Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 30

— Est-il devenu fou ? s'inquieta la jeune femme. On dirait qu'il ne se souvient de rien. Il doit etre tres malade ! Pourquoi, dans ce cas, l'avoir porte ici plutot que dans la cuisine ?

— Parce que le jour va bientot venir, repondit Hans. Quand Urraca se levera, il ne faut pas qu'elle le trouve.

— Qu'importe, puisqu'elle est sourde !

— Sourde, oui ! Mais ni aveugle, ni muette et peut- etre pas aussi stupide qu'elle le parait. Nous allons donner des soins a cet homme, le laver de notre mieux, le vetir convenablement, le reconforter autant qu'il nous sera possible ! Ensuite, le jour sera la. Il faudra alors lui faire quitter la ville sans delai.

— Mais comment l'emmener dans cet etat ? Qu'en faire sur la route ?

— L'emmener, coupa Hans gravement, je vous en donnerai le moyen. Ensuite, dame Catherine, ce sera votre probleme qu'assurer le destin de cet homme. Je ne peux ni vous suivre, ni le garder ici. Ce serait jouer ma tete et celle de tous mes hommes... En plus, si je vous ai aidee, par instinctive sympathie et par haine de don Martin, je ne suis ni las de la vie, ni desireux d'abandonner, ici, le travail que je fais. Il me faut vous dire que, une fois sortis de cette cite, vous ne pourrez plus compter sur moi. Je le regrette... mais je n'y peux rien !

Catherine avait ecoute attentivement le petit discours de Hans. Un peu de confusion se glissait en elle. Cet homme l'avait aidee spontanement et, au fond de son subconscient, elle en etait presque arrivee a croire qu'il continuerait. Mais elle avait trop de bon sens pour ne pas admettre aussitot qu'il avait pleinement raison, qu'elle ne pouvait pas lui demander davantage. Aussi, fut-ce avec un sourire qu'elle lui tendit la main.

— Vous n'avez deja que trop fait, mon ami, et pour tous ces risques courus au benefice d'une inconnue je vous garde grande et sincere reconnaissance. Soyez tranquille, en ce qui me concerne, j'ai toujours su faire face aux problemes qui se sont presentes a moi. Je viendrai bien a bout de celui-ci.

— D'autant plus que, tout de meme, je suis encore la, moi !

marmonna Josse de sa voix nonchalante. Passons aux realites. Vous avez dit, maitre Hans, que vous nous donneriez les moyens de l'emmener. Quels sont ces moyens ?

— Un chariot de pierres. Je dois conduire un chargement a l'Hopital Del Rey, pres du monastere de Las Huelgas, a une demi-lieue de la ville, pour y faire effectuer des reparations. Nous irons des l'ouverture des portes. Votre ami sera cache parmi les pierres. Les lances des gardes ne peuvent guere aller fouiller la-dedans. Nous attellerons vos chevaux au chariot et, au monastere, je vous procurerai une autre charrette pour emmener cet homme tandis que je trouverai, moi, d'autres chevaux pour ramener mon chariot. Apres, ce sera pour vous a la grace de Dieu.

— Je n'en esperais pas tant, fit Catherine avec simplicite. Merci, maitre Hans !

— Assez parle, maintenant. Occupons-nous de lui et preparons le chariot. Le jour est tout proche !

Sans plus parler, tous quatre s'activerent. Gauthier, depouille de ses haillons, fut lave, rhabille de vetements rustiques mais propres et solides, trop courts evidemment car aucun des trois hommes n'avait ses dimensions. La plaie qu'il portait a la tete et que l'on eut bien du mal a nettoyer approximativement tant le sang et les cheveux y avaient forme une croute epaisse fut enduite, faute de mieux, de graisse de mouton. On lui coupa les cheveux, on le rasa pour le rendre tout a fait meconnaissable. Il se laissait faire comme un enfant, poussant seulement de temps en temps de courtes plaintes. Mais il avala avec avidite la soupe chaude, reste de la veille, et le pot de vin que lui offrit Hans. Josse, l'air songeur, le regardait boire.

— Il faudrait qu'il boive encore et encore, remar- qua-t-il. S'il pouvait dormir quand il sera dans le chariot, ce serait moins dangereux. Imaginez, que les hommes de garde l'entendent pousser ces plaintes inarticulees ?

