Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 22

— Quelle raison aurais-je de vous croire ? Ils sont mes amis, d'anciens et fideles amis, tandis que...

— Tandis que je ne suis qu'un voleur de grand chemin, un petit truand parisien qui ne vaut pas cher, n'est-ce pas ? Ecoutez, dame Catherine. Par deux fois, vous m'avez sauve, la premiere involontairement, je l'admets, mais la deuxieme tres consciemment.

Sans vous, je serais en train de pourrir au gibet de l'abbe de Figeac. A

la Cour des Miracles, chez les truands, ce sont des choses qu'on n'oublie pas. A notre maniere, nous avons notre honneur...

Catherine ne repondit pas tout de suite. Josse ne pouvait deviner les echos que ses paroles eveillaient en elle, ni qu'une fois, deja, elle avait du la vie et la securite a cette meme Cour des Miracles dont il parlait...

Elle dit enfin :

— Est-ce pour payer cette dette que vous m'engagez a partir avec vous pour Grenade ? Vous savez bien que j'y risquerai pire encore que la mort.

Alors, fit Josse froidement, si vous mourez, c'est que je serai mort avant vous ! Sinon, je serais un homme fini !... Le temps presse, dame Catherine, decidez-vous ! Ou vous me croyez et nous partons, ou vous ne me croyez pas... et vous verrez bien. Je connais un peu l'Espagne... j'y suis deja venu. Je connais aussi un peu son langage. Je peux vous servir de guide !

— Vous pourriez aussi me suivre en Bourgogne ? Ce serait plus agreable sans doute !

— Je ne crois pas. Ces gens qui veulent vous sauver de vous-meme vous aiment mal. Ils ne savent pas que vous ne pourriez pas etre heureuse en laissant un regret derriere vous, en n'ayant pas fait ce que vous vouliez ! Moi, je prefere vous voir courir des dangers et les partager parce que vous etes comme moi : vous ne renoncez jamais.

Et je vous crois capable de venir a bout des pires difficultes. Je sais bien ce que nous allons risquer, vous et moi : le fouet des esclaves, la mort, la torture et, pour vous, plus encore puisque vous etes une femme... mais je crois que l'aventure vaut la peine d'etre tentee, et vecue... Vous, vous retrouverez peut-etre votre epoux, et moi je trouverai peut-etre la fortune qui n'a pas encore voulu me sourire. On dit le royaume de Grenade tres riche... Alors ?... partons-nous ? Les chevaux sont deja selles et attendent sous la voute !

Une vague d'espoir souleva Catherine ! Ce garcon, seul, avait su dire les mots qu'elle avait besoin d'entendre. Il etait brave, intelligent, adroit... Il voulait l'aider ! Non ! Elle n'allait pas attendre d'etre livree, comme un joli paquet ficele d'or, a Philippe de Bourgogne, parce que deux fous bien intentionnes pensaient que c'etait le meilleur moyen de lui assurer le bonheur ! Elle leva sur Josse un regard etincelant.

— Partons ! Je suis prete... s'ecria-t-elle galvanisee.

— Un moment ! fit-il en lui tendant le paquet. Voici des vetements d'homme que j'ai voles a l'un des soldats. Mettez-les et faites un paquet des votres. Nous les emporterons. Mais faites vite... Ainsi vous serez plus difficile a poursuivre !

Elle saisit les vetements avidement et, ordonnant a Josse de faire le guet, sans meme se soucier du froid,

s'abrita derriere un contrefort et entreprit de se changer. Une ardeur merveilleuse la rechauffait... Du moment qu'elle allait se battre, elle pouvait laisser de cote le chagrin ! Il serait bien temps de s'y laisser aller si elle echouait... mais, cette pensee-la, elle ne voulait pas s'y arreter, meme un instant !

Et, tout a coup, elle crut entendre, venue du fond des temps, une voix flutee et zezayante qui murmurait :

— Si, un jour, tu ne sais plus ni que faire ni ou aller, viens me rejoindre. Dans ma petite maison au bord du Genil, les citronniers et les amandiers poussent tout seuls et les rosiers embaument une grande partie de l'annee. Tu seras ma s?ur et je t'apprendrai la sagesse de l'Islam...

