Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 34
Tandis qu'il trottinait a travers la cour envahie par les herbes folles, Catherine, lentement, se laissa glisser de son siege.
Lorsque, une heure plus tard, Catherine et Josse quitterent l'Hospital del Rey, leur moral, malgre le succes de la fuite, etait au plus bas. La mort de Gerbert pesait encore lourdement sur l'ame de la jeune femme. Elle se la reprochait, comme si cette mort lui eut ete imputable. De plus, l'etat de Gauthier l'inquietait mortellement...
Tout a l'heure, quand, apres un rapide conciliabule a voix basse entre Hans et le Pere Abbe, la longue forme enveloppee de toile rude avait ete descendue du chariot, un fait etrange et terrifiant s'etait produit. Le Normand s'etait eveille de la torpeur provoquee par la graine de pavot quand on l'avait etendu sur un banc. Mais il n'avait rouvert les yeux, d'ailleurs revulses, que pour tomber dans une etrange crise. Son corps s'etait raidi et ses machoires s'etaient crispees au point que les dents avaient grince. Puis, brusquement, le geant avait roule du banc et s'etait tordu sur le sol avec des mouvements violents de la tete et de tout le corps. Enfin il etait tombe dans une profonde torpeur tandis qu'une ecume blanche moussait a ses levres. Epouvantee, Catherine avait recule jusqu'a la muraille et s'y collait comme si elle avait espere s'y integrer. Hans et Josse n'avaient pas bouge : sourcils fronces, ils regardaient, mais l'abbe s'etait signe precipitamment plusieurs fois avant de s'enfuir en courant. Son absence n'avait pas dure. Il etait revenu presque aussitot, arme d'un plein seau d'eau benite qu'il avait projetee sur le blesse. Dans son sillage trottait un moinillon arme d'un enorme encensoir qui repandait une epaisse fumee suffocante.
Hans n'avait pas eu le temps de prevoir le geste de l'abbe et d'eviter la douche froide au malheureux Gauthier. Mais il s'etait tout de suite employe a calmer la colere du saint homme dont la mimique furieuse ne laissait aucun doute : il entendait que l'inconnu possede du demon fut emporte aussitot hors de son hospice consacre. Hans avait jete a Catherine un regard consterne.
— Il faut que vous partiez maintenant. On va vous donner une carriole pour l'emporter. L'abbe croit qu'il est possede du demon... et je ne peux plus grand-chose pour vous !
— Est-il vraiment... possede ? demanda Catherine avec angoisse.
Ce fut Josse qui, de la facon la plus inattendue, se chargea de la renseigner.
— Les anciens Romains appelaient ce mal, le mal sacre. Ils pretendaient qu'un Dieu habitait l'homme en convulsions. Mais j'ai connu jadis un medecin maure qui affirmait qu'il s'agissait seulement d'une maladie dont le siege est dans la tete.
— Vous avez connu un medecin maure ? s'etonna Hans. Ou donc ?
Le mince visage brun de Josse rougit brusquement.
— Oh ! fit-il avec insouciance, j'ai beaucoup voyage !...
Il ne tenait pas a s'etendre et Catherine savait pourquoi. Dans un moment d'expansion, Josse lui avait confie que sa mauvaise chance l'avait fait ramer deux ans sur une galere barbaresque, d'ou sa science inattendue.
— Un medecin maure ? fit Hans songeur.
Tout en reemballant Gauthier, maintenant a peu pres calme, dans sa toile et en le transportant a la carriole qu'un frere lui amenait dans la cour, il raconta a ses deux nouveaux amis ce qu'il avait entendu dire a Burgos concernant l'etrange archeveque de Seville, Alonso de Fonseca. Fastueux, avide, collectionneur passionne de pierres precieuses et feru d'alchimie, l'archeveque entretenait, dans son chateau fort de Coca, une cour bizarre ou astrologues et alchimistes etaient infiniment plus nombreux que les religieux. La grande merveille de cette cour, a ce que l'on en disait, etait un medecin maure du plus grand savoir et de la plus inquietante habilete.
— Quand les familiers du connetable Alvaro de Luna ne sont point trop rapproches, les gens de Burgos chuchotent volontiers que ce medecin fait des miracles. Pourquoi n'iriez-vous pas le voir ? Si vous vous dirigez vers Tolede, vous rendre a Coca ne vous allongera guere le chemin.
— Quelle raison aurait le seigneur archeveque de nous accueillir ?
fit Catherine sceptique.
