Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 48

Le sol et les murs se mirent a tourner autour de Catherine qui se crut en train de devenir folle. Dans le coin d'ombre ou elle s'etait reculee en voyant entrer La Tremoille, elle chercha a tatons un tabouret, s'y laissa tomber

sans

prendre

garde

aux

quelques

phrases

qu'echangeaient les deux hommes. Elle cherchait desesperement a comprendre comment le fabuleux diamant etait arrive entre les mains du Chambellan. Elle se voyait encore remettant la pierre unique a Jacques C?ur dans l'auberge d'Aubusson. Que lui avait-il dit alors ?

Qu'il allait gager le diamant chez un Juif de Beaucaire dont elle avait meme retenu le nom : Isaac Abrabanel ! Comment, dans ce cas, le diamant pouvait-il briller au turban de La Tremoille ? Jacques avait-il ete rattrape sur la route d'Aubusson a Clermont ? Etait-il tombe dans un piege ? Et s'il etait... Elle n'osa pas formuler, meme dans sa pensee, le mot fatal, mais une brusque envie de pleurer lui serra le c?ur. Oui, pour que le gros chambellan put se parer du joyau, il fallait que Jacques C?ur eut cesse de vivre. Jamais, de son plein gre, il n'eut abandonne le depot confie par Catherine... Surtout pas a cet homme qu'il haissait autant qu'elle-meme. Elle ferma les yeux un instant et ne vit pas que La Tremoille, apres l'avoir consideree un moment avec curiosite, s'approchait d'elle. Aussi sursauta-t-elle quand un gros doigt mou, charge de bagues, lui releva le menton.

— Tudieu, la belle fille ! Ou as-tu trouve cette merveille, cousin ?

— Au camp des Egyptiens ! repondit Gilles de mauvaise grace.

Elle se battait avec une autre chevre noire. Je les ai separees et j'ai garde celle-ci parce qu'elle etait belle.

La Tremoille daigna sourire, montrant des dents malsaines dont la couleur oscillait entre le vert et le noir. Sa main s'etait posee sur la tete de Catherine dans un geste qui se voulait possessif et qui la fit trembler de degout.

— Tu as bien fait, cousin, apres tout. Tu as eu bon esprit de garder cette biche sauvage. Leve-toi, petite, que je te voies mieux.

Catherine obeit, inquiete de ce qui allait suivre. Si Gilles de Rais denoncait sa veritable identite, elle etait perdue. La Tremoille et lui etaient non seulement cousins mais allies, unis par un veritable pacte, dument signe ; Gilles lui-meme lui avait parle de ce pacte a Champtoce. Neanmoins, elle fit quelques pas dans la piece suivie par le regard gourmand du gros chambellan qui commentait, exactement comme si elle eut ete un simple objet d'art.

— Tres belle en verite. Un veritable joyau, digne du lit d'un prince.

La gorge est ronde et fiere, les epaules superbes... la jambe semble longue... et le visage est exquis ! Ces grands yeux sombres... ces belles levres.

Le souffle asthmatique de La Tremoille se faisait plus court encore et il passait continuellement sa langue sur sa bouche seche. Sentant qu'il lui fallait jouer le tout pour le tout et qu'une attitude trop modeste ne pouvait convenir a une fille d'Egypte, Catherine s'obligea, au prix d'un violent effort, a sourire avec coquetterie a son ennemi. Sa demarche se fit onduleuse et elle lui adressa meme une ?illade qui amena au violet le teint du chambellan.

— Exquise, souffla-t-il. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais remarquee ?

— C'est une refugiee, grogna Gilles de Rais. Il y a seulement quelques jours qu'elle est arrivee chez Fero, avec sa tante. Ce sont des esclaves echappees.

Malgre elle, Catherine poussa un soupir de soulagement. Allons, Gilles ne semblait pas dispose a reveler sa veritable identite. Elle se sentait, tout a coup, beaucoup plus a l'aise dans son personnage.

Cependant La Tremoille imposait silence a son cousin.

— Laisse-la donc repondre elle-meme que j'entende au moins sa voix. Comment t'appelles-tu, petite ?

— Tchalai, seigneur ! Cela veut dire « etoile » dans notre langage.

— Et cela te convient a merveille. Viens avec moi, belle etoile, j'ai hate de te connaitre mieux. - Deja, il saisissait la main de Catherine et, se tournant vers Rais : Merci du cadeau, cousin. Tu sais toujours comment me faire plaisir.

