Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 12
— Oui, avoua-t-il franchement. J'en suis heureux ! Aupres de vous, aucun homme ne peut songer serieusement au salut de son ame. Vous etes une femme dangereuse. Il est bon que vous nous quittiez.
Catherine ne put retenir un rire amer.
— Grand merci du compliment. Continuez donc votre pieux chemin, messire Bohat, mais sachez que les dangers ecartes un moment peuvent renaitre, si l'on ne trouve pas en soi-meme la force de les ecarter. Quelque chose me dit que nous nous reverrons... Ne serait-ce qu'a Compostelle !
Cette fois, Gerbert ne repondit rien. Mais il se signa si precipitamment, avec une si reelle frayeur, que Catherine, malgre sa colere, faillit lui eclater de rire au nez. Cependant, Ermengarde, impatientee, etait venue prendre la bride de Catherine et l'entrainait irresistiblement sur le chemin.
Cela suffit, ma chere. Venez donc !
Catherine suivit docilement son amie et, rendant la main a sa monture, la mit au petit trot pour parcourir le court plateau qui s'etendait devant elle avant de plonger de nouveau dans la vallee du Lot. La pluie s'etait remise a tomber, mais doucement, lentement, comme a regret, trop discrete pour etre vraiment penible. Malgre elle, Catherine regarda avec une sorte d'ivresse l'espace libre ouvert devant elle. Une envie lui prenait de talonner sa monture, de la lancer au galop pour retrouver la griserie familiere de la course dans le vent...
Mais le poids et la jambe encore malade d'Ermengarde ne permettaient guere cette grande allure. Il faudrait encore, un assez long moment, se contenter d'aller paisiblement.
Derriere les cavaliers, un chant s'eleva, dont l'echo leur arrivait porte par le vent qui soufflait du sud :
« Maria, etoile de la mer Plus claire que le soleil n 'est clair Dans cette tenebreuse voie Conduis-nous : Ave Maria... »
Catherine serra les dents, pressa instinctivement des genoux les flancs de son cheval. Elle avait l'impression absurde que ce chant, a sa maniere, la rejetait encore davantage hors de la pieuse cohorte. Etait-ce pour se proteger du malefice dont ils la croyaient porteuse que les pelerins invoquaient Notre-Dame avec tant d'ardeur ?
Peu a peu, avec la distance, le chant s'eloigna, s'affaiblit et finalement s'eteignit completement. Ermengarde avait pousse son cheval pour rejoindre Catherine qui avait pris de l'avance. Les deux femmes chevaucherent un moment en silence. Mais, soudain, Catherine, qui remachait son humiliation sans rien dire, s'apercut qu'un large sourire s'etendait sur le visage imposant de sa compagne.
Elle sentit qu'Ermengarde savourait la les joies du triomphe et s'ecria, furieuse :
— Vous etes contente, je pense ? Me voila rendue la ou vous vouliez que j'en sois !... Pour un peu, je croirais que c'est vous qui avez glisse ces pierres dans mon aumoniere.
La douairiere ne s'offusqua pas du ton acerbe de la jeune femme.
Elle se contenta de declarer :
— Croyez bien que je regrette de manquer a ce point d'imagination et de savoir-faire. Sinon, j'aurais, en effet, fort bien pu employer ce moyen-la. Voyons, Catherine, quittez donc cette mine furieuse. Vous gagnerez l'Espagne plus vite et sans que Dieu puisse vous en vouloir puisque vous n'y etes pour rien. Quant aux dangers qui nous attendent, je crois que nous serons tout a fait capables d'en venir a bout. Et, tenez... regardez comme le ciel s'est eclairci devant nous. Les nuages ont l'air de s'ecarter de notre route... Est-ce que cela ne vous parait pas de bon augure ?
Malgre sa mauvaise humeur, Catherine ne put retenir un sourire amuse.
— Je devrais me souvenir, dit-elle, que vous avez toujours eu l'art, ma chere Ermengarde, de mettre le ciel de votre cote... ou tout au moins de vous arranger pour que tout le monde le croie. N'empeche que je voudrais bien savoir comment ces maudits rubis sont venus sur moi et qui avait bien pu les voler !
