Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 20
— Tu mens !... Comment peux-tu esperer que je te croirais ? Mon epoux est un chretien, un chevalier... Jamais il ne renierait sa foi, son pays, son Roi pour une Infidele ! Et moi, je suis stupide de t'ecouter, vil menteur !
Elle serrait les poings dans les plis de sa robe, se contenant a peine.
Pour un rien, elle eut frappe ce visage deforme par l'aversion et qui la narguait... Fortunat, en effet, ne semblait nullement impressionne par sa colere. Il avait meme l'air de s'en delecter !
— Je mens ?... Vous osez dire que je mens ?... ». Lentement, ses petits yeux noirs rives a ceux de Catherine, le Gascon etendit la main et, solennellement, articula : « Je jure sur le salut de mon ame immortelle qu'a l'heure presente messire Arnaud connait l'amour et la joie dans les palais de Grenade ! Je jure que...
Assez ! coupa soudain derriere Catherine la voix rude d'Ermengarde, Dieu n'aime pas qu'un serment serve a blesser ! Tu as crache ton venin, cela suffit, mon garcon !... Dis-moi pourtant encore une chose : comment se fait-il que tu sois ici, toi, le fidele serviteur ? Pourquoi donc erres-tu sur les routes au risque de ta vie alors que tu pourrais, toi aussi, connaitre le bonheur aupres de quelque belle Mauresque ? Ta princesse n'a-t-elle pas une suivante assez belle pour te retenir ?
Pourquoi n'es-tu pas demeure aupres de ton maitre, a partager sa joie ?
La formidable silhouette rouge de la douairiere, son accent imperieux allumerent une lueur de crainte dans les yeux de l'ecuyer.
Celle-la ressemblait a un rocher... Le Gascon eut l'air de se recroqueviller. Il baissa la tete.
— Messire Arnaud l'a voulu !... Il m'a renvoye vers sa mere, dont il savait la souffrance, pour lui porter la bonne nouvelle de sa guerison, lui dire...
— Que son fils, un capitaine du Roi, un chretien, avait oublie ses devoirs et ses serments pour les beaux yeux d'une houri ? Belle nouvelle a apprendre a une noble dame ! Si la dame de Montsalvy est telle que je l'imagine, il y a de quoi la tuer net !
— Dame Isabelle est morte, fit Catherine sombre- ment. Plus rien ne peut l'atteindre ! Et ta mission est remplie, Fortunat !... Tu peux a ton gre rentrer en France ou retourner aupres de ton maitre...
Une expression de curiosite cruelle apparut sur la figure maigre du Gascon.
— Et vous, dame Catherine, interrogea-t-il avidement, qu'allez-vous faire ? Je pense que vous n'aurez pas l'idee d'aller revendiquer votre epoux ? Vous n'arriveriez meme pas jusqu'a lui... Les femmes chretiennes sont reduites en esclavage la-bas, et travaillent sous le fouet, ou alors on les jette aux soldats pour qu'ils s'en amusent... a moins qu'on ne les fasse perir dans d'affreux supplices ! Pour vous, croyez-moi, le mieux est un bon couvent et...
La phrase s'acheva dans un affreux gargouillis. La belle main vigoureuse d'Ermengarde l'avait saisi a la gorge et lui coupait le souffle.
— Je t'ai deja dit de te taire ! gronda la douairiere. Et je ne repete jamais deux fois la meme chose.
Mais, comme si rien de tout cela ne la concernait plus, Catherine n'avait pas daigne repondre. Elle se detournait, embrassait d'un regard vacillant tous ces visages anxieux tournes, tendus vers elle, puis, lentement, se dirigeait vers la porte, les plis noirs de sa robe balayant la paille repandue sur les dalles. Jean Van Eyck voulut la suivre. Il appela :
— Catherine ! Ou allez-vous ?
Elle se tourna vers lui, eut un faible sourire.
— J'ai besoin d'etre seule un moment, mon ami... Je crois que vous pouvez comprendre cela ? Je vais simplement a la chapelle... Laissez-moi !