— Trois raisons : son hospitalite, qui est proverbiale ; l'interet qu'il prend a toutes les choses etranges qui se deroulent sous son toit ; enfin... ne vous ai-je pas dit qu'il etait passionne de pierres precieuses
?
Cette fois, Catherine avait compris. S'il n'y avait pas d'autre moyen d'obtenir les soins du mage de Coca, l'emeraude de la reine Yolande lui ouvrirait certainement les portes de la forteresse.
Son parti avait ete pris aussitot. Pour sauver Gauthier, elle etait prete a bien d'autres sacrifices qu'un leger allongement de sa route et la perte d'un bijou, meme precieux a son c?ur. Elle avait remercie Hans de son aide desinteressee avec une chaleur qui avait amene une profonde rougeur au front de l'Allemand. Quand ses levres, spontanement, s'etaient posees sur la joue mal rasee de Hans, elle avait vu ses yeux clairs s'emplir de larmes.
— Peut-etre qu'on se reverra un jour, dame Catherine ?
— Quand vous aurez termine votre ?uvre ici et si je revois Montsalvy, vous viendrez chez nous faire des merveilles.
— C'est jure !
Un dernier serrement de mains entre les deux hommes, un dernier signe d'adieu et le chariot avait commence a cahoter sur le chemin du sud. A l'arriere, Gauthier etait confortablement installe dans la paille.
Josse avait pris les renes et pressait les deux chevaux. Peu habitues a etre atteles, ceux-ci reclamaient de lui une attention de tous les instants et une poigne solide. Mais Catherine n'avait rien d'autre a faire qu'a regarder le paysage.
Malgre le soleil qui, maintenant, eclatait dans le ciel bleu, la region, aride, sauvage, sans arbres, etait d'une pesante tristesse a laquelle s'ajoutait le son, de plus en plus lointain, du glas que les moines hospitaliers sonnaient pour le pelerin mort.
L'esprit de Catherine s'attachait a ce Gerbert, etrange et criminel, mure dans son orgueil et sa souffrance comme dans une double armure d'airain. Elle avait compris quelle ame en detresse se cachait sous ces dehors impitoyables et un regret lui venait de n'avoir pas mieux cherche a le comprendre. Avec un peu d'amitie, elle eut peut-
etre reussi a entrouvrir ce c?ur ferme... Ils auraient pu etre amis...
Pourtant, au fond d'elle-meme, une voix chuchotait qu'elle essayait de se leurrer. Avec un homme tel que Gerbert deux sentiments seulement etaient possibles : l'amour ou la haine. Il avait choisi, pour elle, la haine par crainte de l'amour et, maintenant, la mort apaisante etait venue calmer a jamais cette ame douloureuse. Peut- etre, au lieu de s'affliger, valait-il mieux, apres tout, remercier Dieu de sa clemence...
De Gerbert, la pensee de Catherine passa a Gauthier, mais elle prefera ne point s'y arreter. Son etat lui causait une peine si amere que cela pouvait affaiblir un courage dont elle avait plus que jamais besoin. Il ne fallait pas qu'elle se laissat aller a s'attendrir si elle voulait garder une chance de le sauver. C'etait deja bien beau de l'avoir retrouve, arrache a une mort affreuse alors que, depuis si longtemps, elle l'avait cru perdu pour elle. Qui pouvait dire si le Maure de l'archeveque Fonseca ne lui rendrait pas la raison et s'ils n'entreraient pas d'une meme allure triomphante, toutes leurs forces intactes, dans le royaume fabuleux du Maure pour en arracher Arnaud
?...
Arnaud, Catherine decouvrait avec stupeur que, depuis plusieurs jours, captivee par le probleme cruel que representait Gauthier, elle n'avait presque pas pense a son epoux. Maintenant qu'elle avait le loisir de songer a lui, elle retrouvait sa colere intacte, plus brulante peut- etre encore depuis qu'elle avait retrouve Gauthier. Tant de souffrances accumulees pour un epoux volage qui ne s'en doutait meme pas et qui tres probablement, a cette heure ou sa femme regardait defiler lentement autour d'elle les solitudes jaunes de la vieille Castille en trainant apres elle un homme qui n'avait plus sa raison et un c?ur debordant d'amertume, se laissait bercer par les caresses d'une Infidele dans le cadre enchanteur et dissolvant d'un palais sarrasin. L'image ainsi evoquee produisit son habituel effet revulsif. Elle jeta au paysage environnant un regard charge de ressentiment.