tu ne sais pas a quel point j'ai horreur de moi-meme. Je suis sale... je me degoute !
Le large visage de Sara se chargea de compassion. Malgre les efforts de Catherine, ses bras se refermerent sur les epaules frissonnantes et, apres l'avoir essuyee vigoureusement avec sa propre couverture, elle la fit rhabiller et l'entraina vers le campement.
— Et tu voulais mourir pour cela, pauvrette ? Parce qu'un homme a possede, cette nuit, ton corps ? Te voila toute bouleversee a cause d'une nuit passee avec Fero ? Dois-je te rappeler que ceci n'est qu'un debut... que tu ignores ce que tu trouveras au chateau ? Enfin, que pour venir a bout de cette folle aventure, tu etais prete a tout ?
— Mais j'etais consentante, cette nuit... j'avais bu je ne sais quelle maudite potion que m'avait donnee Tereina, cria Catherine butee. Et j'ai eu du plaisir dans les bras de Fero. Tu entends ? Du plaisir ! hurla-t-elle.
— Et apres ? coupa Sara froidement. Ce n'est pas de ta faute. Tu ne l'as pas voulu. Ce qui t'est arrive cette nuit n'a pas plus d'importance qu'une crise de folie passagere... ou meme qu'un simple rhume.
Mais Catherine ne voulait pas etre consolee. Elle se jeta sur la dure couche qu'elle partageait avec Sara et sanglota jusqu'a epuisement.
Cela lui fut salutaire. Les larmes entrainerent les dernieres fumees que la drogue avait laissees dans son esprit en meme temps que l'ec?urante honte qui l'avait terrassee. A bout de fatigue, elle finit par s'endormir d'un sommeil paisible qui dura jusqu'au milieu du jour.
Elle en emergea l'esprit et le corps reposes. Helas, ce fut pour apprendre de la vieille Orka que, le soir meme, elle serait unie a Fero selon les rites bizarres des Tziganes.
Heureusement pour Catherine, la vieille Orka disparut aussitot apres avoir annonce ce qu'elle appelait « la grande nouvelle » car la jeune femme s'abandonna a une veritable fureur. Que Fero, non content d'en avoir fait sa maitresse, pretendit l'epouser, cela, elle s'y refusait avec violence et se repandit en injures si vigoureuses a l'adresse du chef que Sara dut la faire taire de force. Ses cris devenaient dangereux. Elle la maitrisa et lui ferma la bouche de sa main.
— Ne sois pas stupide, Catherine. Que Fero veuille t'epouser n'a aucune importance pour toi. S'il ne te lie pas a lui, les autres auront le droit d'exiger que tu soies attribuee a l'un d'eux. Si tu refuses, il nous faut fuir, et fuir sur l'heure. Mais ou ? Comment ?
A demi etouffee par la main rude de Sara, Catherine, cependant, se calmait peu a peu. Elle se degagea et demanda :
— Pourquoi dis-tu que cela n'a pas d'importance pour moi ?
Parce qu'il ne s'agit pas d'un vrai mariage, du moins comme tu l'entends. Les errants ne melent pas Dieu a une chose aussi simple que l'accouplement de deux etres. De plus, ce n'est pas Catherine de Montsalvy que Fero prendra pour femme, c'est une apparence, un fantome gui disparaitra un jour, une fille d'Egypte nommee Tchalai.
Catherine secoua la tete et regarda Sara avec angoisse. Qu'elle restat si insensible lui semblait monstrueux. Elle paraissait trouver cela presque naturel. Chez Catherine, ce mariage soulevait l'horreur.
— C'est plus fort que moi, dit-elle. J'ai l'impression de commettre un abus de confiance... de tromper Arnaud encore une fois.
— En aucune maniere... puisque tu n'es plus toi. D'autre part, ce mariage va t'assurer une position stable dans la tribu, plus personne ne se mefiera de toi.
Malgre ces exhortations, Catherine avait tout de meme une impression de sacrilege en allant, ce soir-la, rejoindre Fero devant le grand feu ou toute la tribu s'etait reunie dans la joie. L'orage de la veille avait nettoye le temps, laissant un grand ciel bleu sombre, doux comme un velours. Les hommes etaient revenus de la peche avec des nasses pleines et tout le camp sentait le poisson que l'on grillait un peu partout. Les tambourins et les rebecs ronflaient aux mains des hommes. Les enfants dansaient de joie autour des chaudrons de cuisine et meme les bebes piaillaient dans leurs paniers.
Tous ces preparatifs, toute cette joie qui se levait sur ses pas augmentaient encore la repugnance de Catherine. De tout son etre elle refusait ce simulacre auquel on la trainait d'autant plus qu'elle craignait legitimement que le mariage fut suivi d'une vie commune, de nuits qui pouvaient etre nombreuses. Elle se voyait mal dans le chariot de Fero, le servant comme faisaient les autres femmes, lui appartenant corps et ame... meme si Dieu ne s'en melait pas. Elle avait une folle envie de fuir une bonne fois cette situation impossible, et d'autant plus qu'elle se mefiait maintenant de Fero. Il savait sa jqualite et elle l'avait cru son allie. Or, il semblait vouloir abuser de la situation. Qui pouvait dire s'il la laisserait partir lorsqu'on lui demanderait d'aller danser au chateau ?
Paradoxalement, si l'on considere ses craintes, ce fut le sentiment de sa mission qui retint Catherine. Pour le moment, elle n'etait pas en danger de mort et elle devait tenter l'aventure jusqu'au bout. Mais cela ne l'empechait nullement de chercher desesperement un moyen d'echapper a ce revoltant mariage. Les femmes avaient habille Catherine des oripeaux les plus voyants que l'on avait pu trouver dans la tribu. Une piece de soie verte, un peu dechiree mais frangee d'argent, s'enroulait plusieurs fois autour de son corps que, pour cette circonstance, on avait debarrasse de la rude chemise. A ses oreilles on avait fixe des anneaux d'argent tandis que des colliers faits de lourdes plaques ciselees, de meme metal, et d'autres composes de menues piecettes enfilees pesaient sur ses epaules dont l'une demeurait nue.