Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта. Страница 40

Un moment, ils resterent ainsi, face a face. Catherine vit une expression d'incredulite envahir la glace pale du regard immobile, jointe a une sorte de crainte superstitieuse. Les levres serrees s'entrouvrirent, mais aucun son n'en sortit. Tomas y passa seulement la pointe de sa langue tandis que ses yeux, soudain etincelants, descendaient le long du cou de la jeune femme, suivaient le dessin du profond decollete qui plongeait bas, s'attardaient dans la douce vallee des seins dont la soie souple de la robe, serree sous la poitrine par un lien d'or, moulait les formes parfaites. Visiblement, le garcon n'avait jamais contemple semblable spectacle, mais, comme il demeurait plante devant elle sans paraitre songer a s'ecarter, la jeune femme lui adressa un froid sourire tandis que sa main, instinctivement, venait voiler sa gorge.

— Voudriez-vous me laisser passer ? demanda-t-elle.

Au son de cette voix, Tomas sursauta comme s'il sortait d'un songe.

Une sorte de terreur se peignit sur son visage qui, de rouge qu'il etait devenu, retrouvait sa tragique paleur. Il se signa precipitamment plusieurs fois, tendit les bras devant lui comme pour repousser la trop seduisante apparition, puis, criant d'une voix rauque : « Vade retro Satana !...», il tourna les talons et s'enfuit a toutes jambes. Les ombres noires de la cour l'engloutirent aussitot. Haussant les epaules, Catherine poursuivit son chemin. Remontee dans la galerie, elle trouva Josse qui l'attendait devant sa porte, adosse au chambranle, les bras croises.

— Alors, demanda-t-elle avidement, avez-vous appris qui est ce moine ?

— On l'appelle Fray Ignacio, mais ce n'est pas facile de faire parler les gens de l'archeveque a son sujet. Ils semblent tous en avoir une peur bleue. Je crois bien qu'ils le craignent encore plus que le Maure ou le page noir au visage de mauvais ange.

— Mais d'ou vient-il ? Que fait-il ? Depuis combien de temps habite-t-il ce chateau ?

— Dame Catherine, remarqua Josse calmement, je crois que don Alonso, qui semble beaucoup apprecier votre compagnie, vous renseignerait mieux que moi sur ce personnage etrange car il n'y a guere que lui, ici, qui ait affaire avec Fray Ignacio. Celui-ci s'occupe d'alchimie, de la transmutation des metaux. Il cherche, comme tant d'autres, la fameuse pierre philosophale. Mais, surtout, il est charge de veiller sur le tresor de l'archeveque, l'extraordinaire collection de pierres precieuses qu'il possede. Un familier de don Alonso m'a dit que Fray Ignacio etait un expert en la matiere et que... mais, dame Catherine, vous n'allez pas vous trouver mal ?

En effet, la jeune femme, tres pale, avait du s'appuyer au mur. Le sang quittait son visage et le sol se derobait sous ses pieds. Josse ne pouvait comprendre a quel point la frappait cette grande science des gemmes que possedait le moine mysterieux. Garin, jadis, avait collectionne les pierres avec passion.

— Non, dit-elle d'une voix blanche. Je suis seulement tres lasse.

Je... je ne me soutiens plus !

— Alors, allez vite dormir ! fit Josse avec un bon sourire.

D'ailleurs, je n'en sais pas plus. J'ajoute seulement qu'il est rare de rencontrer Fray Ignacio. Il ne quitte guere les appartements prives de don Alonso ou il a son cabinet d'alchimiste et ou se trouve la chambre du tresor.

Tout en parlant, il poussait devant Catherine la porte peinte, decouvrant la chambre doucement eclairee par de longues chandelles rouges. Elle y entra, les epaules basses, le dos rond, avec un sentiment profond d'accablement. Josse, sans rien dire, la regarda avancer dans la chambre. Il ne comprenait pas pourquoi ce Fray Ignacio troublait tellement la jeune femme, mais quelque chose qui ressemblait a de la pitie se levait en lui pour cette creature, idealement belle, dont la vie, cependant, au lieu d'etre faite de douceur et de grace, n'etait qu'une suite ininterrompue de luttes sans merci et de difficultes a la mesure d'un homme vigoureux. Il eprouvait l'impression vague qu'en s'attachant a son destin il accomplissait sans doute la meilleure action de toute sa vie. Sans trop savoir pourquoi, pousse par une force qu'il ne pouvait definir, l'ancien truand murmura, les yeux fixes sur la silhouette accablee, demeuree figee au milieu de la piece :

— Courage, dame Catherine ! Un jour, je le sais, vous serez heureuse... assez heureuse pour oublier tous les mauvais jours !...