Etrange et fidele miroir de la memoire ! L'impression fut si nette que Catherine crut voir soudain se dresser devant elle, dans la lumiere blanche de la lune, la forme frele d'un homme jeune portant une large robe bleue, une absurde barbe blanche et un enorme turban orange en forme de citrouille... Son nom jaillit tout naturellement de ses levres :

— Abou !... Abou-al-Khayr !... Abou le medecin !

C'etait vrai pourtant et il fallait qu'elle eut plonge bien profondement dans la douleur pour n'y avoir pas songe plus tot !

Abou, son vieil ami, vivait a Grenade ! Il etait le medecin, l'ami du sultan ! Il saurait, lui, ce qu'il fallait faire et il l'aiderait, elle en etait sure !

Envahie d'une joie soudaine, Catherine acheva de s'habiller en hate, roula ses vetements en un paquet qu'elle logea sous son bras et courut rejoindre Josse.

— Allons ! fit-elle ; allons, vite !

Il la regarda, eberlue de la transformation qui s'etait operee chez elle en si peu d'instants, et ne put s'empecher de le lui dire !

— Vrai Dieu ! Dame Catherine, vous avez l'air d'un petit coq de combat !

— C'est que nous allons nous battre, mon ami, avec toutes les armes, toutes les ruses que nous trouverons !

Je veux arracher mon mari a cette femme ou j'y perdrai la vie ! A

cheval !

Comme des ombres, Catherine et Josse se glisserent hors du cloitre. Le seul danger etait la traversee de la grande salle, mais le feu avait encore baisse. Il y avait de grandes zones obscures... Tout en se faufilant, avec des precautions de chat, parmi les corps etendus, Catherine, bien protegee par son costume, glissa un regard vers la cheminee. Assise sur la pierre aupres de Jean Van Eyck qui se tenait debout face au foyer, Ermengarde causait avec lui a voix basse, mais avec animation. Ils devaient preparer leur plan... Catherine ne put s'empecher de sourire et de leur adresser un ironique et muet adieu.

Lentement, les deux fugitifs gagnerent la porte. Josse l'entrouvrit avec precaution. Mais le leger bruit qu'elle fit se trouva couvert par les ronflements sonores des Navarrais qui dormaient pele-mele tout aupres... Catherine se glissa au-dehors et Josse passa apres elle...

— Sauves ! souffla-t-il ! Venez vite !

Il la saisit par la main, l'entraina hors de l'hospice. Sous la voute, deux chevaux attendaient, tout selles, leurs sabots enveloppes de chiffons. Joyeusement, Josse tendit le bras designant le ciel ou s'amoncelaient les nuages. La lune etait deja presque entierement absorbee. La dangereuse lumiere trop blanche diminuait d'instant en instant.

— Regardez ! Le ciel lui-meme est pour nous ! En selle, maintenant, mais prenez garde : le chemin est raide et dangereux !

— Moins dangereux que les hommes en general et les amis en particulier ! riposta Catherine.

Un instant plus tard, au petit trot prudent de leurs chevaux, Catherine et son compagnon s'elancaient sur le chemin de Pampelune.

Dans un geste ou il y avait du defi, la jeune femme salua au passage le gigantesque rocher que, selon la legende, l'epee de" Roland le Preux avait ouvert de haut en bas. Celui-la avait fendu une montagne. Elle ferait mieux !...

Josse Rallard retint son cheval et etendit le bras.

— Voila Burgos ! dit-il, et la nuit est proche. Nous y arretons-nous

?

Sourcils fronces, Catherine examina un moment la ville etendue a ses pieds. Apres les interminables solitudes du reche plateau durci par le gel, ecorche par le vent, apres ces etendues d'un jaune delave, la capitale des rois de Castille etait decevante. Une grosse cite grise et jaune, close de remparts de meme couleur, dominee par la masse menacante d'un fort chateau. Rien de bien remarquable !... Si, pourtant

: une immense construction, enguirlandee d'echafaudages, mais decoupee comme une dentelle, ciselee comme un bijou et qui, dans la lumiere pauvre du soir, semblait faite d'ambre roux, s'etendait sur la ville qu'elle avait l'air de couver : la Cathedrale. Au pied des remparts, enjambe par la double ogive d'un pont, un fleuve coulait une eau lente et boueuse. Tout cela donnait une lugubre impression de froid et d'humidite. Catherine resserra autour d'elle son lourd manteau de cheval, haussa les epaules, soupira :