Mais Gilles de Rais se placa entre le couple et la porte. Le pli de sa bouche n'annoncait rien de bon et ses yeux sombres brillaient d'un feu dangereux.

— Un instant, cousin. C'est, en effet, pour toi que j'ai enleve cette fille, mais je n'ai pas l'intention de te la laisser des ce soir.

Malgre elle, Catherine regarda Gilles avec etonne- ment. Elle l'avait cru totalement infeode a son deplaisant cousin. Et voila qu'elle decouvrait qu'ils n'etaient pas aussi unis qu'elle le pensait. Loin de la.

L'orgueil insense de Gilles en faisait, a vrai dire, un pietre vassal. On l'imaginait mal se pliant devant qui que ce soit, mais, a cette minute, oui... c'etait la flamme du meurtre qui luisait dans son regard.

Comment allait se terminer le duel du tigre et du chacal ? Les petits yeux de La Tremoille se retrecirent sous leurs plis de graisse tandis qu'une lippe mechante deformait ses levres fortes. Mais il ne lacha pas Catherine. La jeune femme constata seulement que la grosse main devenait moite sur son poignet. La Tremoille devait avoir peur de son dangereux cousin. Mais sa voix, curieusement, ne marqua aucune colere quand il demanda :

— Et pourquoi pas ce soir ?

— Parce que ce soir elle est a moi. C'est moi qui l'ai trouvee, moi qui l'ai sauvee des griffes de l'autre Egyptienne qui allait la tuer, moi encore qui l'ai ramenee ici, decrassee. Je te la donnerai demain, mais, cette nuit, c'est bien le moins que je la garde.

— Ici chacun m'obeit, dit La Tremoille avec une inquietante douceur. Il me suffirait d'un geste pour que vingt hommes...

— Mais, ce geste, tu ne le feras pas, beau cousin, parce que tu n'aurais pas cette fille. Je la tuerais plutot avant. Et puis, je sais trop de choses pour que tu t'attaques a moi. Que dirait, par exemple, ton epouse, ma belle cousine Catherine, si elle apprenait que ce beau collier d'or et d'emaux qu'elle desirait, tu en as fait present a la trop jolie femme d'un echevin de cette ville contre une nuit d'amour ?

Cette fois, La Tremoille lacha Catherine et la jeune femme, dont les yeux brillants suivaient avec passion cette joute dont elle etait l'enjeu, en conclut que le tout- puissant La Tremoille, le fleau du royaume, craignait sa femme comme le feu. C'etait bon a savoir. Et, pour ce soir, Rais avait gagne. Elle ne savait trop, d'ailleurs, si elle devait s'en rejouir. Le gros chambellan se dirigeait vers la porte non sans jeter sur la jeune femme un regard de regret.

— C'est bon, marmotta-t-il en haussant les epaules. Garde-la ce soir, mais demain je l'enverrai chercher. Et prends bien garde de ne pas l'abimer, cousin, car, alors, je pourrais bien oublier cette... tendre affection que je te porte.

Un dernier regard, une grimace qui pouvait passer pour un sourire a l'adresse de Catherine et il avait disparu. Les soldats, impassibles, refermerent la porte derriere eux en sortant. Catherine et Gilles de Rais furent seuls de nouveau.

Catherine sentit sa gorge se serrer. Sa situation etait effroyable et elle decouvrait que, dans son desir d'attirer La Tremoille hors de ce chateau ou il etait trop bien garde, elle s'etait jetee entre le marteau et l'enclume. Elle avait espere etre appelee pour danser, pour distraire le gros chambellan et, a la faveur de cette approche, le decider a un sejour a Chinon grace a un appat dont elle avait eu l'idee. Mais la, prise entre l'effrayant Gilles de Rais et le gros chambellan, elle ne donnait plus cher de sa vie. Gilles voulait s'amuser d'elle, apres quoi il la jetterait sans plus de facon au lit meme de La Tremoille. Que deviendrait-elle quand elle aurait cesse de plaire ? Aurait-elle meme le temps d'executer son plan ? Gilles n'etait pas homme a rendre sa prisonniere a la liberte. Vivement, le seigneur a la barbe bleue avait couru a la porte et en avait tire les massifs verrous. Puis il alla a la fenetre et, se penchant un peu, respira profondement deux ou trois fois, sans doute pour calmer sa colere. Des sons etouffes de luths et de violes montaient de la nuit, legers et melancoliques.