Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта. Страница 49
— Il y a concert dans la chambre du Roi ! Murmurai t-il d'une voix qui ne conservait plus trace de colere et que Catherine jugea toute changee. Comme cette musique est belle ! Il n'est rien de plus divin que la musique... surtout quand elle passe par des voix d'enfants. Mais le Roi n'aime pas les voix d'enfants...
Il parlait pour lui-meme, ayant peut-etre oublie Catherine, mais celle-ci sentit glisser sur elle un frisson d'horreur au souvenir des abominables nuits de Champtoce, de la confidence terrifiee du vieux Jean de Craon '. Elle noua ses mains ensemble et les serra de toutes ses forces. Il ne fallait pas qu'elle laissat voir a son geolier la peur qu'il lui inspirait. Si elle
1 . Cf. Belle Catherine, du meme auteur, ed. Pocket.
voulait gagner la dangereuse partie engagee, il lui fallait conserver tout son sang-froid et chasser vigoureusement les images d'epouvante.
Elle fit un pas vers la silhouette noire toujours appuyee a la fenetre.
— Pourquoi n'avez-vous pas revele a votre cousin ma veritable identite ? demanda-t-elle doucement.
Il repondit sans la regarder :
— Parce que je n'ai aucun besoin que dame Catherine de Brazey aille pourrir au fond d'une geole ! En revanche, l'Egyptienne nommee Tchalai a beaucoup de valeur a mes yeux.
Catherine decida de remettre les choses au point, rien que pour voir comment reagirait Gilles.
— Je ne m'appelle plus Catherine de Brazey, dit- elle. Devant Dieu et les hommes, je suis l'epouse d'Arnaud de Montsalvy !
Gilles de Rais bondit a ce nom comme si une guepe l'avait pique. Il se tourna vers Catherine et la considera avec stupeur.
— Comment avez-vous fait ? Montsalvy est mort dans les cachots de Sully-sur-Loire voici pres de deux ans. La Tremoille est un bon geolier, les cachots de son chateau de Sully ne rendent jamais leurs prisonniers.
— Eh bien ! Il faut croire que vous etes mal renseigne car j'ai epouse Arnaud de Montsalvy a Bourges, en l'eglise Saint-Pierre-le-Guillard, dans la nuit du 24 au 25 decembre 1431. C'est frere Jean Pasquerel qui nous a unis. Vous vous souvenez de Frere Jean, messire de Rais ? Il etait le chapelain de...
D'un geste epouvante, Gilles lui imposa silence.
— Ne prononcez pas ce nom ! haleta-t-il en se signant precipitamment. Pas devant moi ! Jamais devant moi ! Dieu... si elle vous entendait !
— Elle est morte, fit Catherine, dedaigneuse devant cette peur abjecte qu'il montrait tout a coup. Qu'avez- vous a en craindre ?
Elle est morte, mais son ame vit et l'ame des sorciers est redoutable. II suffit pour les evoquer de pro noncer leur nom. Je ne veux plus jamais entendre ce nom-la !
— Comme vous voudrez, fit Catherine en haussant les epaules.
Mais il n'en demeure pas moins que je suis dame de Montsalvy et que j'ai meme un fils.
Du moment que Catherine renoncait a evoquer Jehanne d'Arc, Gilles consentait a se calmer. Son visage, devenu bleme, retrouvait un peu de couleur.
— D'ou vient que vous soyez seule ici, dans ce cas V Ou est Montsalvy ?
Le visage de Catherine se fit de pierre. Elle baissa les paupieres pour qu'il ne vit pas la douleur qu'elle eprouvait chaque fois qu'il lui fallait prononcer les mots cruels.
— Mon epoux est mort, lui aussi. Voila pourquoi je suis seule.
Il y eut un silence qui devint vite insoutenable. Pour le dissiper Catherine demanda, presque sur un ton de conversation mondaine, afin d'alleger un peu l'atmosphere trop tendue :
— Puis-je savoir comment va messire Jean de Craon, votre grand-pere, et Dame Anne son epouse qui fut bonne pour moi lorsque j'etais chez vous ?
Elle regretta aussitot ses paroles. Une effroyable colere tordit le masque demoniaque de Gilles. Il la regarda avec des yeux de fou.
— Mon grand-pere est mort a l'automne passe, le 15 novembre...
en me maudissant. C'est a mon frere, vous entendez, a ce pale avorton Rene, qu'il a legue son epee. Et vous osez me demander de ses nouvelles ? J'espere qu'a l'heure actuelle son ame damnee flambe en Enfer ! J'espere que...
