Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 36
Et le voyage s'etait poursuivi sans autre escarmouche. Dans sa paille, Gauthier etait toujours a peu pres inconscient. De temps a autre, il tombait dans l'une de ces crises terribles qui effrayaient tant Catherine. Dans l'intervalle, il ne sortait pas d'un etat comateux fort inquietant car, maintenant, il n'avait meme plus assez de conscience pour s'alimenter. Il fallait le nourrir comme un enfant. Au soir de la derniere etape, Catherine avait interroge Josse avec des larmes dans les yeux.
— Si ce voyage dure encore longtemps, nous ne l'amenerons pas vivant au medecin maure !
— Demain, au coucher du soleil, promit alors Josse, nous devrions apercevoir les tours de Coca.
Et, en effet, le lendemain, alors que le soleil s'inclinait vers l'horizon dans une gloire d'or et de pourpre, Catherine decouvrit le fabuleux chateau de l'archeveque de Seville. Elle en eut, un instant, le souffle coupe : surgie de la terre rouge, comme jaillie de ses entrailles memes, une forteresse de pierres aux reflets sanglants qui etait, en meme temps, un palais des Mille et Une Nuits, lui etait apparue.
Fantastique joyau de l'art mudejar, bati dans les premieres annees du siecle par le cerveau nostalgique d'un architecte maure prisonnier, Coca decoupait sur le ciel d'outremer pale la foret de ses tourelles en tuyaux d'orgue flanquant d'epaisses tours de brique, ses hauts creneaux sarrasins qui festonnaient sa double enceinte et allegeaient, d'une grace inattendue, son massif donjon carre. C'etait le palais d'un emir plus que la demeure d'un eveque chretien, mais la splendeur dont il se parait n'enlevait rien a la menace qu'il semblait faire peser sur le ravin que, de haut, il dominait. De l'autre cote, il s'accrochait a un plateau dont, cependant, un profond fosse le separait.
Muets, Catherine et Josse contemplaient la rouge merveille qui etait le but provisoire de leur voyage. Une breve angoisse serrait le c?ur de Catherine. Dieu sait pourquoi, elle se revit, a cet instant, contemplant, en un autre lieu, sous un autre ciel, une autre forteresse, moins etrange mais plus menacante peut-etre avec ses noirs murs lisses et ses tours vertigineuses. Etait-ce la reputation d'etrangete d'Alonse de Fonseca qui, devant Coca, lui faisait evoquer le chateau du seigneur a la Barbe-bleue, l'admirable et terrible Champtoce ou elle avait souffert ?
Ici, elle n'avait rien a craindre. Elle ne venait rien demander de plus qu'un secours pour un blesse et pourtant elle hesitait au bord de ce chateau comme si une imprecise menace se fut dissimulee... Josse tourna vers elle un regard interrogateur.
— Alors ? Nous tentons l'aventure ?
Elle haussa les epaules comme pour se debarrasser d'un fardeau importun.
— Nous n'avons pas le choix ! Le moyen de faire autrement ?
— C'est juste !
Et, sans autre commentaire, Josse remit ses chevaux en marche vers l'arc surbaisse de l'etroite porte, si mince dans l'ogive arabe qui lui servait de cadre. Deux gardes immobiles la defendaient. Ils avaient l'air figes dans le temps comme dans ce decor. Ils s'integraient si bien au silence du plateau desert qu'ils ajoutaient a l'impression de mirage que donnait ce chateau muet. Seule, l'oriflamme du donjon, bougeant mollement dans le faible vent du soir, avait l'air de vivre. A la grande surprise de Catherine et de Josse, les soldats ne remuerent pas davantage quand le chariot s'approcha d'eux. Et quand Josse, dans son meilleur espagnol, les informa que la noble dame Catherine de Montsalvy souhaitait rencontrer Sa Grandeur l'Archeveque de Seville, ils se contenterent d'un hochement de tete en faisant signe d'avancer vers la cour d'honneur dont les voyageurs entrevoyaient deja le decor etonnant et colore.
— Voila un chateau bien mal defendu, marmotta Josse entre ses dents.
Voire ! fit la jeune femme. Rappelez-vous la crainte visible de ce paysan auquel vous avez demande notre chemin, il y a une heure !