La reponse a cette question devait arriver le soir meme. Epuises et hors d'haleine d'avoir couru trop vite, Catherine et ses compagnons avaient atteint l'etape de Figeac ou ils avaient pris logis dans la plus grande auberge de la ville, situee en face du bailliage et de l'antique «
ostal de la Moneda », l'hotel des monnaies royales. Fatiguees par l'aventure du matin plus encore que par l'etape, a vrai dire assez courte de la journee, Catherine et Ermengarde, laissant les quatre autres femmes se rendre a l'eglise pour le salut, prenaient le frais dans la cour de l'auberge, sous les branches d'un gros platane a travers lesquelles filtrait la gloire rouge d'un coucher de soleil parfaitement inattendu. Non moins inattendu etait l'homme qui s'approcha d'elle et, incontinent, se laissa tomber aux genoux de Catherine en implorant son pardon :
— C'est moi qui ai vole les rubis, declara Josse Rallard d'une voix nette mais point trop forte a cause des servantes qui passaient au fond de la cour, transportant des corbillons charges de linge. Et c'est moi encore qui, en faisant semblant de trebucher, les ai glisses dans votre aumoniere quand nous sommes tombes ensemble. Je suis venu vous demander pardon!
Tandis que Catherine, trop saisie pour parler, se taisait, regardant l'homme visiblement ereinte et couvert de poussiere qui se tenait humblement a ses pieds, Ermengarde fit un effort heroique pour s'arracher du banc ou elle etait assise et pour saisir sa bequille. N'y parvenant pas, elle hurla :
— Et tu viens nous raconter ca tout de go ?... sans meme rougir.
Mais, mon garcon, je vais te remettre tout de suite a la justice du bailli qui aura surement un morceau de corde a ta disposition. Hola ! vous autres...
D'une main posee sur son bras, Catherine la fit taire. Son regard violet s'etait attache aux etranges prunelles verdatres de l'homme, a son visage aux traits bizarrement melanges de brutalite et de finesse.
— Un instant ! Je veux d'abord qu'il reponde a deux questions.
— Questionnez ! fit Josse. Je repondrai.
— D'abord, pourquoi avez-vous fait cela ?
Quoi ? Le vol ? Dame, fit-il avec un haussement d'epaules, il me faut tout vous confesser. Je n'ai pris la grand-route de Galice que pour mettre quelque distance entre moi et le chevalier du guet qui m'attend a" Paris avec une corde fort longue et bien solide. La cour des Miracles est ma demeure, mais je n'osais plus en sortir parce que j'etais un peu trop connu. Alors, j'ai decide de voir du pays... Bien sur, je n'avais guere d'illusion sur mon compte. Je savais bien qu'en chemin il me viendrait des occasions... Et quand j'ai vu cette statue tout en or, toute cousue de pierreries, j'ai pense qu'en en enlevant quelques-unes cela ne se connaitrait pas et que mes vieux jours seraient assures. La tentation, que voulez-vous ?
— C'est possible, mais votre forfait accompli, pourquoi m'en avoir chargee ? s'ecria Catherine. Pourquoi m'avoir laisse accuser ? Vous saviez bien que je risquais la mort.
Josse hocha la tete vigoureusement et ne se troubla pas.
— Non. Vous risquiez beaucoup moins que moi. Je suis un pauvre here, un truand... Vous, vous etes une grande dame. On ne pend pas comme ca une grande dame. Et puis, il y avait votre amie. La noble dame a de la defense... et des hommes d'armes. Je savais qu'elle vous defendrait avec bec et ongles. Tandis que moi, personne n'eut pris ma defense. On m'aurait branche au premier arbre sans autre forme de proces. J'ai eu peur... une peur affreuse qui m'a tordu le ventre. Je croyais qu'on ne s'apercevrait pas tout de suite du vol, qu'on ne soupconnerait pas de pieux pelerins et que, a tout le moins, nous aurions le temps de faire un bon bout de chemin. Quand j'ai vu arriver les moines, j'ai compris que j'etais perdu. Alors...
— Alors, vous m'avez confie votre butin, acheva Catherine tranquillement. Et si, malgre tout, on m'avait fait un mauvais parti ?
— Je jure sur le Dieu auquel je n'ai jamais cesse de croire que je me serais denonce. Et si l'on ne m'avait pas cru, je me serais battu pour vous, jusqu'a la mort !