Elle quitta la salle, franchit la cour, le porche et sortit sous la voute qui enjambait le chemin. Elle voulait se rendre dans la petite chapelle, dediee a saint Jacques, qui s'elevait de l'autre cote. Tout a l'heure, avant le souper, on lui avait montre la grande eglise du Moustier, mais elle avait trouve trop d'or et de gemmes sur les Vierges en majeste, trop d'objets etranges entourant le gisant de pierre, si formidable qu'il accaparait tout l'interet, du roi Sanche le Fort. Elle voulait un lieu paisible, etroit, ou elle put se retrouver seule avec elle- meme et avec Dieu. Cette chapelle, jouxtant l'espece de caveau bas ou l'on ensevelissait les pelerins morts sur la route, lui semblait l'endroit propice.
Hormis une statue du saint voyageur devant laquelle brulait une lampe a huile, il n'y avait rien qu'un autel de pierre et des dalles usees.
Il y faisait froid, humide, mais Catherine etait au-dela des sensations du corps. Elle avait, tout a coup, l'impression d'etre morte... Puisque Arnaud l'avait trahie, son c?ur avait perdu sa raison de battre !... Pour une femme inconnue, l'homme qu'elle avait aime plus que tout avait, d'un seul coup, arrache les liens qui les attachaient l'un a l'autre. Et Catherine se retrouvait amputee d'une partie d'elle-meme, la meilleure, l'essentielle, seule au milieu d'un desert sans fin. Ses mains etaient vides, son c?ur vide, sa vie devastee. Lourdement, elle se laissa tomber, a deux genoux, sur la pierre froide, enfouit son visage dans ses mains tremblantes.
— Pourquoi ? balbutia-t-elle. Pourquoi ?...
Un long moment elle demeura prostree, sans penser, sans prier, sans meme sentir le froid qui penetrait son corps. Elle n'avait pas de larmes. Dans cette chapelle noire ef glacee, elle etait comme au fond d'un tombeau et ne souhaitait plus en sortir. Incapable meme de reflechir elle tournait continuellement dans sa tete cette seule idee torturante : « Il » l'avait oubliee pour une autre... Apres avoir jure de l'aimer tant qu'il lui resterait un souffle de vie, il avait ouvert les bras a une ennemie de sa race, de son Dieu... et sans doute lui disait-il maintenant ces mots tendres que Catherine ecoutait en tremblant...
Pourrait-elle jamais s'arracher cette pensee, cette image de l'esprit ?
Pourrait-elle ne pas en mourir ?
Elle etait si accablee qu'elle sentit a peine que deux mains fermes l'obligeaient a se relever puis posaient un manteau sur ses epaules frissonnantes.
— Venez, Catherine, fit la voix ferme de Jean Van Eyck. Ne restez pas la ! Vous allez attraper la mort !
Elle le regarda d'un air egare.
— La mort ?... Mais, Jean, je suis morte !... On m'a tuee !
— Ne dites pas de sottises ! Venez !
Il l'obligea a sortir, mais, parvenue sous la vieille voute qu'eclairait une torche fichee dans le mur, elle s'arracha des mains qui la soutenaient, s'adossa contre la muraille. Le vent qui s'engouffrait dans le passage fit voler ses cheveux, mais son souffle violent lui fit du bien.
— Laissez-moi, Jean, je... j'ai besoin de respirer !...
— Respirez ! Mais ecoutez-moi !... Catherine, je devine ce que vous souffrez, mais je vous defends de dire que vous etes morte, que votre vie est finie ! Tous les hommes n'oublient pas si aisement. Il en est qui savent aimer plus que vous ne pouvez le croire.
— Si Arnaud a pu m'oublier, qui donc saura rester constant ?
Sans repondre, le peintre delaca le col de son pourpoint, tira de sa poitrine un parchemin plie, scelle, qu'il tendit a la jeune femme :
— Tenez ! Lisez... Je crois que l'heure est venue d'accomplir ma mission ! Lisez ! Cette torche eclaire suffisamment... Allons, lisez ! Il le faut ! Vous en avez besoin...
Il glissa le parchemin entre les doigts glaces de la jeune femme. Un moment, elle le tourna et le retourna... Il etait scelle d'une cire noire ou s'imprimait une simple fleur de lys.
— Ouvrez ! souffla Jean.
Elle obeit, presque machinalement, se pencha pour dechiffrer les quelques mots du message, tres court en verite. Comme une enfant, elle les epela :
Le regret de toi ne me laisse ni treve ni repos. Reviens, mon doux amour, et c 'est moi qui demanderai pardon !... PHILIPPE...
Catherine releva la tete, rencontra le regard anxieux du peintre.