Ecoutez le silence de ce chateau, de ce village qui n'a pas l'air de vivre
! Je crois, moi, que les malefices dont on le dit habite defendent cette demeure infiniment mieux qu'une armee... Et je me demande si nous allons vraiment chez un homme de Dieu... ou bien chez le diable en personne !
L'ambiance lourde agissait sur Catherine plus puissamment qu'elle ne voulait bien l'admettre, mais, apparemment, Josse etait lui au-dela de ce genre de craintes.
— Au point ou nous en sommes, grogna-t-il, je ne vois pas bien ce que nous aurions a perdre d'y aller voir !
L'eveque Alonso de Fonseca etait aussi etrange que son chateau, mais beaucoup moins beau. Petit, maigre et voute, il ressemblait assez a une plante qu'un jardinier negligent ne songerait jamais a arroser. Sa peau pale et ses yeux bordes de rouge disaient qu'il ne voyait pas souvent le soleil et que les veilles nocturnes avaient sa preference. Le cheveu noir mais rare, la barbe pauvre, il etait, en outre, afflige de tics nerveux et hochait continuellement la tete, ce qui ne laissait pas d'etre aussi eprouvant pour ses interlocuteurs que pour lui-meme. Au bout de dix minutes de conversation, Catherine avait une furieuse envie d'en faire autant. Mais il avait les plus belles mains du monde et sa voix, basse et douce comme un velours sombre, avait quelque chose d'envoutant.
Il accueillit sans surprise apparente cette grande dame errante dont l'equipage et l'aspect correspondaient si peu a ses nom et qualite, mais sa courtoisie fut sans defaut. Il etait normal, au cours d'un voyage long et penible, de demander l'hospitalite d'un chateau ou d'un monastere. Celle de l'eveque de Seville etait legendaire. Mais sa curiosite parut s'eveiller lorsque Catherine parla de Gauthier et des soins qu'elle esperait le voir obtenir a Coca. Sa curiosite et aussi sa mefiance.
— Qui donc vous a dit, ma fille, qu'un medecin infidele etait a mon service ? Et comment avez-vous pu croire qu'un eveque abritait sous son toit...
— Je n'ai rien vu d'etrange a cela, Votre Grandeur, coupa Catherine. Jadis, en Bourgogne, j'ai eu moi- meme, beaucoup plus d'ailleurs comme ami que comme serviteur, un grand medecin originaire de Cordoue. Quant a celui qui m'a indique votre demeure, c'est le maitre d'?uvre de la cathedrale de Burgos.
— Ah ! maitre Hans de Cologne ! Un grand artiste et un homme sage ! Mais parlez-moi un peu de ce medecin maure qui etait a vous.
Comment s'appelait-il ?
— On l'appelait Abou-al-Khayr.
Fonseca emit un petit sifflement qui renseigna tout de suite Catherine sur le degre de celebrite de son ami.
— Vous le connaissez ? demanda-t-elle.
— Tous les esprits un peu eclaires ont entendu parler d'Abou-al-Khayr, le medecin prive, l'ami et le conseiller du Calife de Grenade.
Je crains que mon propre medecin, fort habile cependant, ne l'egale pas et je m'etonne encore plus que vous soyez venue ici, ma fille, au lieu d'aller tout droit a lui.
— La route est longue jusqu'a Grenade et mon serviteur est fort malade, monseigneur. Sais-je seulement si nous pourrions penetrer au royaume du Calife ?
— Il n'y a rien a redire a ce raisonnement.
Quittant le siege eleve ou il s'etait tenu pour recevoir la jeune femme, don Alonso eut un sec claquement de doigts qui fit sortir, de l'ombre de son fauteuil, la longue silhouette mince d'un page.
— Tomas ! lui dit-il, il y a dans la cour un chariot dans lequel se trouve un blesse. Tu vas le faire enlever et porter, aussi doucement que possible, chez Hamza a qui tu diras de l'examiner. J'irai moi-meme dans quelques moments savoir ce qu'il en est. Ensuite, tu veilleras a ce que la dame de Montsalvy et son ecuyer soient loges avec honneur. Venez, noble dame, nous allons souper en attendant.
Avec une galanterie que n'eut pas desavouee un prince seculier, don Alonso offrit la main a Catherine pour la mener a table. Elle ne put s'empecher de rougir, le contraste entre ses propres vetements, plus que simples et assez poussiereux, et les brocarts pourpres et azur dont etait vetu l'archeveque etant par trop criants.