— Inutile de l'enivrer, dit Hans. J'ai des graines de pavot pour calmer les douleurs de mes ouvriers quand ils se blessent au travail. Je lui en ferai prendre tout a l'heure, ecrasees dans un peu de vin. Il dormira comme un enfant

Lorsqu'ils eurent fini de donner leurs soins a Gauthier, une bande blanche s'etait dessinee a l'horizon et repoussait la nuit. Un peu partout, les voix enrouees des coqs se repondaient. Hans jeta vers le ciel un regard soucieux.

— Preparons le chariot, maintenant, dit-il. Urraca ne va pas tarder a descendre de son galetas.

Il fit rapidement avaler a Gauthier le vin drogue, puis, l'enveloppant d'une bache, il le porta dans le grossier chariot qui dormait dans la remise attenante a la maison. Puis, aide de Josse et de Hatto, il commenca a y transporter des blocs de pierre qu'il disposa habilement dans la voiture de maniere que le Normand fut cache par eux sans risques d'etre blesse. De la paille fut placee dans les interstices.

Il etait temps. Gauthier venait de disparaitre derriere son rempart improvise quand la maisonnee s'eveilla. La vieille Urraca, ses yeux de chouette gros de sommeil, descendit peniblement l'espece d'echelle qui menait a l'etage superieur et commenca a trainer ses savates entre la cour et la cuisine, tirant de l'eau au puits, cherchant du bois au bucher, soufflant sur les braises qu'elle avait, la veille au soir, soigneusement recouvertes de cendres avant d'aller au lit. Bientot l'eau commenca a chantonner dans le chaudron tandis que la vieille taillait, avec un couteau long a faire fremir, d'epaisses tranches de pain noir qu'elle disposait sur la table avec des oignons decroches de la maitresse poutre. Un a un, baillant et s'etirant, les hommes de la pierre sortaient de leur dortoir, allaient s'ebrouer dans un seau d'eau froide, puis revenaient chercher leur nourriture. Catherine, baillant et s'etirant comme les autres, avait repris sa place au coin de l'atre non sans raison. L'aube etait glaciale et elle se sentait gelee. Quant a Josse, affectant les manieres d'un homme qui s'eveille a grand-peine, il sortit et s'en alla faire un tour sur la place. Il voulait voir ce que donnait le nouvel occupant de la cage a la lumiere du jour. Hans le suivit des yeux, avec un sentiment d'inquietude, mais se rassura bientot. Le clignement de paupieres et le claquement de langue que lui adressa Josse etaient pleinement satisfaisants. Il se tourna donc vers ses ouvriers et commenca a les haranguer dans leur langue maternelle.

Catherine saisit au passage les mots de « Las Huelgas » et comprit que le maitre d'?uvre leur annoncait qu'il allait se rendre pour la journee au celebre monastere. Les Allemands hochaient la tete d'un air approbateur. Aucun ne fit entendre sa voix. L'un apres l'autre, apres un bref salut en direction de la jeune femme, ils sortirent dans le soleil levant et, le dos rond, deja offert a la fatigue de la journee de travail, ils se dirigerent vers leur chantier. Hans adressa un sourire a Catherine.

— Mangez vite quelque chose et mettons-nous en route. Les portes s'ouvrent.

On entendit, en effet, grincer la herse de la porte Santa Maria toute proche tandis que les bruits de voix, les cris et les appels coutumiers commencaient d'animer la place. Hans se tourna vers la porte.

— Ou est Josse ? demanda-t-il. Toujours sur la place ?

— Je crois... oui !

— Je vais le chercher.

Machinalement, tout en mordant a belles dents un quignon de pain et un oignon, Catherine le suivit. Josse n'etait pas loin. Sa maigre silhouette se decoupait a quelques toises de la maison les mains aux hanches. Il paraissait fascine par un spectacle qui ne tarda pas a captiver Hans et Catherine. En effet, une cavalcade debouchait en trombe sur la place. La jeune femme reconnut des alguazils et, au milieu d'eux, le cheval andalou et les plumes noires de don Martin Gomez Calvo. Au meme instant, une troupe de charpentiers arrivaient en courant, avec des poutres, des planches, des echelles et des marteaux. Un homme enorme, vetu de pourpre sombre, paraissait les commander.