Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 14

— Jamais nous ne pourrons franchir ces montagnes, murmura-t-elle.

Vous verrez que si, dame Catherine, repondit Josse Rallard. Fidele a l'habitude qu'il avait prise des le depart de Figeac, il chevauchait toujours a la croupe meme de son cheval - : Le chemin se decouvre a mesure que l'on avance.

— Mais, poursuivit-elle tristement, celui dont le pied manque ou qui se perd dans ce pays terrible ne doit pas pouvoir esperer le salut...

Elle songeait, tout a coup, a Gauthier dont ces hautes montagnes avaient englouti la grande forme, cependant indestructible d'apparence. Jusqu'a ce que l'on arrivat en face des Pyrenees, Catherine avait espere le retrouver, mais c'etait parce qu'elle ne connaissait pas les vraies montagnes. Comment arracher leur proie a de tels geants ?

Ignorant ses pensees, Josse lui jeta un regard a la fois curieux et inquiet. Mais, devinant obscurement qu'elle avait besoin de reconfort, il repliqua joyeusement :

— Pourquoi donc ? Ne savez-vous pas que ce pays est le pays des miracles ?

— Que voulez-vous dire ?

Jetant un bref regard a Ermengarde qui. restee un peu en arriere avec ses gens, acquittait le peage du pont, Josse designa les eaux tourbillonnantes du gave :

— Regardez cette riviere, dame Catherine. Il semble que, si l'on osait s'y aventurer, on ne garderait aucune chance d'en sortir vivant.

Pourtant, voici pres de trois siecles, le roi de Navarre fit jeter dans ce torrent, pieds et poings lies, sa jeune s?ur Sancie de Bearn, accusee d'avoir tente de tuer son enfant. Elle ne devait etre reconnue innocente que si elle en sortait vivante...

— Un jugement de Dieu ? s'ecria Catherine en regardant avec effroi l'eau ecumante.

Oui, un jugement de Dieu ! La jeune comtesse etait frele, sans forces et solidement ligotee. On la jeta du haut de ce pont et aucun des assistants n'aurait donne un sol de sa vie. Pourtant, l'eau la reporta, saine et sauve, au rivage. Bien sur, les gens ont crie au miracle, mais je crois, moi, que le miracle peut se reproduire n'importe quand. Il suffit que Dieu le veuille, dame Catherine. Et alors, qu'importent les montagnes, la violence des elements ou meme l'inexorable temps ? Il suffit de croire...

Catherine ne repondit pas, mais le regard charge de gratitude qu'elle adressa a son ecuyer improvise lui prouva qu'il avait touche juste et qu'il venait de lui payer une partie de sa dette de gratitude. Ce fut avec une serenite totale qu'elle regarda les rayons du soleil allumer la blancheur des glaciers.

Elle chevaucha un moment sans parler, les yeux fixes au prodigieux incendie rose qui eclatait la-haut, tout pres du ciel, la pensee absente. Josse avait repris sa place en arriere, mais, soudain, elle l'entendit toussoter, sursauta et tourna vers son ecuyer un regard un peu egare.

— Qu'y a-t-il ?

— Il faudrait peut-etre attendre la dame de Chateauvillain. Elle est toujours sur le pont.

Catherine retint son cheval et se retourna. En effet, Ermengarde, arretee au milieu du pont, semblait entretenir une conversation animee avec le sergent qui en commandait la garde. Catherine haussa les epaules

— Mais que fait-elle donc ? Si cela continue, nous ne serons pas a Ostabat ce soir.

— S'il ne dependait que de dame Ermengarde, remarqua tranquillement Josse, nous n'y serions meme pas demain soir!

Catherine haussa les sourcils et lui jeta un coup d'?il stupefait.

— Je ne comprends pas ! Expliquez-vous.

— Je veux dire que la noble dame fait tout son possible pour ralentir notre voyage. C'est tout simple : elle attend quelqu'un !

— Quelqu'un ? Et qui donc ?

— Je ne sais pas. Peut-etre ce sergent qui nous a quittes si brusquement apres la domerie d'Aubrac. N'avez-vous pas remarque, dame Catherine, que votre amie regarde bien souvent en arriere ?

La jeune femme se contenta de hocher la tete affirmativement. En effet, elle avait plus d'une fois remarque le manege d'Ermengarde.