Lentement, Catherine se tourna vers Josse. Il venait de dire les mots dont elle avait besoin, et ces mots correspondaient si bien a son desir pathetique de remission qu'elle les entendit sans surprise, sans chercher a savoir pourquoi, tout a coup, il les avait prononces... Leurs regards se croiserent. Elle y lut une amitie vraie, sincere, depouillee de toute trouble ardeur de desir. Une amitie comme un homme en offre a un autre et, au fond, c'etait cela que le destin les avait faits : des compagnons de combat ! C'etait une securite bonne et chaude si reconfortante que Catherine parvint a sourire.

— Merci, Josse ! dit-elle simplement.

Au bout des longs doigts elegants de don Alonso, l'emeraude prenait, dans la lumiere de la torche, des eclats insoupconnes, des reflets que l'archeveque contemplait avec une ivresse reelle. Il ne se lassait pas de faire jouer la pierre et, parfois, les etincelles bleu-vert qu'elle lancait lui arrachaient des exclamations enivrees. Il parlait, a cette pierre, comme a une femme. Il lui disait des mots d'amour que Catherine, etonnee, ecoutait.

— Splendeur de la mer profonde, merveille des terres lointaines ou les yeux des divinites ont ton eclat mysterieux ! Quelle pierre est plus belle que toi, plus attirante, plus secrete et plus dangereuse, incomparable emeraude ! Car on te dit perverse et malefique...

Brusquement, l'archeveque interrompit sa litanie amoureuse et, se tournant vers Catherine, il lui remit de force la bague dans la main.

— Gardez-la, cachez-la ! Il ne faut pas me tenter avec une gemme de cette beaute car elle me rend faible.

— J'esperais, murmura la jeune femme, que Votre Grandeur l'accepterait, en remerciement des soins prodigues a mon serviteur et de l'hospitalite genereuse que je recois !

— Je serais vil et indigne de mon nom, ma chere, si je n'accordais largement les uns et l'autre a une femme de mon rang. Je ne veux pas etre paye car mon honneur en souffrirait. Et ce serait un paiement royal que cette pierre qui porte, de surcroit, les armes d'une reine...

Lentement, Catherine glissa la bague a son doigt, suivie par le regard passionne de don Alonso, mais retint un soupir de deception.

Elle s'etait decidee a offrir sa precieuse bague a son hote dans l'espoir d'etre invitee a contempler enfin la collection dont Fray Ignacio etait le gardien. En effet, depuis tantot dix jours qu'elle etait a Coca, elle n'avait jamais revu l'inquietant visage qu'elle souhaitait et redoutait a la fois de rencontrer. Fray Ignacio avait disparu comme si les murs du chateau rouge l'avaient absorbe. Et Catherine sentait croitre d'instant en instant la curiosite cruelle qui la ravageait. Il lui fallait savoir.

Savoir a n'importe quel prix ! Mais comment parler a don Alonso sans une bonne raison ?

Une idee lui vint, assez hypocrite. Elle n'hesita cependant pas a l'employer. Il fallait qu'elle put penetrer dans ces appartements secrets ou vivait l'alchimiste. Faisant tourner, d'un air songeur, la bague autour de son doigt, elle murmura, les yeux sur la pierre :

— Evidemment, cette pierre est peut-etre imparfaite... indigne, sans doute, de figurer parmi les gemmes de votre collection... que l'on dit sans rivale !

Une flamme d'orgueil vint empourprer le visage de" l'archeveque.

Il sourit a la jeune femme avec une absolue bienveillance et, hochant la tete avec une sorte de frenesie :

— Ma collection est belle, en effet ! Sans rivale ?... je ne crois pas.