— Finissons-en, monseigneur, fit-elle durement. Oubliez les votres et les griefs que vous croyez avoir contre eux et dites-moi plutot pourquoi vous avez tant besoin de l'Egyptienne nommee Tchalai ?
Parce que je veux l'objet meme que vous etes venue chercher dans ce chateau : je veux le diamant noir ! Une fille de Boheme, cela sait tricher, cela sait voler, cela sait envouter !
— Je ne suis pas une vraie fille de Boheme...
Brusquement, Gilles abandonna tout a fait le ton de courtoisie qu'il s'etait efforce de garder jusque-la. Une flamme cupide embrasait son regard. Il marcha vers Catherine, la saisit aux epaules, si violemment qu'elle gemit.
— Non, mais tu en sais aussi long que ces chevres noires. Tu n'es pas une fille de Boheme, mais tu es une fille du Diable ! Toi aussi, tu es sorciere ! Tu envoutes les hommes ; seigneurs ou vilains, ils viennent manger dans ta main comme des oiseaux craintifs. Tu echappes aux pires dangers et toujours tu reparais, plus forte, plus belle ! Tu es mieux qu'une Egyptienne ! N'as-tu pas ete elevee par ce demon femelle que je voulais bruler ?
Sara ! Catherine se fit aussitot de violents reproches. Comment avait-elle pu, durant tout ce temps, oublier Sara... Et cet homme, tout a l'heure, avait dit qu'elle etait arrivee chez les Tziganes avec sa tante.
— J'ai perdu ma vieille Sara. Je ne sais meme pas ou elle est.
Depuis ce matin, elle a disparu.
— Moi, je le sais. L'un de mes hommes l'a reconnue tantot quand elle courait la ville a la recherche de ce Tristan l'Hermite. Elle est desormais sous bonne garde... mais, rassure-toi, elle ne craint rien. Du moins pour le moment. Son sort dependra de ton obeissance.
— Je vous serais reconnaissante de ne pas me tutoyer, fit Catherine severement. Et de me dire, en outre, ce qu'il est advenu de maitre Tristan.
— Cela, je l'ignore, fit Gilles qui, sans tenir aucun compte de la defense, poursuivit : Lorsque j'ai envoye des hommes pour arreter ton complice, a l'auberge du « Pressoir Royal », il a reussi, je ne sais par quel sortilege, a leur echapper en sautant par une fenetre. Depuis, personne ne l'a revu.
Catherine fit un effort pour echapper aux mains nerveuses qui meurtrissaient ses epaules, mais ce fut en vain. Il la tenait bien et rapprocha de son visage celui de la jeune femme presque a le toucher.
L'odeur de vin dont son haleine etait chargee lui fit faire la grimace.
— Lachez-moi, messire ! dit-elle les dents serrees et tachons de nous expliquer clairement car nous nageons en plein malentendu. Je ne suis pas, quoi que vous en pensiez, venue ici pour le diamant noir.
En fait, j'ignorais meme qu'il fut entre les mains de votre cousin.
Impressionne par la nettete du ton, Gilles de Rais lacha la jeune femme qui, calmement, alla s'asseoir dans la grande chaire d'ebene qu'il occupait tout a l'heure. Il la regarda avec une sorte de stupeur, comme s'il ne comprenait pas bien ce qu'elle venait de lui dire, et garda le silence un moment.
Puis il hocha la tete et demanda avec une sorte d'incredulite :
— Ce n'est pas le diamant que vous cherchez ? murmura-t-il. Que cherchez-vous alors ?
— Reflechissez, monseigneur. Je suis veuve et j'ai un fils. D'autre part, nous, les Montsalvy, sommes proscrits, ruines, en danger de mort si l'on nous met la main dessus. Et de qui depend notre sort ? De votre cousin La Tremoille. Voila pourquoi j'ai voulu entrer ici : pour l'approcher, le seduire si je le peux et parvenir enfin a lui arracher ma grace, celle des miens, ainsi que les terres qui rendront un apanage a mon fils. Est-ce que cela ne vous semble pas une raison suffisante ?
— Pourquoi, alors, ce deguisement ?
Catherine haussa les epaules..
— Aurais-je seulement franchi la premiere barba- cane du chateau sans etre arretee si je m'etais presentee sous mon aspect normal ? - Et comme Gilles secouait la tete sans repondre, elle continua : Le hasard a voulu que j'apprenne le gout de votre cousin pour les chants et les danses des Egyptiennes. Avec l'aide de Sara, il m'etait facile de me glisser parmi elles. Vous savez la suite... Maintenant, je voudrais savoir, a mon tour, ce que vous entendez faire de moi.