Non seulement celle-ci n'avait plus aucune hate d'arriver en Galice, mais encore elle jetait, de temps a autre, derriere elle, des regards anxieux. Une bouffee de colere enflamma les joues de Catherine. Elle ne se laisserait pas man?uvrer plus longtemps, si bonnes que puissent etre les raisons d'Ermengarde. Sur le pont, la comtesse bavardait toujours. Catherine enleva son cheval.

— En avant, Josse ! Elle saura bien nous rattraper ! J'ai decide, moi, d'etre a Ostabat ce soir meme. Et tant pis si nous distancons Mme de Chateauvillain. Je refuse de continuer a perdre du temps !

La grande bouche de Josse s'etira vers les oreilles en un muet sourire tandis qu'il lancait sa monture sur la trace de la jeune femme.

Moitie maison forte, moitie hopital, l'antique relais routier d'Ostabat avait beaucoup perdu de sa primitive prosperite. Les temps difficiles, la guerre surtout qui, depuis tant d'annees, ravageait le royaume de France, avaient ralenti les pelerinages. Les bonnes gens hesitaient d'autant plus a se risquer sur des routes que les troupes, anglaises ou francaises, jointes aux brigands et aux ordinaires perils des grands chemins, rendaient par trop dangereuses. Il fallait etre en bien grande peine ou bien depourvu de toute richesse terrestre pour se risquer en ce voyage qui, souvent, etait sans retour. Et les grandes foules qu'avait vues passer le vieil hospice, situe a la jonction des trois grandes routes d'Auvergne, de Bourgogne et d'ile-de-France, se reduisaient a quelques groupes deja terrifies par ce qu'ils avaient vu en cours de route et qu'angoissaient encore les dangers de la montagne prochaine parmi lesquels celui des celebres bandits basques n'etait pas le moindre, sans compter celui des inquietants passeurs de cols qui n'offrent leurs services que pour mieux detrousser le voyageur trop confiant. Plus d'un seigneur-brigand avait sa tour fortifiee au flanc de la grande montagne. Elle servait de repaire a tous ces gens de sac et de corde.

— Avec un peu de chance, avait dit Ermengarde a Catherine, nous aurons l'hospice pour nous seules et nous y aurons nos aises.

Mais lorsque la jeune femme, toujours suivie de Josse, franchit le portail, elle eut la surprise de voir, dans la cour, une assez forte troupe de chevaux dont s'occupaient activement des valets bien vetus. Il y avait aussi des mulets de bat et, assis autour d'un feu dont les flammes illuminaient le crepuscule, une dizaine de soldats se reposaient en faisant rotir un gros quartier de viande. En resume, le train habituel d'un grand seigneur en voyage ! La porte de l'hospice etait grande ouverte et l'on apercevait les chanoines premontres qui allaient et venaient, sans doute pour servir l'hote de marque, et les eclats d'un grand feu ronflant dans une cheminee.

— Il semble que nous n'aurons pas a redouter la solitude, marmotta Catherine avec humeur. Aura-t-on seulement une cellule pour nous ?

Josse n'eut pas le temps de repondre. Deja, un religieux s'avancait vers la jeune femme :

— La paix du Seigneur soit avec vous, ma s?ur ! Que pouvons-nous pour vous ?

— Nous donner le gite et le couvert, repondit Catherine. Mais nous sommes plus de deux. Le reste de notre troupe nous suit, et je crains...

Le vieil homme eut un bon sourire qui plissa toutes les rides de son visage.

— A cause de ce seigneur qui nous est arrive tout a l'heure ? Ne craignez pas. La maison est grande et elle vous est ouverte. Voulez-vous descendre ? Un frere lai prendra soin de vos montures.

Mais Catherine, deja, ne l'ecoutait plus. Elle venait d'apercevoir, au seuil d'une ecurie, un officier qui devait etre le chef des soldats et qui, encore tout arme, portait sur sa cuirasse un tabard armorie. Or, malgre l'ombre grandissante, il n'etait pas possible de s'y tromper : les armes etalees sur la soie epaisse du vetement, Catherine ne les connaissait que trop bien : c'etaient celles du duc de Bourgogne !

Elle se sentit palir et, dans sa tete, les pensees se mirent a tourner a une grande allure. Voyons ! ce n'etait pas possible que le duc Philippe fut ici ! Cette escorte pouvait etre celle d'un seigneur, elle etait tout de meme trop mince pour le Grand Duc d'Occident !... Pourtant, c'etaient bien la les fleurs de lys et les barres ducales, les briquets de la Toison d'Or... cette Toison d'Or fondee jadis en souvenir d'elle !